Les années 20 ou les nouvelles années folles ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Les années 20 ou les nouvelles années folles ?
©Capture d'écran

Prévisions 2020

A l'occasion de la fin de l'année 2019, Atlantico a demandé à ses contributeurs les plus fidèles de s'interroger sur l'année à venir.Philippe Crevel se demande ici si la décennie à venir ne pourrait pas curieusement ressembler aux années folles.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

Voir la bio »

Le siècle a vingt ans. Il quitte l’adolescence pour entrer dans l’âge adulte. Est-ce le plus âge de la vie ? En 1931, l’écrivain Paul Nizan en doutait dans son roman « Aden Arabie » en dénonçant une nostalgie illusoire, « j’avais 20 ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie ». Jusqu’à maintenant, dans la mémoire collective, les années 20 renvoyaient à celle du siècle précédent, les années folles. Il y a un siècle, le monde se remettait avec difficulté de la Première Guerre mondiale qui avait entraîné la mort de plus de 10 millions de personnes, huit millions étant invalides. Cette tragédie guerrière fut suivie de la grippe espagnole qui entraîna la disparition de 50 millions de personnes entre 1918 et 1925, sachant que le nombre de morts fut très important lors des premières années de l’épidémie. La deuxième décennie avait été également marquée par la prise de pouvoir des Bolcheviks en Russie. En Allemagne et dans plusieurs pays d’Europe de l’Est, des mouvements révolutionnaires menacent les pouvoirs en place. Les communistes sont sévèrement réprimés en janvier 1919 à Berlin et en juin 1919 en Bavière.

En 1920, les populations souhaitent tourner la page, d’oublier les douleurs de la guerre et de la maladie était forte. Ainsi, naissent « les années folles » avec comme symboles le jazz, le surréalisme ou le charleston. Paris redevient le centre de la vie culturelle mondiale. Montmartre et Montparnasse sont les lieux de rencontre des écrivains, des peintres, des musiciens, des chanteurs et des danseuses du monde entier. La Coupole, le Dôme, la Rotonde et la Closerie des Lilas ou les salons comme celui de Gertrude Stein rue de Fleurus deviennent incontournables.

Les années folles se caractérisent par une très forte croissance économique. Les Etats-Unis conquièrent la place de première puissance économique mondiale. Le Sénat américain refusa de ratifier, en 1919, de ratifier le Traité de Versailles et d’entrer ainsi dans la Société des Nations. En ne participant pas à l’ordre international qu’ils ont contribué à construire, les Etats-Unis ont fragilisé ce dernier d’autant plus que l’Allemagne s’estimait injustement considéré comme la puissance perdante. 

En Russie, après la période révolutionnaire de 1917 / 1920, avec la Nouvelle Politique Economique (NEP), une libéralisation relative s’instaure faisant croire à un retour à la normale. Staline mettra un terme entre 1928 et 1930. La dékoulakisation, l’expropriation des paysans ayant participé à la NEP, s’accompagna de la mort de plusieurs centaines de milliers d’entre eux et le déplacement de plus de 1,5 million de personnes dans des goulags ou au sein de sovkhoses à l’Est de l’Oural. 

Les années 1920 voient l’émergence de la consommation moderne s’appuyant sur les innovations, la publicité, le marketing. De nouveaux produits et services commencent à se diffuser. La radio, l’électricité, l’automobile, les avions, l’électroménager s’imposent en Europe. La 6e capitalisation parisienne est, juste avant la grande crise de 1929, une jeune société innovante, une star up de l’époque qui n'a que quinze ans, Air liquide. En France, la production automobile est en dix ans multipliée par quatre déjà dotée d'une stature mondiale.

Les années folles sont également marquées par de nombreux déséquilibres et crises notamment sur le plan monétaire. La volonté de la France et du Royaume-Uni de rétablir le système or d’avant la Première Guerre mondiale sera un échec. Les réparations exigées à l’Allemagne seront en partie responsable de l’inflation folle des années 1921 à 1924. Cette hyperinflation s’est nourrit du surendettement de l’Allemagne du fait de la guerre et des dommages qui lui ont été imposés par le Traité de Versailles. La perte de valeur du mark entraine l’augmentation des prix qui atteint en 1923 des niveaux records.  Le dollar, qui s'échangeait autour de 420 marks en juillet 1922, passe à 49 000 marks en janvier 1923. Le prix au détail passe de l’indice 1 en 1913 à 750 000 000 000 en novembre 1923. Les prix des repas servis au restaurant varient selon l’heure de la commande et l’heure à laquelle l’addition est présentée. Cette crise sans précédent facilita la montée du parti nazi et l’arrivée à la chancellerie en 1933 d’Adolf Hitler. La crise économique que connaît l’Italie qui fait partie des pays vaincus de la Première Guerre mondiale provoqua dès 1922 la prise de pouvoir par Mussolini. 

Les années 1920 seront celles de l’endettement croissant aboutissant à la création de bulles spéculatives en particulier au niveau des actions. Les cours des actions cotées à la Bourse de Paris sont multipliés par plus de 4. L’achat à crédit des actions amplifia la spéculation. Aux Etats-Unis, les investisseurs purent acheter des titres avec une couverture de seulement 10 %. Le ralentissement économique constaté en 1929 aboutit alors à l’éclatement de la bulle et par effet de domino sa diffusion se fit au sein de tous les secteurs d’activité et au niveau mondial. 

Quel sera le destin des années 2020 ? Le point commun avec le siècle précédent est le caractère tourmenté des deux premières décennies même si l’ampleur des désastres n’est pas comparable. Le 21e siècle a commencé le 11 septembre 2001 avec l’attentat entraînant la chute des deux tours jumelles de New York. Depuis, le terrorisme islamiste a jalonné les deux dernières décennies, a provoqué une série de guerres qui ont impliqué plusieurs Etats occidentaux. Un Etat terroriste, Daech a un temps contrôle un territoire à cheval sur la Syrie et l’Irak. En Afrique, des territoires sont passés sous la coupe de bandes imposant leurs lois. Le 21e siècle a déjà connu deux crises économiques, l’éclatement de la bulle Internet et la récession de 2008/2009. Ces dernières années ont également donné lieu à une prise de conscience sur les conséquences de l’activité humaine sur les conditions de vie au point que le concept de collapse écologique est devenu un thème récurrent du débat public. Les deux premières décennies ont également vu la Chine devenir une grande puissance et la Russie revenir sur le devant de la scène après l’éclipse de 1991. Du fait des taux de croissance divergents et des évolutions démographiques, les pays occidentaux qui réalisent moins de 50 % du PIB mondial (en 1970, c’était plus des deux tiers) devraient continuer en part relative poursuivre leur recul. L’Europe peut-elle reprendre le train de l’histoire ou est-elle condamnée à un lent déclin ? Les prochaines années seront clefs. Si l’Union européenne a raté le coche des premières années digitales en n’ayant pas réussi à créer des GAFA, elle est mieux représentée qu’il n’y paraît dans le domaine de l’intelligence artificielle. Elle a fait le pari d’un développement durable en s’appuyant sur les énergies renouvelables. Par ailleurs, l’Europe est bien dotée en entreprises de services en particulier dans les secteurs du tourisme et des loisirs. La finalisation de l’euro avec une coopération budgétaire et économique plus poussée serait évidemment un atout majeur pour le redressement économique du vieux continent.

Dans les années 2020, le monde comptera plus de 8 milliards d’habitants, le nombre de personnes de plus de 65 ans dépassera 1,4 milliard. La Chine devrait voir sa place de puissance démographique mondiale remise en cause par l’Inde. La question démographique sera au cœur des débats, de l’accès aux ressources au vieillissement en passant par l’urbanisation et les migrations. La transition énergétique peut être une source de coopération ou de conflits majeurs. Les normes environnementales peuvent rapprocher au nom de la défense du patrimoine commun qu’est la planète ou générer des tensions en raison de leurs de leurs coûts et de leur caractère potentiellement protectionniste.

Le temps de la coordination qui avait cours entre 2008 et 2012 a laissé la place à une tentation populiste et protectionnisme. Le multilatéralisme recule au profit du rapport de force. Est-ce que cette tendance se renforcera dans les prochaines années dans un contexte de tensions commerciales ou environnementales ou au contraire le renforcement de la coopération ?

Les années 2020 devraient voir le déclin du pétrole non pas par épuisement des ressources mais en raison de l’essor des énergies renouvelables. Depuis un siècle, le pétrole assure un rôle de pilier de l’économie mondiale. L’évolution de ses cours influencent le rythme de la croissance. Cette énergie a été une source de conflits et de crise. Elle a été au cœur de nombreuses batailles au cours de la Seconde Guerre mondiale. Son éventuel délaissement marquerait une véritable rupture pour l’économie mondiale. La transformation du parc automobile sera un enjeu majeur des prochaines années. Plusieurs villes ont prévu d’interdire les véhicules diesel d’ici le milieu de la décennie (Paris en 2024). D’autres ont retenu l’idée de supprimer les voitures à moteur thermique. D’ici la fin de la décennie, les voitures sans conducteur pourraient se développer. Derrière cet essor, figure celui de l’intelligence artificielle qui devrait se diffuser au sein de toutes les activités. Le déploiement de la 5G dans les prochaines années permettant de raccorder un très grand nombre d’objets connectés rendra possible un nouveau saut technologique. L’ultra-connectivité permettra-t-elle la réalisation de gains de productivité qui sont attendus depuis une décennie comme le messie ? Le digital a beaucoup détruit. Il rend aussi des services dits de conforts mais sa force créatrice tarde à se manifester. Il entraîne une polarisation de l’emploi (moins d’emplois de classes moyennes, plus d’emploi de services à faible valeur ajoutée et des emplois en nombre réduit dans la conception, l’innovation, etc.).

Les années 20 seront-elles celle de la fin de la politique monétaire des taux bas ou confirmeront-elles qu’elle est devenue la norme. Si le modèle japonais s’impose, les dix prochaines années ressembleront alors aux précédentes. Le triptyque faible inflation / faible taux d’intérêt / faible croissance perdurera. Il est porteur de risques économiques et sociaux. La création de bulles spéculatives en particulier dans l’immobilier est un risque qui peut prendre de la consistance dans les prochaines années. Une montée générale de la défiance est susceptible d’entraîner une hausse des taux générant des problèmes de solvabilité au sein de la sphère financière. La progression limitée du pouvoir d’achat commence, par ailleurs, à créer des tensions qui pourraient se manifester avec plus d’acuité dans les années à venir. Dans les années 2020, une compétition mettant en lice les cryptomonnaies et les monnaies traditionnelles a de forte de chances de se produire. Le libra de Facebook est-il capable de prendre la place du dollar ou les banques centrales arriveront-elles à créer une nouvelle monnaie digitale comme le souhaite le Gouverneur de la Banque de France ? En fonction du résultat de cette compétition, le cours de l’économie ne sera pas le même. Une privatisation de la monnaie mettrait un terme à un processus vieux de plusieurs siècles. Elle concrétiserait la force des GAFA qui ainsi prouveraient leurs capacités à se substituer aux Etats. Il est également envisageable qu’une alliance se noue entre les GAFA et les Etats avec un partage des rôles.  Les prochaines années pourraient être également marquées par une scission au sein du monde de l’Internet. Aujourd’hui contrôlé par les Etats-Unis, la Chine pourrait à terme estimer la nécessité de développer son propre système. Deux mondes digitaux pourraient ainsi cohabiter dotés de leurs entreprises, de leurs technologies. Une guerre froide digitale pourrait ainsi s’installer entre les deux grandes puissances économiques.

Les dernières années ont vu que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis les élites, les corps intermédiaires de plus en plus contestés. Internet avec l’information sans filtre qu’il permet, l’influence croissante des réseaux sociaux ont réduit la légitimité des sachants, des experts, des dirigeants. Ce mouvement remet en cause le fonctionnement des démocraties. Ces dernières reposaient sur le principe du consensus, sur l’idée que les fabricants des normes, les détenteurs de la violence légitime étaient acceptés et jugés compétents. La polarisation du débat politique, le renouveau de la violence de rue ont été perçus comme des signes de faiblesse des démocraties qui sont concurrencées par des régimes autoritaires (Chine, Russie par exemple). Si dans les années 1990 et 2000, l’économie de marché et la démocratie était un couple incontournable, il est depuis mis à mal. Les années 2020 verront-elles un renouveau démocratique avec un recours à de nouvelles techniques participatives ou seront-elles de l’affirmation du fait autoritaire ? 

De multiples croisements sont sur le chemin des années 20. Que ce soit sur le plan technologique, sur le plan environnemental, géopolitique et économique, de nombreux scénarii sont possibles pour les dix prochaines années. Cette décennie verra l’arriver dans la vie active des enfants nés dans les années 2000, les milleniums. Elle verra la mise à la retraite d’une grande partie des baby-boomers. Des années 1945 aux années 2010, ce sont les acteurs de la Seconde Guerre mondiale et leurs héritiers directs qui ont été en charge des responsabilités privés et publics. En France, des responsables politiques ont occupé le devant de la scène durant plus de quarante ans, François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac et bien d’autres. L’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir a traduit une rupture tant au niveau de la composition de la classe politique qu’au niveau de la méthode. Est-ce un épiphénomène ou est-ce le changement structurel au niveau de l’organisation des pouvoirs ? Le rajeunissement des élus concerne également le monde professionnel. Le digital modifie les codes et impose son rythme. L’obsolescence rapide des générations qui va à l’encontre de la nécessité d’améliorer l’employabilité des seniors est-elle un signe des temps nouveaux ou la simple expression d’un monde qui cherche sa voie.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !