Le piège africain d’Emmanuel Macron : la restitution a minima du patrimoine africain<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président sénégalais Macky Sall reçoit le sabre d'El Hadj Omar Tall du Premier ministre français Edouard Philippe au Palais de la République à Dakar, Sénégal, le 17 novembre 2019.
Le président sénégalais Macky Sall reçoit le sabre d'El Hadj Omar Tall du Premier ministre français Edouard Philippe au Palais de la République à Dakar, Sénégal, le 17 novembre 2019.
©SEYLLOU / AFP

Bonnes feuilles

Pascal Airault et Antoine Glaser publient « Le piège africain de Macron: Du continent à l'Hexagone » aux éditions Fayard. Mai 2017 : Emmanuel Macron est élu président de la République française. Il promet de faire souffler un vent nouveau sur les relations avec le continent africain. Mais il se heurte vite au réel. Sur un continent mondialisé redevenu géostratégique, la France ne pèse guère plus que par son armée dans le Sahel et quelques empires économiques familiaux. Extrait 2/2.

Antoine Glaser

Antoine Glaser

Antoine Glaser est un journaliste et écrivain.

Il est le fondateur et l'ancien rédacteur en chef de La Lettre du Continent, lettre confidentielle bimensuelle consacrée à l'Afrique.

Il est l'auteur de Comment la France a perdu l'Afrique (Hachette Littératures, 2006) et Sarko en Afrique (Plon, 2008)

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Pascal Airault

Pascal Airault

Pascal Airault est journaliste à L’Opinion, où il couvre les thèmes relatifs à l’Afrique. Il a suivi des pays en crise comme la République démocratique du Congo, la Côte d’Ivoire et les printemps arabes, notamment la transition démocratique marocaine.

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La scénographie était trop belle, trop travaillée, pour la narration de cet épisode de l’histoire de France en Afrique, ce 18 novembre 2018. À l’occasion de son premier voyage officiel au Sénégal, Édouard Philippe remet au président Macky Sall le sabre d’El-Hadj Oumar Tall, fondateur de l’empire toucouleur qui mena le djihad au XIXe  siècle dans le Sahel contre le colonisateur français. Le Premier ministre français accompagne ce geste d’un rappel historique circonstancié : le petit-fils d’El-Hadj Oumar Tall a été le premier officier de Saint-Cyr d’origine africaine ! Déduction de ce symbole de temps de fraternité : si le grand-père a pourfendu les « valeureux capitaines » de l’empire français, son petit-fils a été formé dans le camp des vainqueurs. Fermez le ban… Tout était parfait. Nickel comme le fourreau du sabre, bien astiqué sur son coussin rouge. Le remettant et le récipiendaire étaient ravis. Édouard Philippe a confessé qu’il avait un lien particulier avec les sabres. La preuve : son propre sabre d’officier français le suit partout dans ses bureaux officiels, depuis son service militaire. Quant au président Macky Sall, lui-même toucouleur, comme El-Hadj Oumar Tall, il s’est félicité que « les descendants d’anciens belligérants se retrouvent et sympathisent comme pour signer définitivement la paix des braves ».

Préparée de longue date, cette cérémonie marquait le premier acte concret des propositions du « Rapport sur la restitution du patrimoine africain », confié en 2018 par Emmanuel Macron à deux chercheurs : Felwine Sarr et Bénédicte Savoy. Une promesse du président français, qui s’était engagé en novembre 2017, à Ouagadougou, dans sa première déclaration de politique vis-à-vis de l’Afrique, à ce que, « d’ici cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain ». Il avait précisé sa conviction : « Je ne peux pas accepter qu’une large part du patrimoine culturel de plusieurs pays africains soit en France. […] Il y a des explications historiques à cela, mais il n’y a pas de justification valable et inconditionnelle, le patrimoine africain ne peut pas être uniquement dans des collections privées et des musées européens. »

Dans leur rapport, les deux chercheurs avaient relevé que les descendants d’El-Hadj Oumar Tall réclamaient depuis 1994 le retour de ses reliques, la numérisation de ses manuscrits (518 pièces) à la Grande Bibliothèque nationale et… le fameux sabre, longtemps exposé au musée de l’Armée, à Paris. Ce sabre, dont la lame aurait été forgée à la manufacture de Klingenthal (Bas-Rhin), est sans doute plus français qu’omarien ! Mais il a été préféré aux manuscrits pour une raison très pragmatique. Depuis 2018, l’arme est exposée à Dakar au musée des Civilisations noires. De plus, comme la politique fait parfois bien les choses, le prêt initial avait été transformé en octobre 2019 en dépôt pour une durée de cinq ans. Jusque-là, le principe d’inaliénabilité des collections nationales des musées français rendait impossible toute restitution définitive… Le sabre n’attendait plus que la mise en musique juridique de la promesse présidentielle.

Aussitôt dit, aussitôt fait : présenté le 15 juillet 2020 à l’Assemblée nationale française, un projet de loi a libéré le sabre et son fourreau de leur droit de propriété français… Dans le même projet de loi a été inscrite la restitution à la République du Bénin du « trésor de Béhanzin » : vingt-six œuvres, dont trois statues anthropomorphes. Ces pièces étaient des prises de guerre du général Alfred Dodds, qui avait déposé le roi Béhanzin après deux années de combats (1892-1894).

Ce premier acte correspondait, à la lettre, à la stratégie proposée par Felwine Sarr et Bénédicte Savoy. Sans doute avertis de l’hostilité qu’allait déclencher leur rapport dans les milieux professionnels, ils conseillaient « une restitution solennelle de quelques pièces hautement symboliques réclamées depuis longtemps par différents États ou communautés africains pour prouver la réelle volonté de restitution de l’État français », avant « l’élaboration commune entre experts des musées et du patrimoine en France et en Afrique d’une méthodologie pratique des restitutions ». Ils avaient également tenu à lever toute l’ambiguïté des propos présidentiels entre des restitutions « temporaires » ou « définitives » du patrimoine africain. Pour eux, l’expression « restitutions temporaires » a le sens de « solution transitoire », « permettant le retour définitif et sans condition d’objets du patrimoine sur le continent africain ».

On s’attendait à une violente réaction des milieux de collectionneurs à cette initiative d’Emmanuel Macron. Cela n’a pas été le cas. Plusieurs courageux ont tout de même rappelé qu’ils avaient souvent sauvé des objets promis à la destruction. Le seul propos qu’ils n’acceptaient pas était d’être traités de « pilleurs ». Certains, à l’instar du galeriste Robert Vallois, alléguaient qu’ils n’avaient pas attendu l’intervention des États, pas plus français qu’africains, pour construire, avec leur propre argent, des centres d’art sur le continent. Ils en ont profité, dans la foulée, pour critiquer l’incurie des autorités locales : « Au Bénin, il y a plusieurs palais royaux. Il y a des objets magnifiques. Tout cela est en ruine. Il n’y a aucun effort qui est fait par l’État, par les gouvernements. On n’est pas critique vis-à-vis du gouvernement, simplement on constate », lâchait, un peu amer, Robert Vallois en 2018.

Plus inattendue, la charge la plus virulente contre les auteurs du rapport est venue de Stéphane Martin, l’ancien initiateur et directeur du musée du Quai Branly-Jacques Chirac, que les rapporteurs avaient pourtant longuement consulté. Auditionné le 19 février 2020 par les sénateurs de la Commission de la culture, de l’éducation et de la communication, le haut fonctionnaire culturel a d’abord critiqué le « choix très étrange » d’Emmanuel Macron de chercheurs qui « ne sont pas des gens du musée ». Selon Stéphane Martin, « le musée est présenté [dans ce rapport] comme une invention occidentale, voire un lieu criminel, où l’on retire leur magie aux objets, qui sont abandonnés à la perversité de Picasso ou d’Apollinaire… ». Pour lui, « l’angle mémoriel qui est au cœur du rapport Sarr-Savoy conduit à considérer que ces objets sont liés à des moments dramatiques, douloureux, voire criminels ». Beaucoup plus modéré, son successeur à la tête du musée du Quai Branly, le Kanak Emmanuel Kasarhérou, estime que le rapport Sarr-Savoy – qu’il a tout de même traité de « militant » dans un entretien au New York Times – « pousse les musées à s’interroger sur les collections issues des périodes coloniales », tout en relevant que « les objets proviennent de groupes culturels, pas de nations qui n’existaient pas à l’époque. Il y a toute une série de conventions sur lesquelles il faut qu’on réfléchisse, parce qu’on les a utilisées par facilité  ». « J’entends parfois dire : “Le patrimoine est à l’extérieur”, explique Emmanuel Kasarhérou. Il faudrait nuancer. C’est le patrimoine considéré par les musées européens et leur regard particulier qui est à l’extérieur. Mais le patrimoine pour une société orale, c’est à 90 % de l’oralité. C’est la langue, la danse, le chant, le savoir-faire… C’est d’ailleurs pour cela que ces cultures sont toujours là … » D’après le rapport Sarr-Savoy, sur les 90 000 œuvres d’art africaines du musée du Quai Branly, environ 70 % seraient arrivées en France entre 1885 et 1960, soit au temps de la colonisation.

Le dossier de la restitution des biens culturels est confié à Rima Abdul-Malak, nouvelle conseillère culture d’Emmanuel Macron, avec laquelle les conseillers Afrique de l’Élysée travaillent en étroite collaboration. Le projet de loi sur la restitution du sabre au Sénégal et des œuvres au Bénin est passé devant l’Assemblée nationale le 2 octobre 2020. Contrairement aux vœux des chercheurs, le rapport pour avis du projet précise bien qu’il ne s’agit que de « sorties des collections au cas par cas », et les députés du groupe Les Républicains n’ont accepté de voter le projet de loi qu’accompagné d’un amendement réaffirmant le « principe d’inaliénabilité des collections muséales françaises ». Bref, comme le souligne, dans les débats, la députée LR Constance Le Grip : « Il ne s’agit ni d’une loi-cadre, ni d’un texte modifiant le Code du patrimoine français, ce à quoi je me serais opposée avec détermination, mais d’une législation ad hoc au cas par cas. » Pas étonnant que Felwine Sarr et Bénédicte Savoy n’aient pas répondu à l’invitation, le 23 septembre 2020, de la Commission des affaires culturelles pour le rapport sur avis de l’Assemblée nationale, officiellement « pour des raisons logistiques, l’un étant aux États-Unis, l’autre en Allemagne ». Ils avaient également boudé celle du Sénat qui proposait, le 19 novembre 2020, d’amender le texte avec la création d’un « Conseil national chargé de réfléchir aux questions de circulation et de retour d’œuvres d’art extra-occidentales ». Estimant que le gouvernement agit aujourd’hui dans la précipitation, prenant seul les décisions quant aux demandes, sur la base de considérations exclusivement diplomatiques, sans que la communauté scientifique ait pu faire entendre sa position sur l’opportunité et la pertinence de ces restitutions, au risque de fausser totalement l’authenticité de la démarche, les sénateurs ont finalement rejeté le 15 décembre 2020, en nouvelle lecture, ce projet de loi. Faute de consensus entre les deux chambres, le gouvernement a fait appel à la procédure du « dernier mot » en imposant le texte à l’Assemblée nationale, qui a été adopté le 17 décembre.

Dans les milieux politiques parisiens, le débat s’est rapidement déplacé sur un autre sujet : la pertinence du financement par la France de musées en Afrique. Dans une question écrite au ministre de la Culture, le sénateur LR Ladislas Poniatowski s’interrogeait le 19 septembre 2019 sur le prêt de 20 millions d’euros accordé par l’Agence française de développement à la République du Bénin, dont 12 millions pour le seul musée d’Abomey – ville natale du président Pascal Talon – qui accueillera le retour du « trésor de Béhanzin ». « Quelle compétence gouvernementale ou parlementaire a permis à l’AFD d’attribuer cette somme ? » demande le parlementaire. La question sous-jacente est celle-ci : le contribuable français devra-t-il financer tous les musées africains qui accueilleront les restitutions du patrimoine ?

A lire aussi : Le piège africain d’Emmanuel Macron : la logique militaire imposée au Sahel

Extrait du livre de Pascal Airault et Antoine Glaser, « Le piège africain de Macron : Du continent à l'Hexagone », publié aux éditions Fayard.

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