Les dangereuses simplifications faites autour du cas de Vincent Lambert<!-- --> | Atlantico.fr
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"Le kit de suicide" présenté par le Dr. Philip Nitschke, militant pro-euthanasie.
"Le kit de suicide" présenté par le Dr. Philip Nitschke, militant pro-euthanasie.
©Reuters

Tribune

La bataille pour ou contre le maintien en vie de Vincent Lambert, qui déchire la famille de cet homme tétraplégique en état végétatif chronique, a été discutée jeudi 6 février devant le Conseil d'Etat. Ses membres ont décidé de renvoyer la décision en formation collégiale, qui doit être prise cette semaine.

Xavier Mirabel

Xavier Mirabel

Le docteur Xavier Mirabel est cancérologue, conseiller scientifique d’Alliance VITA et expert médical du site d’écoute SOS Fin de Vie .

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La situation de Vincent Lambert relève de l’intime, du douloureux. Toute une famille souffre autour d’un de ses membres, et chacun tente de bonne foi de chercher ce qui est le meilleur pour ce mari, ce fils, ce frère, cet oncle. La médiatisation de ce drame familial n’arrange rien.

Je pense qu’il est urgent d’éclairer l’opinion publique sur les enjeux de la décision particulièrement complexe et délicate qui doit être prise cette semaine : le Conseil d’Etat doit confirmer, ou infirmer, la décision prise par le Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne le 16 janvier 2014, suspendant le « protocole de fin de vie » que le CHU de Reims voulait administrer à Vincent Lambert.

En désavouant la décision de l’hôpital, qui était d’arrêter la nutrition et l’hydratation de ce patient en état pauci-relationnel, les juges de Châlons-en-Champagne ont en réalité interprété de façon éthique la loi Leonetti fondée sur le respect du droit à la vie.

Le tribunal a reconnu qu’alimenter une personne constitue par principe un soin de base. Dans le cas particulier de Vincent Lambert, le fait que l’alimentation soit apportée au moyen d’une sonde ne change pas la nature profonde de l’acte. L’alimentation est simple à administrer et pourrait être délivrée dans un cadre non médicalisé ; elle est bien tolérée par le patient, semble-il.

Il est cependant des cas où l’alimentation et l’hydratation peuvent, et même doivent être arrêtés. Ce sont par exemple des situations où soit l’alimentation, soit l’hydratation, soit  le vecteur utilisé (sonde, cathéter), est source d’effets indésirables, de pénibilité importante pour le patient et où, dans le même temps, le pronostic vital est engagé à court terme par une pathologie évolutive. Dans ces situations, il semble légitime de considérer que l’alimentation et l’hydratation ont quelque chose de disproportionné : elles apportent plus d’inconvénients que de bénéfices.

A la lumière de ces principes d’action, on est confronté dans le cas de Vincent Lambert à une interprétation abusive de la loi Leonetti par certains. Cette interprétation consiste à considérer que nourrir et hydrater un patient dans un état comateux serait devenu une obstination déraisonnable. Le tribunal, avec grande sagesse, a écarté cette vision euthanasique de l’arrêt des soins indispensables à la vie, dans la situation précise qui lui était soumise.

Mais chaque cas étant particulier, il serait très dommageable que le législateur ou la jurisprudence veuille définir a priori ce qui relève de l’obstination déraisonnable. Médecins et familles doivent pouvoir apprécier ce qui convient de faire ou de ne pas faire au bénéfice du patient, car aucune définition ne pourra contenir toutes les situations individuelles envisageables. 

La division manifestée au sein de la famille de Vincent Lambert, et chez les soignants qui l’ont pris en charge depuis des années, est source de malaise, d’autant qu’elle est publique, ce qui tend à figer les positions. Cette tension traduit visiblement un épuisement des personnes qui se dévouent à son chevet. Cet épuisement est un signal d’alerte fort, que la société doit prendre en compte, pour réagir et assurer un soutien et un relai aux soignants et aux proches.

Le transfert de Vincent Lambert dans une unité spécialisée pour accompagner au long cours les personnes en état pauci-relationnel me parait vraiment nécessaire. Il n’est pas question ici de remettre en cause le magnifique travail accompli jusqu’à présent par ses soignants, mais de répondre au besoin de relai. Dans ce type de situation, l’épuisement des proches est non seulement à prendre en compte, mais à anticiper.

De façon plus globale, les prises de position suscitées par la situation de Vincent Lambert sont éclairantes sur le débat actuel concernant la fin de vie en France :

  • Certains ont dit qu’il fallait « laisser mourir » Vincent Lambert ; or il n’est pas mourant, il est lourdement handicapé.  
  • Certains l’ont appelé « légume » ; or c’est un terme impropre et dangereux, car jamais un être humain ne perd sa nature humaine ni sa dignité.
  •  D’autres encore ont demandé l’arrêt de son alimentation sous prétexte qu’il ne vit pas un état de pleine conscience ; or de nombreuses personnes en France vivent aujourd’hui même la situation que lui, protégés par leurs proches et leurs soignants.

Ce débat fait donc apparaitre la violence de certains arguments qui me paraissent extrêmement graves. Nous devons tous être en état d’alerte par rapport à ces réactions qui risquent de nous faire basculer vers une société de la toute-puissance qui refuse la grande fragilité de certains de ses membres. C’est donc avec force que je lance un appel aux pouvoirs publics pour demander qu’un profond travail de pédagogie soit accompli, fondé sur cette réalité : la vie de chacun est précieuse pour tous.

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