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Les Constructifs face à leur destin : mais entre l’UDI, LaREM ou l’indépendance, comment ne pas faire le choix qui plombe ?
©ALAIN JOCARD / AFP

Finis LR

Pari risqué d'un côté et effacement de l'autre entre Jean-Christophe Lagarde et Emmanuel Macron, le cœur des constructifs balance. Leurs intérêts aussi.

Bruno Jeudy

Bruno Jeudy

Bruno Jeudy est rédacteur en chef Politique et Économie chez Paris Match. Spécialiste de la droite, il est notamment le co-auteur du livre Le Coup monté, avec Carole Barjon.

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Les constructifs sont divisés. Une partie souhaite aller avec Jean Christophe Lagarde et une autre partie veut aller vers En Marche à la demande d'Emmanuel Macron. Qu'est-ce qu'ils ont de plus intérêt à faire ?

Bruno Jeudy : Cette division est logique, elle reflète les diverses origines des membres de ce groupe parlementaire créé après les législatives. Des centristes, des Républicains en rupture de banc, des élus de droite de divers horizons, et tous n'ont pas la même bienveillance avec Macron. Rien à voir entre un Thierry Solère qui vote le budget les yeux fermés et un Maurice Leroy ou un Courson qui sont beaucoup plus indépendants d'esprit et autonomes par rapport au président. Chacun voit midi à sa porte et donc il y a un risque d'explosion du groupe. Les radicaux de droite sont entrain de se réunir aux radicaux de gauche, les UDI qui sont divisés entre les partisans de Jean-Christophe Lagarde et ceux d'Hervé Morin, et puis les Républicains autour de Franck Riester et Thierry Solère qui voudraient créer un parti "Les Constructifs". La seule solution serait de récréer une sorte d'UDF, un grand parti libéral de la droite libéré.

Jean Petaux : J’aurais, spontanément, tendance à répondre par une troisième solution : « Ils devraient rester groupés »… Lorsque votre groupe parlementaire est de 35 députés et qu’il se divise en deux fractions (2/3 – 1/3) différentes pour le vote de confiance au gouvernement « Philippe 2 » (23 abstentions et 12 voix « pour ») vous êtes non seulement structurellement faible mais potentiellement menacé d’éclatement. Pour autant, il en va de la force politique d’un groupe comme du classement dans un concours : tout est relatif. Avec 35 membres le groupe « Les Constructifs » figure au 4ème rang des groupes parlementaires. Les groupes LREM : 314 membres ; Les Républicains : 100 ; le MODEM : 47 précèdent le groupe « Les Constructifs », mais il est devant le groupe « Nouvelle Gauche » (qu’on pourrait appeler les « Naufragés du Solférino ») avec 31 membres suivis par les députés de la France Insoumise (17) ; ceux de la Gauche Démocrate et Républicaine (en fait le PCF) (16) et les 17 non-inscrits parmi lesquels les élus FN. « Les Constructifs » souffrent donc autant d’un manque de cohésion interne que d’un sous-effectif dont on voit, compte tenu de la fragmentation de l’Assemblée qu’il n’est pas si important que cela. Il reste que la différence avec les élus FI est flagrante. Les mélenchonistes sont totalement dans l’adoration du « grand maître », unis comme dans une secte et bien que seulement 17 ils occupent totalement l’espace politico-médiatique à grands renforts de « coups » mais aussi par une présence dans les débat parlementaires très « professionnelle » et constamment « mise en intrigue ». Adeptes du « story telling » les membres de FI racontent constamment de nouvelles histoires à la bête médiatique qui en redemande pour se nourrir de nouvelles fraiches tous les jours. La complaisance journalistique et l’assurance d’attirer l’auditeur ou le lecteur en relayant les sketches des députés de FI font le reste : « ça marche ». Face à cela les députés « Les Constructifs » apparaissent comme ternes, sérieux ou, tout simplement, n’apparaissent pas  du tout. Certains parmi eux sont de « bons clients » des plateaux télés des chaines d’infos en continu : Thierry Solère ; Franck Riester ; Laure de La Raudière, mais cela ne fait réellement pas une ligne politique. Cela aurait même tendance à en faire deux. La réalité est simple : composé de deux sous-groupes, entre les « dissidents » de LR et les membres de l’UDI, le groupe « Les Constructifs » est un agglomérat de deux entités qui n’ont pas coagulé ensemble. Même si leurs référentiels ne sont pas si différents que cela : europhiles, économiquement libéraux, socialement progressistes et sociétalement ouverts, les deux composantes des « Constructifs » sont surtout confrontées à des problèmes d’égo de leurs leaders putatifs. Se confondre avec l’UDI de Lagarde, lequel est sérieusement « dragué » par Bayrou et le MODEM, ou rejoindre « En Marche » pour obtempérer au souhait du président Macron (on sait ce qu’il en est de ce genre de « souhait » : il est préférable de s’y conformer…) : dans les deux cas c’est se condamner à une forme de fusion absorption qui équivaudra, à plus ou moins court terme, à disparaitre en tant qu’entité autonome.

En quoi la vision du monde dont JC Lagarde est porteuse se distingue-t-elle de celle d'En Marche ? Quel être le sens de vouloir à tout prix rester autonomes ?

Jean PETAUX : Jean-Christophe Lagarde, formé à « l’école Bayrou » (raison pour laquelle le maître et l’élève sont constamment dans le « je t’aime moi non plus ») a retenu plusieurs principes de son mentor en politique. Le plus important d’entre eux c’est celui qu’a prononcé Bayrou au pied de la tribune du congrès fondateur de l’UMP  à Toulouse en novembre 2002 : « Quand on pense tous la même chose c’est qu’on ne pense plus rien »… Pour éviter cela, dit Bayrou, il faut conserver sa « personnalité politique » (comme on conserve sa « personnalité juridique »). D’ailleurs le paradoxe de l’aphorisme du Béarnais c’est qu’il signifie dans l’esprit de celui qui le prononce exactement le contraire que ce qu’il dit. La traduction exacte du « Bayrou dans le texte » pourrait être formulée ainsi : « Peu importe que l’on pense tous la même chose, ce qui compte c’est qu’on le dise de plusieurs endroits – ou partis – politiques différents ». Lagarde est exactement dans cette ligne et sur cette position. Ce n’est pas ce qui se dit qui compte c’est d’où on le dit. Et cet endroit porte nécessairement le nom « de pré-carré ». C’est à partir de son lopin de terre politique, de son camp de base en quelque sorte, de son domaine féodal, que l’on peut s’exprimer même si d’autres disent des choses comparables voire la même chose. Ce n’est pas un problème : l’importance réside dans l’autonomie de l’émetteur, pas dans la musique ou dans les messages qu’il diffuse. Cette pratique que l’on pourrait qualifier de « terrienne » ou de « patrimonialiste »  (au sens du concept anglo-saxon de « patrimonialism ») confère toute sa raison d’être à la volonté d’autonomie.

Bruno Jeudy : Lagarde incarne un courant politique de centre-droit. Il est plus ou moins l'héritier d'une partie de l'UDF Giscardienne et du CDS de Pierre Méhaignerie. Aujourd'hui, il est plus proche du MoDem, que de La République En Marche. Reste à savoir avec qui il veut s'allier aux prochaines élections. Manifestement il ne veut pas d'alliance électorale avec Les Républicains, et en même temps il n'est pas décidé à passer des alliances avec LREM. Il y a un problème de positionnement politique. Quitter les accords électoraux confortables passés avec les Républicains alors que LREM a déjà des accords avec le MoDem, le frère ennemi centriste, c'est compliqué.

Rester autonome pourrait permettre aux Constructifs de trouver un débouché partisan, dans la mesure où les Constructifs issu des Républicains vont être exclus du parti et vont devoir s'inscrire politiquement dans un parti. Leur intérêt c'est de s'organiser et de monter une structure partisane, sans doute modeste, surtout s'il n'y a plus d'UDI. Cependant Jean-Christophe Lagarde a peut-être mis la charrue avant les bœufs en s'engageant pour les prochains rendez-vous électoraux sans savoir qui resterait au sein du parti. Les centristes restent plus nébuleux que jamais.

En prenant en compte que le MoDem est déjà allié à Emmanuel Macron, les constructifs pourraient-ils vraiment peser à l'intérieur de La République En Marche ? Est-ce que ce n'est pas une pure illusion que de s'imaginer peser sur Emmanuel Macron ? Le peuvent-ils vraiment ?

Bruno Jeudy : La République En Marche ne deviendra pas un parti classique. Ils veulent rester un mouvement sans président, seulement un délégué général avec un mode de désignation qui reste à fixer. L'idée d'Emmanuel Macron c'est de ne pas avoir un parti incarné, qui restera à sa main. Il a demandé à ses ministres de rejoindre le parti d'ici novembre. Pour les Républicains comme Thierry Solère et Franck Riester, à mon avis, ils ont compris que dans ce mouvement ce sera compliqué d'exister pour les anciens républicains. Même si l'expérience d'apparatchik de certains sera précieuse le moment venu quand il faudra préparer les rendez-vous électoraux des européennes et surtout des municipales. Qui aurait l'illusion de peser sur les choix d'Emmanuel Macron se tromperait lourdement.

Jean Petaux : L’avenir répondra à votre question forcément mais, dès maintenant, on constate que l’idée-même de « peser sur Emmanuel Macron » est plutôt de l’ordre de la chimère que de l’alchimie politique… En fait la force et la capacité d’influer le cours des choses politiques, pour Les Constructifs dépendra directement de leur possibilité d’agir en tant que groupe charnière dont le soutien sera indispensable à Emmanuel Macron, à l’occasion de tel ou tel enjeu parlementaire et, en l’occurrence, surtout constitutionnel. S’il veut faire passer sa réforme constitutionnelle Emmanuel Macron doit déjà pouvoir bénéficier de deux majorités absolues à l’Assemblée et au Sénat, le projet de révision constitutionnelle devant être voté, à la majorité absolue, en termes identiques par chacune des deux chambres. En soit, déjà, au vu des résultats des élections sénatoriales de dimanche dernier, l’affaire n’est pas gagnée au Palais du Luxembourg. Mais l’article 89 de la Constitution du 4 octobre 1958 comporte un deuxième étage (un peu comme pour une fusée). Il faut que le Congrès (Assemblée et Sénat réunis à Versailles) adopte la loi portant révision du texte suprême à la majorité des 3/5ème. En l’occurrence c’est là que le groupe « Les Constructifs » avec ses 35 membres à l’Assemblée peut être plus qu’une force d’appoint dans un tel débat. Il peut être tout simplement le groupe « bascule » qui fera (ou pas) passer le texte constitutionnel. Dans ces conditions l’idée de « peser sur Macron » deviendrait bel et bien réalité. Qu’ils soient ou non à l’intérieur de La République En Marche, les députés « Constructifs » auront bien leur ligne à défendre. A condition, quand même, que celle-ci existe. Appelons cela un préalable… ou, comme dirait la ministre de l’Enseignement supérieur, un prérequis….

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