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Les premiers retours d’expérience de la bataille de Mossoul
©MOHAMED EL-SHAHED / AFP

Retex

Les Américains et les Canadiens ont effectué un premier « retour d’expérience » (Retex) de la bataille de Mossoul qui sera vraisemblablement suivi par beaucoup d’autres.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Il est en effet probable que de nombreux ouvrages traiteront de cet épisode particulièrement sanglant de la guerre civile qui perdure en Irak. En effet, il ne faut pas oublier que jusqu’à 40% des effectifs des unités de pointe (dont la fameuse « division d’or », le service de contre-terrorisme -CTS-) ont été mis hors de combat lors des premiers mois de la bataille qui a débuté en octobre 2016 et qui s’est terminée - du moins pour la partie guerre classique - en juillet 2017. A titre de comparaison, la bataille de Stalingrad n’avait duré « que » sept mois avec 1,5 million de victimes.

Sur un plan général, il a été très difficile pour le Lieutenant général Abd’ al-Amir Yarallah qui commandait les forces progouvernementales de coordonner les différentes unités dont beaucoup ne dépendaient pas de lui. Cela a provoqué des pertes très importantes dès que les avant-gardes sont entrées dans la ville. Les peshmergas répondaient du gouvernement régional kurde, les Unités de mobilisation populaires (Hasd) dépendaient en théorie du Premier ministre mais étaient très influencées par les pasdarans iraniens qui les accompagnaient, le ministre de l’intérieur avait sous sa coupe la police fédérale irakienne et la division de réaction d’urgence (Emergency Reaction Division -ERD-), le service de contre-terrorisme (CTS) était subordonné au Premier ministre. Yarallah n’avait formellement sous ses ordres que les 15e et 16e divisions d’infanterie et la 9e division blindée. Ces unités militaires, bien qu’ayant bénéficié d’une formation, surtout de la part des Américains, n’étaient pas aguerries. Elles ont néanmoins été utiles pour, dans un premier temps, boucler les extérieurs de la ville puis, au fur et à mesure que des quartiers étaient libérés par les forces de police, pour occuper et sécuriser le terrain. Pour cette dernière mission, le nombre de combattants doit être important pour ne pas laisser des « trous » dans le dispositif.

Les drones ont démontré qu’ils sont désormais indispensables sur le champ de bataille, particulièrement urbain. C’est la résultante de leurs capacités dans les domaines du recueil de renseignements, du guidage des unités au sol et des appuis feux. En effet, face à un adversaire qui utilise les infrastructures urbaines pour se dissimuler et disparaître, les assaillants ont un besoin vital de drones pour repérer les positions et les mouvements de l’ennemi. De plus, quand une agglomération est détruite, la cartographie classique ne sert plus à grand-chose. Les drones qui sont opérationnels en temps réel permettent ainsi au commandement sur le terrain de prendre rapidement les décisions qui s’imposent pour diriger leurs forces et délivrer des feux combinés, aussi bien en phase offensive que défensive.

Les forces doivent être organisées autour de groupes de combat qui combinent différents moyens : chars, engins blindés de transport et d’appui, bulldozers et infanterie légère. Cela leur permet d’identifier, de neutraliser et de sécuriser leur progression pour finir par réduire les positions ennemies en les prenant d’assaut, tout cela dans un environnement complexe et très compartimenté.

En matière de feux d’appuis, les missiles guidés anti-chars sont précieux pour neutraliser précisément des positions (et bien sûr des véhicules) adverses en évitant les pertes collatérales. Les snippers ont démontré, une fois encore, leur impact létal et handicapant pour l’adversaire.

Quand de nombreux groupes de ce type progressent de manière coordonnée sur plusieurs axes en se soutenant les uns les autres, les résultats sont au rendez-vous même si le rythme reste extrêmement lent afin de limiter au maximum les pertes. Celà pose toutefois le problème des transmissions qui font à la fois appel à la technologie de pointe - qui parfois passe mal en ville - mais aussi à des systèmes historiques comme les communications filaires qui présentent l’avantage de ne pas être interceptables ou brouillables.

            Il est indispensable de savoir déléguer l’autorité aux plus bas échelons. Seuls les chefs situés sur les premières lignes peuvent découvrir des opportunités et les exploiter rapidement sans perdre de temps à faire remontrer l’information pour attendre que les ordres ne redescendent. Les Américains sont arrivés aux mêmes conclusions que leurs homologues canadiens en affirmant que les officiers devaient désormais être capables de « désobéissance constructive », ce qui ne retire rien à leur responsabilité qui jugée après coup.

Le combat en localités est extrêmement éprouvant pour ceux qui le mènent. Celui qui survit n’est pas forcément le plus puissant mais celui qui fait preuve d’une grande capacité d’adaptation. Là aussi les Américains reviennent sur leurs habitudes ancestrales de « confort ». Depuis la guerre du Vietnam, des générations de militaires US avaient ainsi pris l’habitude de vivre dans des counpounds sécurisés et super équipés(1) d’où ils menaient des sorties parfois violentes mais globalement de courte durée. Selon le commandement US, l’expérience de la bataille de Mossoul démontre que lors des conflits futurs, il va falloir revenir à une rusticité plus spartiate qui permet un engagement armé de longue durée.

Face aux attaques de véhicules suicide VBIED de tous modèles (qui sont aussi souvent guidés en temps réel par des drones) qui peuvent surgir de n’importe où pour attaquer par surprise tout point du dispositif ami, il convient d’assurer une surveillance rapprochée étroite des flancs et des arrières. Après tout gain de terrain, une mise en garde défensive rapide est nécessaire pour parer aux contre-attaques. Il est indispensable d’utiliser tous les obstacles d’interdiction possible qui peuvent être aménagés par des bulldozers qui sont aussi une composante incontournable du combat dans les localités.

Face à la propagande de masse diffusée par Daech en particulier vantant ses « victoires sur le terrain » qui exagèrent considérablement les pertes ennemies, il est utile de développer un contre discours tactique qui doit être décentralisé jusqu’aux plus bas échelons. Cette guerre psychologique est autant destinée aux combattants qu’aux populations civiles qui ne doivent pas se laisser influencer par les mensonges de l’adversaire.

Les différents chefs ennemis et leurs postes de commandement constituent des cibles prioritaires, cela afin d’entraver au maximum la coordination des forces adverses (là non plus, ce n’est pas vraiment une nouveauté). La neutralisation d’un PC doit être suivie très rapidement d’opérations offensives qui profitent alors de la désorganisation provoquée. Cette dernière isole les positions ennemies en autant de petits îlots qui peuvent être réduits les uns après les autres.

Plus globalement, la guerre en théâtre urbain doit être abordée comme une succession d’opérations de franchissement de coupures : sécuriser le lieu où la tête de pont va être établie en repoussant au plus loin l’adversaire de manière à ce qu’il ne puisse la tenir sous ses feux. Au besoin masquer la zone avec des barrages fumigènes ou des incendies. Renforcer rapidement les premières lignes en faisant suivre les renforts, la logistique et le soutien sanitaire extrêmement utile pour le moral des troupes, sécuriser l’ensemble du dispositif par un système défensif puissant.

Au niveau de la tactique, rien ne change fondamentalement par rapport à celles enseignées depuis des lustres dans les différentes écoles de guerre. Plus que jamais, il est indispensable d’alterner des phases offensives et défensives, de judicieusement utiliser les feux d’appuis(2.) dans toutes les phases et de faire suivre les réserves et les renforts.

      Au moment où le gouvernement français pense diminuer - une fois de plus - les moyens au ministère des Armées, ces leçons démontrent le coût en hommes et matériels que nécessite ce genre d’opération. Il convient donc d’en tirer les enseignements pour l’avenir, particulièrement en matière d’engagement sur des théâtres de guerre extérieurs. Il y a une différence entre ce que le pouvoir veut faire et ce que les armées peuvent faire.

(1.) Dortoirs confortables, sanitaires impeccables, échoppes diverses et variées, cyber-cafés, salles de sport, cinéma, etc.
(2.) Les forces du ministère de l’intérieur en première ligne ont souvent utilisé les feux d’appuis à l’aveuglette et sans réglage précis. De nombreux civils ont péri sous ces tirs imprécis, d’autant qu’ils étaient utilisés comme boucliers humains par Daech.

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