Les perles du rapport de la Cour des comptes sur les dérives des collectivités locales<!-- --> | Atlantico.fr
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Les dépenses des administrations publiques locales frôlent 250 milliards d'euros.
Les dépenses des administrations publiques locales frôlent 250 milliards d'euros.
©garoste.com

Bonnet d'âne

A l'heure où se profilent déjà d'âpres débats sur les gestions municipales en préalable aux échéances de 2014, la Cour des comptes vient de produire un rapport sur les finances des collectivités locales.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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C'est la première fois qu'un rapport sur ce sujet est émis d'où son importance de facto renforcée. Autant dire d'emblée que ce texte est une mine d'informations mais qu'il n'est pas de nature à apaiser les interrogations que suscitent certaines pratiques locales.

Tout d'abord, les dépenses des administrations publiques locales frôlent 250 milliards d'euros (242,5 Mds en 2012) ce qui représente plus de 20% des dépenses totales des administrations publiques. Quant à la dette locale, elle s'élève à près de 175 milliards d'euros (173,7 Mds) soit un peu moins de 10% de la dette publique nationale qui se situe désormais autour de 1.900 milliards d'euros.

Point parfois méconnu, les collectivités locales assurent plus de 70% de l'investissement public soit près de 53 milliards. A rapporter au fait que l'Etat ne consacre désormais qu'un peu plus de 4% de son budget à sa politique d'investissement.

Dès la page 14 du rapport, le ton est donné : "L'utilisation optimale de chaque euro prélevé est ainsi plus que jamais nécessaire". A la page 18, un premier point de gravité est acté : "Le premier chapitre (du rapport) met notamment en évidence le caractère difficilement soutenable d'une hausse tendancielle des dépenses à un rythme plus élevé que celle des recettes". L'état des lieux prospectif est donc plutôt sombre pour le payeur, c'est-à-dire le contribuable.

Si la contribution au déficit public est limitée, les dépenses progressent plus vite que les recettes :

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La ventilation des ressources totales fait ressortir les transferts de l'Etat qui avoisinent les 30 % (27%) ce qui est une source de complexité depuis la fin de la taxe professionnelle qui apportait des recettes plus faciles à prévoir que les dispositifs actuels. En supprimant la fameux "impôt imbécile" décrié par les présidents François Mitterrand et Jacques Chirac, on a rendu plus délicat le pilotage financier des collectivités locales.

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Évidemment, l'affectation des ressources (les "emplois") des collectivités locales méritent d'être passée en revue. On note derechef la croissance des dépenses de personnel qui atteignent 25% soit un peu moins que l'investissement (29%) mais le double des dépenses sociales des départements (13%).

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Or, en page 42, la Cour des comptes rappelle le "principe de la réduction des dotations de l'Etat" qui va rendre complexe la situation de certaines collectivités. D'autant que le passé a montré (Saint-Etienne, département de Seine Saint-Denis, etc.) que les collectivités locales peuvent être vulnérables à l'agressivité commerciale et technique de leurs prêteurs : pratiques de DEXIA et des emprunts toxiques. Autrement dit, la solution du recours à l'emprunt n'est d'évidence pas une solution de bonne gestion mais un palliatif qui diffère les problèmes.

D'ailleurs, la Cour appelle explicitement à la nécessité de conclure "un pacte de gouvernance financière" entre l'Etat et les entités locales de manière plus affirmée et opérationnelle que le "Haut Conseil des territoires" dont la création est inscrite au sein du projet de loi sur la modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles. D'après ce futur texte, un nouvel objet administratif va être créé : la "métropole". On imagine à regret la complexité d'insertion du dernier venu dans le paysage territorial touffu. Gage d'efficacité ? Gage de gestion parcimonieuse des deniers publics ? Tous les doutes sont permis du fait des expériences passées.

Par ailleurs, une variable ardue continue de rythmer la vie des collectivités locales : c'est la notion de péréquation qui vise à lutter contre le déséquilibre entre les villes à forte population fragile et les villes à population plus aisée. La question est ici très simple : s'agit-il d'une péréquation de bonne foi ou masque-t-elle parfois des faiblesses de gestion de telle ou telle ville compensées de force par les autres communes ?

En matière de dépenses locales, deux éléments doivent être énoncés :

D'une part, il y a des questions mal résolues de gestion du personnel. Définition des tâches, effectifs ("Une évolution soutenue des dépenses de personnel" page 85, taux de présence, etc. sont des paramètres très inégalement suivis selon les collectivités et il faut dire – sans tabou ni excès – que la proximité des élus peut engendrer un certain clientélisme et une faible capacité à dire "non" à certaines demandes.

D'autre part, la conjoncture et cette crise qui ne cesse de s'étirer en longueur depuis 2008 augmentent les charges de dépenses sociales, notamment pour les départements. Ainsi la dépense au titre du RSA a progressé de 5,2% en 2012 et atteint désormais 8,2 milliards d'euros. De même l'APA (allocation personnalisée d'autonomie) des personnes âgées s'élève à près de 6 milliards et progresse selon un taux légèrement supérieur à 3%.

Pour conclure, nous sommes bien face à une situation où le mot de gestion "en bon père de famille" n'est pas toujours au rendez-vous d'autant que le cadre institutionnel ne facilite pas l'émergence d'un sérieux budgétaire dans le temps.

La question de la "libre administration des collectivités territoriales" inscrite au sein de l'article 72 de la Constitution alliée à leur autonomie financière ( article 72-2 ) est clairement posée si l'on songe aux redondances dans l'action.

Prenons un exemple peu polémique mais plus coûteux qu'il n'y parait : la question de l'essor du tourisme. Chaque région et presque tous les départements dépensent des sommes conséquentes qui se télescopent pour promouvoir leurs territoires. On touche ici d'évidence le sujet de la compétence de pleine attribution de chaque niveau du mille-feuille administratif local. Ces doublons, par manque de convergences d'élaboration, induisent des surcoûts de personnels et de dépenses. Nul ne songe à dire que tel ou tel fonctionnaire n'accomplit pas loyalement sa tâche mais celle-ci peut être insérée dans une architecture baroque où il est défectueux de confier des missions véritablement voisines à des équipes d'agents publics.

Dans le théâtre de Pirandello, il est fait usage du comique de répétition. Ici, la répétition conduit à une surcharge fiscale qui n'est comique mais plutôt tragique pour bien des contribuables qui savent calculer les pourcentages d'évolution annuelle de leurs impositions locales. Depuis les grandes lois Defferre de 1982, les adaptations ont été effectuées à la marge et hélas même le président de la République a pris la lourde responsabilité de sanctuariser ce principe de pleine liberté. Alors qu'il a été un élu local attentif et actif, il n'a pas hésité à déclarer en Sorbonne le 5 octobre dernier : "Il n'est pas question de remettre en cause la clause de compétence générale qui est un principe fondateur des collectivités locales depuis l'origine de la République". Lorsque le temps du bilan du présent quinquennat sera venu, les historiens de demain (dans les années 2020) pourront mesurer ce que cette simple phrase aura coûté à notre pays. Lors de leurs campagnes de 2007, tant Ségolène Royal que Nicolas Sarkozy avaient posé la question de la suppression claire et nette d'un échelon (a priori le département) et les chiffrages de l'époque concluaient à près de 20 milliards d'économies.

En toute clarté, il est surprenant que le président Hollande n'ait pas engagé une réforme d'envergure durant les premiers mois de son mandat. Comme l'a récemment déclaré le politologue plein de sagacité Olivier Duhamel (proche de la majorité parlementaire et directeur de la revue Pouvoirs) les circonstances sont maintenant complexes et la situation figée. Non, il n'y aura pas de big-bang visant à définir posément "qui fait quoi" d'où le risque de perpétuation de baronnies locales qui s'auto-neutralisent parfois. Pour ne pas dire plus.

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