Les frondeurs face à Valls : une vraie capacité de nuisance, un faux potentiel politique<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Le député socialiste frondeur Jerome Guedj.
Le député socialiste frondeur Jerome Guedj.
©Reuters

Opposition de principe

A l’approche du vote de confiance du gouvernement Valls II qui doit se tenir mardi 16 septembre, les députés socialistes frondeurs continuent d’agiter la menace d’une abstention collective.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

Voir la bio »

Atlantico : Jusqu’ici, par quels faits au sein de l’Hémicycle l'opposition des frondeurs au gouvernement s’est-elle traduite ?

Eddy Fougier : Cette opposition s’est principalement traduite par un vote d’abstention, et très rarement par un vote contre. On a pu observer au sein de la gauche 11 abstentions lors du vote de confiance au gouvernement Valls I, 41 lors du vote du Pacte de stabilité, 33 à l’occasion du vote du projet de loi de finance sur la sécurité sociale, et un seul sur le projet de loi de finance rectificative (PLFSSR).

Les textes étant passés, les frondeurs n’ont pas constitué un obstacle majeur à la politique du gouvernement. Cependant ce dernier doit négocier point par point, notamment sur les amendements déposés par les frondeurs, et il est tout de même nécessaire de compter les voix : les socialistes sont 290 ou 291 selon ce que décide de faire Thomas Thévenoud, et il faut 249 voix pour atteindre la majorité absolue. La marge est limitée chez les socialistes, mais il faut compter avec un certain nombre de centristes qui peuvent choisir d’accorder leur confiance au gouvernement.

On constate aussi que les frondeurs ne sont pas particulièrement réguliers dans leur choix d’abstention : alors qu’ils étaient 100 à signer un appel en avril, ils n’ont été que 41 à s’abstenir sur le Pacte de stabilité, et 33 sur le PLFSSR, ce qui dénote une logique individualiste et au coup par coup. Ce qu’il manque à ce groupe, c’est un chef de file. Et plutôt qu’Arnaud Montebourg, son potentiel leader semble être Martine Aubry.

A partir de ce bilan, quel sens peut-on donner à cette nouvelle menace ? Les frondeurs sont-ils prêts à prendre le risque d’une dissolution ?

Ils ne sont pas prêts à prendre le risque d’une dissolution car ils tiennent à leur siège et voient bien dans les enquêtes d’opinion que la gauche n’est pas très populaire. Au vu des résultats lors des municipales et des européennes, ils savent pertinemment qu’ils risquent de perdre leur siège. Renverser le gouvernement serait pour eux un acte kamikaze.

Partagés entre leur conception de ce que devrait être la gauche, leur souci de se faire réélire et l’image qu’ils renvoient à leurs électeurs, jusqu’où l’ambiguïté de leur position est-elle tenable ? Leur stratégie est-elle viable sur le long terme ?

Je ne suis pas certain qu’ils aient à ce point théorisé leur position. Il semblerait, à les écouter, qu’ils répondent aux attentes de leur électorat. Pour eux il n’y a pas de contradiction entre la défense de leur siège à Paris et celle d’une politique alternative.

Mais leur postulat de base est erroné : il consiste à dire que le gouvernement est impopulaire, notamment auprès des catégories populaires, parce que sa politique n’est pas assez de gauche. Ils estiment donc qu’il faut un virage à gauche. Or ce n’est pas forcément ce qu’attend l’électorat de gauche : d’après les sondages une grande partie de ce dernier estime que le gouvernement ne va pas assez loin dans son mouvement en faveur des entreprises. Sur le contrôle des chômeurs aussi, l’électorat de gauche n’est pas nécessairement aussi marqué que les frondeurs ne veulent bien l’admettre. Ce que veulent les catégories populaires, c’est plus de sécurité, d’ordre et de travail, mais aussi et surtout, en dehors de toute considération idéologique, une politique qui fonctionne.

Si le gouvernement n’obtient pas de résultats positifs d’ici 2017, les frondeurs "mourront guéris" : ils pourront dire qu’ils avaient raison, mais en perdant tout de même leur siège. Si Valls réussit, ils seront obligés de reconnaître que sa politique marchait et qu’eux étaient dans l’erreur idéologique : là aussi ils seront perdants. En somme, leur horizon n'est pas très rose.

A l’image d’un Thomas Thévenoud qui en dépit de ses irrégularités avec le fisc n’envisage pas de démissionner, les députés socialistes qui se disent opposés au gouvernement ne sont donc pas prêts à remettre en cause leur mandat par souci de cohérence ? Dans quelle mesure cette situation est-elle révélatrice de calculs égoïstes ?

Que chacun s’accroche à son rocher, ce n’est pas étonnant. On peut leur faire ce reproche, certes, mais on ne peut pas non plus faire l’impasse sur leur volonté d’influer sur la politique du gouvernement, d’autant qu’en dehors de Christiane Taubira, ils n’y ont plus aucun sympathisant. Les frondeurs veulent créer un rapport de force, de façon à peser sur les décisions gouvernementales. Pour l’instant ce rapport n’est pas en leur faveur. On peut effectivement voir le fait de tenir à voir le gouvernement rester en place comme une contradiction, mais c’en serait également une que de renverser le gouvernement actuel pour entraîner une cohabitation avec la droite. On aboutirait alors à l’inverse total de ce qu’ils prônent. Ils ont donc le choix entre le chaos et l’impuissance.

A l’approche du 16 septembre, s’il s’avère que le vote de confiance pourrait être plus serré qu’escompté, quelle pourrait être leur attitude ? Un arrangement avec le gouvernement pourrait-il intervenir ?

Le gouvernement manie ces jours-ci une rhétorique manichéenne consistant à agiter les sondages favorables à Marine Le Pen. Donc plutôt que la concertation avec les frondeurs, l’heure est à la menace.

A priori l’abstention devrait dominer, et les votes contre devraient être exprimés par les membres du Front de gauche et par les écologistes, comme les y ont invité Cécile Duflot et Noël Mamère. En plus du vote du mardi 16, il y aura celui relatif au budget, et en 2015 se tiendra le congrès du Parti socialiste. On sortira alors de la simple dimension parlementaire. D’ici là peut-être les frondeurs seront-ils parvenus à se structurer, dans la continuité du club "Vive la gauche !" qu’ils ont créé pour l’université d’été de la Rochelle. Pour l’instant cela ne va pas plus loin, ils n’ont a priori pas l’intention de créer un sous-groupe au sein du Parlement.

Propos recueillis par Gilles Boutin

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !