Le restaurant d'après : confessions gastronomiques avec Hélène Darroze<!-- --> | Atlantico.fr
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La cheffe française Hélène Darroze pose lors d'une séance photo, à Paris, le 11 février 2021.
La cheffe française Hélène Darroze pose lors d'une séance photo, à Paris, le 11 février 2021.
©JOEL SAGET / AFP

Bonnes feuilles

Alain Bauer publie "Confessions gastronomiques, le restaurant d'après" aux éditions Fayard. 59 chefs et cheffes ont bien voulu utiliser un temps d’incertitude, de doute et de crise pour se confier sur leur parcours, leurs évolutions, leurs projections. Avec Alain Bauer, ils se sont livrés comme jamais au regard bienveillant mais interrogateur d’un client qui "sait manger" sans pour autant s’imaginer cuisinier. Extrait 2/2.

Alain Bauer

Alain Bauer

Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers, New York et Shanghai. Il est responsable du pôle Sécurité Défense Renseignement Criminologie Cybermenaces et Crises (PSDR3C).
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Hélène Darroze

Hélène Darroze

Propriétaire et chef de deux restaurants parisiens, Marsan, rue d'Assas et Joia, rue des Jeûneurs, Hélène Darroze dirige également le restaurant Hélène Darroze at The Connaught au sein du légendaire Connaught Hotel à Londres. Hélène Darroze est également la seule femme du jury de l'émission Top Chef diffusée sur M6 depuis 2015.

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SUBSTANCE

Mon premier plat, le premier dont je me souvienne, était un camagnon de porc, comme un jarret de porc laqué avec un jus aux agrumes, un morceau de poitrine confite et une semoule. Je propose aussi le premier baba à l’armagnac, et l’escaoutoun, plat traditionnel landais à base de farine de maïs que je traite comme une polenta, je le sers alors avec des cèpes rôtis et crus et un jus de volaille. Je crée, je revisite, j’intègre ce que j’ai appris avec Alain Ducasse, mon imagination et le respect des produits de terroir.

Je réfléchis alors à une offre qui me ressemble, pas une simple adaptation des plats landais à Paris. Je propose des plats dont certains ne méritent pas d’être rappelés, mais ma politique reste la même : construire autour de bons produits, qui tirent leur source pour beaucoup du  Sud-Ouest, cuisinés avec ma personnalité, ma sensibilité, mes émotions. En parallèle, je rends hommage aux recettes de mes  grand-mères dans un livre qui représente ma tradi-tion personnelle, assez éloignée de mes créations au restaurant. Mes  grand-mères ont eu une importance capitale dans mon éducation culinaire. Louise Darroze, la cuisinière de l’ombre sans qui mon  grand-père Jean n’aurait pas été le chef doublement étoilé qu’il a été, m’avait tout appris, à choisir le produit, à magnifier la cuisine à travers des recettes parfois très classiques, etc. Charlotte, ma  grand-mère maternelle, régalait tous les jours l’écolière que j’étais, ses tomates farcies, sa daube de cèpes, ses légumes à la béchamel restent des monuments inoubliables de gastronomie. Je mettais la main à la pâte en prenant un plaisir gourmand à curer le fond de saladier. Tous ces moments ont développé mon goût, mon palais, ce désir de bien cuisiner (et aussi celui de partager autour de la cuisine). Mais tout cela relève bien plus de l’univers des valeurs que d’une quelconque technique ou approche de la cuisine. Si je peux refaire des recettes chez moi, je n’en propose pas à la carte sauf à la carte de Jòia.

À Londres, la condition de mon installation, c’est de faire la cuisine qui me ressemble, que j’aime, je reste dans les mêmes valeurs. On s’adapte d’abord un tout petit peu aux produits de  là-bas, mais notre travail consiste à aller à la découverte des producteurs anglais et à les encourager à faire toujours mieux. On continue à faire venir les produits du  Sud-Ouest qui font la différence (volaille, foie gras, asperges blanches).

AMBIANCE

Rue d’Assas, j’imagine un restaurant en deux étapes. Un restaurant au rez-de-chaussée plutôt « tapas gastronomiques » et le gastronomique au premier étage. Je ne cherche pas vraiment de cohérence de décor. J’appelle un cousin, Henri Becq, décorateur d’intérieur, qui me connaît bien et qui me propose des options. Sincèrement, je ne fais pas trop de lien et ma cuisine n’évolue pas en fonction de la décoration. La rue d’Assas a été rénovée en 2019 avec la collaboration d’un architecte d’origine basque, Patrice Gardera. J’ai toujours dit aux personnes qui travaillaient avec moi que je voulais que les gens se sentent comme s’ils étaient chez moi, dans ma maison. Donc je voulais quelque chose de très enveloppant, de très confortable, de très cosy, comme on dit à Londres. Je voulais aussi travailler la matière brute, sans fioritures (le béton, le bois, la pierre) que l’on irait chercher dans le  Sud-Ouest. On me parle souvent de mon attirance supposée pour la couleur orange, mais je ne sais pas d’où ça sort. Il y avait de l’orange dans le premier décor de Marsan, des fauteuils tomate, aubergine et orange, des bas de murs vert d’eau. Mais ce n’est pas une « signature », juste une composition.

Partout, je veux une parfaite cohérence avec mon style, ma cuisine, mes valeurs, quelques adaptations locales pour des raisons de proximité de produits, mais pas du tout d’adaptation de ma cuisine au décorum extérieur, je ne sais pas faire.

Jòia, puis Marsan, ont un décor confortable et chaleureux. Jòia, c’est vraiment l’idée du partage, les produits qu’on met au milieu de la table et qu’on partage, comme cette idée du pilon pour réaliser son guacamole, pour entretenir la convivialité, le partage, le choix de son propre assaisonnement (même si la plupart des clients mettent tout).

Au Connaught, c’est la même démarche : faire un « chez-moi » pour que l’on se sente chez soi, avec des matières simples et confortables. C’est India Madhavi qui a fait le premier décor, puis en 2019 tout a été repensé par Pierre Yovanovitch.

ET MAINTENANT ?

Les journaux ont beaucoup brodé sur une période déjà très difficile, j’ai lu que « j’étais cuisinée par le doute », ce qui n’est pas exact. Je suis toujours dans la remise en question. C’est très différent. Je me remets tout le temps en question, dans mon travail, dans la vie, dans tout, parce que je pense que c’est comme ça qu’on avance. Surtout, je pense que rien n’est gagné, mais je me sens tout à fait légitime dans l’univers dans lequel je travaille, même si je ne suis pas une technicienne, que j’ai appris sur le tas et beaucoup par  moi-même. Je cuisine autrement, beaucoup plus instinctivement, beaucoup plus naturellement. Je suis plutôt une cuisinière qui va à la recherche de l’émotion avant d’aller à la recherche de la technique, et j’ai la chance d’avoir des techniciens autour de moi pour me compléter, c’est le sens d’une équipe.

Dans Personne ne me volera ce que j’ai dansé, ce livre très particulier, ni recettes, ni biographie, ni concours de photographies et de selfies, je voulais montrer l’émotion, les sentiments, la sensibilité, le ressenti. J’écris encore des histoires, des recettes, mais ce  livre-là recèle une bonne part de ma vérité. J’adore écrire, hélas, je n’ai pas assez de temps pour le faire. Je prends du plaisir à écrire. C’est quelque chose qui me remplit, qui me satisfait.

Sur le fond, je veux continuer à exploiter mes restaurants, pas comme je les ai laissés, c’est certain, car après une année de fermeture, de confinements, déconfinements, jauges, etc., ça tourne dans les têtes, la mienne, celle des équipes. Mais on va continuer à évoluer vers les tangentes sur lesquelles on les a laissés. On va continuer à faire du Jòia avec une terrasse, si on peut la maintenir dans le temps et avec les beaux jours.

On a fait du Click & Collect dès la fin du premier confinement à Jòia, on a lancé une ligne de « burger premium » qui a beaucoup marché. Mais il faut de la place et du stockage, on va donc sans doute continuer ailleurs, mais on ne peut pas tout faire dans les conditions habituelles, car tout rouvrir en gardant les nouveautés nécessite des adaptations. La question se pose d’une diversification de l’offre. Les réouvertures sont des challenges difficiles, et je ne suis pas multifonction, donc je ne sais pas ce qui pourra continuer ou évoluer. Ce qui m’amuserait beaucoup serait de proposer une offre de cuisine familiale à emporter ou à livrer, un poulet à l’oignon comme faisait mon  grand-père, des asperges avec une sauce à l’œuf mollet. Mais je préfère rester prudente, je ne suis pas de celles ou de ceux qui ont des envies de développement à tout va. J’ai quand même réfléchi, dans la rue des Jeûneurs, à l’idée d’avoir une petite épicerie avec les armagnacs de mon frère, des pâtés en croûte, des plats du jour, voire un labo de boulangerie, comme à Marsan, au  sous-sol, dans le labo de pâtisserie, où un coin boulangerie qui produit le pain pour tous les restaurants et pour les burgers peut être aménagé. Tout ce que je sais, c’est que je continuerai à cuisiner, sans aucun doute.

A lire aussi : Le restaurant d’après : confessions gastronomiques avec Marc Veyrat

Extraits de "Confessions Gastronomiques", d’Alain Bauer, 858 pages, 26 euros.

© Fayard 2021

Sur Instagram : @confessions_gastronomiques

Lien vers la boutique : cliquez ICI et ICI

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