Le Popadantsy, ce genre littéraire qui a discrètement acclimaté les Russes à une guerre contre l’Ukraine et l’Otan sans que l’Occident ne s’en rende compte<!-- --> | Atlantico.fr
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Un genre littéraire en russie, le popadantsy, a contribué à véhiculer des thématiques liées à la guerre et à la réécriture de l'histoire.
Un genre littéraire en russie, le popadantsy, a contribué à véhiculer des thématiques liées à la guerre et à la réécriture de l'histoire.
©Capture d'écran Twitter / DR

Propagande

Un genre littéraire de réécriture de l'histoire en Russie, qui porte le nom de « popadantsy », connait un franc succès et a envahi les librairies ces dernières décennies. L’esprit de revanche qui domine dans ces ouvrages a-t-il contribué à diaboliser l’Ukraine, les Ukrainiens et l’OTAN ?

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Atlantico : Le genre russe de réécriture de l'histoire de la « bataille fantastique » porte le nom de « popadantsy » (voyageurs du temps, littéralement : « apparitions »). Inspirés par « Un Yankee à la cour du roi Arthur  » de Twain et « The Ethical Engineer » de Harrison, les Russes ont ouvert une mine d'or d'histoires sur la Russie. Ces livres véhiculent notamment l’idée du revanchisme et de la réécriture de l’histoire. Quelle est la réalité de ce genre littéraire ?

Viatcheslav Avioutskii : Aujourd’hui, 6.000 titres d’ouvrages sont disponibles dans ce genre littéraire en Russie. Il a émergé dans la période soviétique puis post-soviétique. La popadantsy fait partie d’un genre plus large, fantasy. Dans ces ouvrages, un personnage voyage dans le temps (généralement dans le passé) et va se retrouver dans un contexte différent. On retrouve dans une partie de ce type d’ouvrages des sujets liés à la réécriture de l’histoire de la Russie. Un personnage qui dispose d’un équipement militaire moderne va se retrouver par exemple au XVIIIe siècle. Il va alors changer le cours de l’histoire en utilisant des armes automatiques en aidant à gagner une bataille qui avait été perdue par l’armée russe.

L’échelle de ce type de phénomène littéraire en Russie a été largement ignorée dans la société occidentale. Le phénomène a pris une place importante dans la société russe. L’opinion internationale se focalise plutôt sur les présentateurs de télévision russes qui font de la propagande aux heures de grande écoute. Mais il est vrai que ces ouvrages sont de qualité littéraire assez limitée. En d'autres mots, il ne s'agit pas de Tolstoï ou de Cholokhov, ce qui signifie qu'ils ne sont pas traduits en langues occidentales. Les auteurs essayent de réécrire l’histoire. On retrouve dans une partie de ces ouvrages à la fois le revanchisme historique, qui est une notion très importante au sein de la propagande russe d’aujourd’hui. Quelle est la représentation géopolitique que le gouvernement russe veut imposer à la société ? Celle de la grande puissance russe, de l’Empire russe avant 1917 puis de l’Union soviétique qui lui a succédé. Selon le Kremlin, mais aussi une partie des Russes nostalgiques de la grandeur d'autrefois, ces deux grandes entités ont succombé non pas à cause des problèmes internes mais à la suite des manipulations faites par l’Occident.

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Le message de la propagande officielle est très claire: "Après la fin de l’URSS, la Russie a été traitée de manière injuste par l’Occident". Il y a donc une idée géopolitique prédominante qui s’impose dans les discours de la majorité écrasante des hommes politiques russes (à l'exception d'un groupe très réduit issu de l'intelligentsia libérale) et notamment de Vladimir Poutine lorsqu’il parle de « l’Occident perfide » qui a fait des promesses envers les Russes lorsqu’ils ont accepté la fin de l’URSS. En réalité, il n’y a jamais eu de promesse écrite sur la question de l’extension  de l’OTAN à l’Est. Il y avait eu l’engagement à l’époque des Etats-Unis de ne pas créer des bases militaires dans la RDA qui devait être réintégrée au sein de la RFA au moment de la négociation. L’OTAN a toujours été considérée comme une alliance plutôt ouverte, prête à accepter de nouveaux membres.

Le marché du livre russe a-t-il pu préparer les Russes à une guerre à grande échelle contre l'Ukraine, l'OTAN, l'Occident, et a promu le stalinisme, et comment cela a été ignoré par l'Occident ? L'idée était-elle de créer une atmosphère autoritaire et militariste à travers les librairies ?

L’Occident a ignoré ce phénomène qui a été assez important dans le formatage de l’opinion publique russe au même titre qu’avec les médias contrôlés par l’Etat à la télévision ou qu’avec le changement des programmes scolaires. Il y a eu aussi une glorification de la « grande guerre patriotique », de la Seconde Guerre mondiale, gagnée par l'Union soviétique contre l'Allemagne nazie et ses alliés de l'Axe. Cela s’est aussi propagé au cinéma ou dans d’autres productions.    

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Ces ouvrages de qualité littéraire très limitée sont destinés à un large public et sont produits massivement. La cible concerne un public qui n’a pas d’esprit critique et qui ignore la réalité historique qui existe.

L’existence même de ce type d’ouvrages souligne la grave crise morale que la société russe traverse. Les repères éthiques ont été inversés. Il y a eu une volonté de militariser l’histoire avec ces ouvrages.

L’Union soviétique avait essayé de glorifier le passé et la victoire lors de la Seconde Guerre mondiale. La Russie a su gagner face au plus grand mal, incarnée à l'époque par l'Allemagne nazie, et a pu sauver le monde. Les armées russes étaient au niveau des armées occidentales à l'époque.

L’esprit de revanche, le revanchisme qui domine dans ces livres a-t-il contribué à diaboliser l’Ukraine, les Ukrainiens et l’OTAN ? Les couvertures de ces livres sont notamment très hostiles vis-à-vis des Ukrainiens.

Il y a tout une partie de ces ouvrages très simplistes qui reflète la propagande actuelle ; cela a contribué à l’hostilité. Les Ukrainiens sont présentés comme des êtres déshumanisés et des traîtres. Dans ces ouvrages, l’Ukraine est assimilée à une nation foncièrement nazie, qui est hostile aux valeurs de la grande nation russe.

L’existence de ces ouvrages est très étonnante. Le fait qu’il y ait une partie de la jeunesse qui lise passionnément ce type de livres montre qu’il y avait un mal profond de cette société russe rongée de l’intérieur par le transfert impérial au lieu de se tourner vers une société russe démocratique et libre. Une partie de la population était probablement déjà formatée ou presque pour accepter ce type de discours et de propagande. Ils ont projeté ce monde virtuel dans ces œuvres littéraires vers la réalité.  

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Qu’est-ce que ce genre littéraire laisse présager pour l’issue du conflit ?

Il est très difficile de mesurer l’issue du conflit. La nation ukrainienne s’est mobilisée. Les militaires ukrainiens montrent une grande preuve de courage face à l’armée russe. Mais il y a une prédominance chez les Russes du côté de l’équipement militaire.

Si on se base sur ces ouvrages, une telle offensive pourrait commencer le feu d’une grande restructuration géopolitique au niveau global. Et pendant ce chaos, cela pourrait contribuer à faire s’effondrer le modèle capitaliste occidental. Sur ses ruines, une nouvelle société pourrait émerger. Selon la vision de ces ouvrages, l’Ukraine n’est que le premier chapitre vers une confrontation plus large avec l'Occident et plus précisément avec les USA.

Les Russes veulent surtout récupérer leur influence en Europe de l’Est.

On retrouve de vrais délires géopolitiques dans ces ouvrages. Ces délires sont véhiculés aussi par les propagandistes aux heures de grande écoute à la télévision.

Ce qui est très inquiétant c’est que l’Occident préfère les ignorer. Si l’on est détesté à ce point déjà dans la société russe, il est difficile d’arrêter ce mécanisme juste en signant un accord de coopération.

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