Légiférer par ordonnances : François Hollande a-t-il l'intention de commettre un suicide politique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'exécutif dit vouloir de légiférer par ordonnances.
L'exécutif dit vouloir de légiférer par ordonnances.
©Reuters

Ca va coincer

L'exécutif a annoncé qu'il pourrait recourir à des ordonnances pour accélérer la prise de décision dans certains domaines. Une idée qui masque en réalité une double résignation du président.

Jacques Sapir

Jacques Sapir

Jacques Sapir est directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), où il dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS). Il est l'auteur de La Démondialisation (Seuil, 2011).

Il tient également son Carnet dédié à l'économie, l'Europe et la Russie.

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Ainsi, ce gouvernement se prépare à utiliser la procédure des ordonnances pour accélérer ses "réformes". Si cette procédure n’est pas inconnue, elle était ces dernières années réservée à des sujets plus techniques, comme l’urbanisme dans le cadre du Grenelle de l’environnement. Son usage sur des sujets hautement sensibles nous renverrait aux ordonnances prises en 1967 par Georges Pompidou, Premier Ministre, sur la Sécurité Sociale. On conviendra que ce précédent ne plaide pas en faveur ni du gouvernement ni de la procédure qu’il a choisie. En fait, on ne peut imaginer pire moment pour chercher à passer en force dans le domaine social.

La crise s’aggrave

Les dernières nouvelles ne sont pas bonnes, et c’est un euphémisme, dans le domaine économique. L’annonce d’une destruction nette de près de 100 000 emplois en 2012, dont plus de 44 000 pour le dernier trimestre, confirme ce que nous savions déjà : la crise s’aggrave. Les destructions d’emplois sont l’une des causes du chômage, dans un pays dont la démographie implique un flux continuel important de jeunes entrant tous les ans sur le marché du travail.

Ces destructions d’emplois ont été particulièrement importantes dans l’industrie. Ici encore, rien d’étonnant. La production industrielle ne cesse de baisser. On le constate sur le graphique suivant, ou l’on a représenté le taux d’évolution en glissement annuel, c’est-à-dire en pourcentage d’évolution par rapport au mois équivalent de l’année précédente.

Graphique 1, Source : INSEE

Cette chute de la production industrielle entraîne avec elle la chute des services associés. Ainsi, c’est toute l’économie qui souffre quand souffre l’industrie. De plus, nous sommes désormais soumis à la concurrence des pays ayant procédé à une forte dévaluation interne, comme l’Espagne. Le solde commercial est devenu négatif vis-à-vis de ce pays. C’est très insuffisant, compte tenu de la faiblesse de l’industrie espagnole, pour porter remède à la terrible crise espagnole. Mais cela pèse, chaque jour un peu plus, sur l’industrie française qui, bientôt, devra se poser le problème d’une forte baisse de ses rémunérations. Si elle le fait, on sait d’avance quel sort nous est promis. Le chômage, déjà élevé dans notre pays, bondira vers de nouveaux sommets. En fait, on mesure ici que le problème central est bien celui de l’euro : il organise, en mettant face à face dans les conditions d’une parité inchangeable des pays dont les conditions structurelles sont très différentes, un combat sans pitié dont les travailleurs sont les premières victimes. L’euro est une arène où sont sacrifiés des centaines de milliers, et même des millions d’emplois : « ave euro, morituri te salutant » peuvent dire les travailleurs que condamne au chômage la monnaie unique.

La crise s’aggrave (bis)

Ces politiques de dévaluation interne, que l’on nomme par euphémisme des politiques d’austérité, aboutissent à des effets contraires à ceux qui sont recherchés. On a déjà écrit dans ce carnet au sujet de l’Espagne et de la Grèce, où l’on assiste à une forte contraction du crédit qui renforce les effets de l’austérité, condamnant de très nombreuses entreprises à la faillite. Aujourd’hui, c’est à un phénomène similaire que l’on assiste cette fois en Italie. Dans le graphique 2, réalisé à partir des données de la Banque Centrale d’Italie, on constatera que la contraction du crédit de ces six derniers mois est même supérieure à celle que l’on a connue en 2009 à la suite de la crise de Lehman Brothers.


Graphique 2

Il convient de rappeler que l’un des argument avancés en 2011 pour forcer Berlusconi à quitter le pouvoir était qu’une crise italienne pourrait entraîner une crise de l’Euro, et que celle-ci aurait des effets pires que ceux de la crise de Lehman Brothers en 2008. On peut constater, sur les statistiques officielles, que les effets de la politique de Mario Monti, le syndic de faillite désigné par l’Europe, ont eux été bien pires que les conséquences de la crise de 2008/2009. De fait, si l’on ne trouve pas une solution rapide à cette contraction du crédit, c’est à une hécatombe des PME-PMI italiennes que l’on va assister d’ici trois mois. Les conséquences, tant économiques que sociales et politiques, d’une telle catastrophe seront cataclysmiques. Mais croire que ces conséquences pourraient être limitées à la seule Italie serait une profonde illusion. Si l’Italie entre dans une phase aiguë de sa crise, les répercussions se feront sentir en France.

Un suicide politique

Pourquoi, alors, dans ce contexte dramatique, François Hollande a-t-il choisi la procédure des ordonnances ? Rien ne l’y obligeait sur la question des retraites. Rappelons, d’ailleurs, que sur ce point la véritable variable critique est celle du taux de chômage. Que ce dernier baisse des 10,2% actuels à 8%, et les retraites sont à nouveau financées, compte tenu de la démographie française qui est expansionniste. Il faut, sans doute, y voir les effets d’une politique qui s’est résignée, sans le dire, à un accroissement important et durable du chômage. Mais, ces mesures provoqueront naturellement une nouvelle détérioration de la situation économique et en particulier de la consommation, ce qui provoquera une nouvelle hausse du chômage.

Mais il faut y voir aussi, et peut-être surtout, une réaction de panique devant les critiques allemandes (ici) sur la politique françaiseLe gouvernement montre alors qu’il va prendre ses ordres à Berlin. Que ces ordres soient relayés par des secteurs de l’élite française n’y change rien. On à déjà connu une telle situation dans l’Histoire…Bien sur, on dira que c’est pour la bonne cause, pour sauver l’Euro qui serait compromis par la « faiblesse » des réformes françaises. Ceci se payera au prix fort, très probablement aux élections européennes de 2014. Mais, en attendant, le gouvernement a commis un véritable suicide politque.

Billet préalablement publié sur Le Carnet de Jacques Sapir

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