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Le patronat français ne réussira pas à étouffer le rapport Senard-Notat qui veut révolutionner l’entreprise
©REUTERS/Ralph Orlowski

Atlantico Business

Nicole Notat et Jean-Dominique Senard proposent de graver dans le Code civil que les entreprises ne s’occupent pas seulement des actionnaires, mais aussi des enjeux sociaux et environnementaux.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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« C’est audacieux dans le fond, habilement présenté dans la forme. Bref c’est intelligent. Et on n’y échappera pas». Ce commentaire très dubitatif, fait par un des plus grands patrons du CAC 40, résume à lui seul l’importance attendue des réformes proposées par Nicole Notat (l’ex-secrétaire générale de la CFDT) et Jean-Dominique Senard (le patron de Michelin).

Ces deux personnalités qui avaient été chargées par le gouvernement de faire des propositions pour rapprocher l’entreprise de l’intérêt général, ont finalement après deux mois et « plus de 200 auditions », opté pour une mesure emblématique, censée convaincre l'opinion « que l'entreprise n'est pas seulement au service de ses actionnaires ».

Pour faire simple, Nicole Notat et Jean-Dominique Senard proposent de modifier l'article 1833 du Code civil. « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés ». Cet article date de 1804 et revient à sacraliser l'intérêt des actionnaires.

Jean-Dominique Senard et Nicole Notat proposent d’y ajouter un second alinéa : « La société doit être gérée selon son intérêt propre en considérant les enjeux sociaux et environnementaux. »

Ça peut paraître anodin, puéril ou évident mais ça peut tout changer.  Le parti communiste et la CGT ont, par la voie de l’Humanité, considéré que le texte était dérisoire, et ne changerait rien. Un rideau de fumée. Une grande partie du patronat considère que c’est inutile et parce que c’est inutile, pas besoin de de le graver dans le marbre du Code civil.

Mais si c’est évident, pourquoi pas ?

Il y a quand même quelque chose d’étonnant en France.Les contre pouvoirs de gauche sont tellement imbibés de la coutume du conflit qu’ils rejetteront d’emblée toute réforme capable de faciliter le compromis dans les rapports sociaux. Du coté du pouvoir économique et financier, on n’est pas à une hypocrisie près. On applaudit Warren Buffet, l’homme le plus riche du monde quand il déclare que l’entreprise a obligatoirement une mission sociale et environnementale. On accepte même d’écouter Larry Fink le patron de Black Rock, le plus grand fondsd‘investissement du monde (6000 milliards de dollars d’actifs gérés) quand « il exhorte les entreprises dans lesquelles il est actionnaire à plus de transparence et de réflexion concernant leur stratégie ! Moins d’exigence à court terme, et plus d’analyse dynamique de l’évolution des entreprises »

Mais quand deux personnalités françaises choisies par le gouvernement décident de modifier un article du Code civil qui permettrait aux entreprises de consigner dans leurs statuts la prise en compte d’une réalité, elles sont accueillies soit dans l'indifférence en espérant qu’on les oublie rapidement, soit dans la violence de la critique pour que le pouvoir politique range le rapport au placard.

Le changement proposé n’est pas purement symbolique. Il s’agit d’un changement majeur. L’entreprise ne se résumerait pas à satisfaire le seul intérêt de ses associés ou actionnaires, mais toutes ses composantes : salariés, clients, fournisseurs, et environnement. De même, sa prospérité sur le long terme serait davantage prise en compte et non plus uniquement sur sa rentabilité financière de court terme. Bref, à côté de ses objectifs financiers, l’entreprise devrait se voir imposer la prise en compte des « enjeux sociaux et environnementaux », ce qui la rapprocherait de l'intérêt général.

Parce que ce qui ressort de toutes les auditions réalisées pour faire ce rapport, c’est le sentiment que l'entreprise est de plus en plus mal aimée, mal comprise, mal supportée par l’opinion publique, donc par les clients, les fournisseurs et les salariés.

Pour Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, il faut tenir compte de ce changement.On n‘est plus au XIXèmesiècle, ni même au XXesiècle.

Pour que ça soit opérationnel, les conseils d'administration et de surveillance se verraient confier la responsabilité de formuler la « raison d'être » de l'entreprise, laquelle guiderait la stratégie au regard de ses enjeux sociaux et environnementaux.

Pour Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, c'est la raison d'être de l'entreprise qu’il faut changer parce que « cette raison d’’être sera un guide pour déterminer les orientations stratégiques de l'entreprise et les actions qui en découlent. Une stratégie vise une performance financière certes mais qui ne peut s'y limiter ».

Chez Michelin, on résume la raison d'être par la formule suivante, explique son patron : « offrir à chacun une meilleure façon d'avancer ». Cela sonne comme un slogan publicitaire, mais c'est de nature, selon Jean-Dominique Senard, à traduire sa volonté de faire de Michelin le « leader de la mobilité durable ». Et cela ne concerne pas que les clients mais aussi les 120 000 salariés.

On retrouve cette préoccupation dument prise en compte dans des entreprises pionnières, et depuis longtemps très en avance comme L’Oréal et surtout Danone.

Alors,les organisations patronales, le Medef en tête, ne se sont pas privées de critiquer ce type de réformes en indiquant qu’on irait tout droit au devant d‘une multitude de contentieux juridiques.

Pour Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, ce risque est écarté parce que la jurisprudence tient compte déjà de l’intérêt propre de l’entreprise au delà même de celui de ses actionnaires. Dès 1995, le Medef d’aujourd hui l'a oublié, mais le CNPF de l'époque « décrivait l’entreprise comme un agent économique autonome, poursuivant des fins propres, distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de ses salariés, de ses créanciers, dont le fisc, de ses fournisseurs et de ses clients, mais qui correspondent à leur intérêt général commun qui est d'assurer la prospérité et la continuité de l'entreprise ».

L‘Afep, l’association française des entreprises privées, analyse avec beaucoup de pragmatisme cette initiative qui reviendrait à trouver un juste équilibre entre l’intérêtfinancier des actionnaires et sa raison d’être vis à vis de l’environnement. « Avec d'un côté, la volonté de répondre aux attentes exprimées sur le rôle de l'entreprise vis-à-vis de son environnement et de traduire dans la loi la volonté partagée d'un développement axé sur le long terme ; de l'autre, le souhait de maintenir la stabilité juridique indispensable aux entreprises sur les textes fondateurs du contrat de société. Il importera toutefois d'examiner la portée de notions nouvelles comme celle de « raison d'être » appliquée à l'entreprise» a précisé l’AFEP dans un communiqué.  

Pour Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, il faudra, pour les entreprises qui veulent aller plus loin, les autoriser à faire figurer leur raison d’être dans les statuts, quelle que soit leur forme juridique.

On retombe là sur les entreprises à mission que revendiquent des américains comme Warren Buffet ou Larry Fink (Black rock).

Ces entreprises à mission se sont développées aux États-Unis et se fixent quatre obligations.

D'abord, l'inscription de la raison d'être dans les statuts par un vote à la majorité des deux tiers.

Ensuite, l'instauration d'un « comité d'impact » doté de moyens pour vérifier que l'action de l'entreprise est conforme à sa raison d'être. Ce comité pourrait inclure des représentants des parties prenantes (ONG, territoire sur lequel l'entreprise est présente, fournisseurs, clients, …). Il devra également y avoir un contrôle par un tiers du respect de la raison d'être, qui devra être publié.

Enfin, un rapport de performance extra financière devra être réalisé, sur le modèle de ce qui se pratique déjà pour les entreprises de plus de 500 salariés. Ce qui impose, dans les faits, une obligation de résultat par rapport à « la mission » propre à l'entreprise.

Signe des temps, l'Afep s’est félicitée que la création d'entreprises à mission passe par des modifications statutaires, garantissant ainsi le respect de la liberté de choix de chaque entreprise.

Le patronat qui était contre la réforme, l’accepte donc et l’encourage si elle ne s’applique qu’aux entreprises qui l’auront choisie.

En fait, les entreprises à mission préfigurent ce qu’au final toutes les entreprises finiront par accepter de devenir.

Pourquoi ? Et bien tout simplement sous la pression des actionnaires, (les fonds) des salariés et de la concurrence entre les entreprises.

Actuellement, les missions que se sont données des entreprises comme Michelin, Danone ou L’Oréal n‘ont en rien hypothéqué leurs performances financières. Au contraire. Les actionnaires sont plutôt fidèles, les salariés sont plutôt satisfaits de travailler dans des entreprises qui, non seulement ont une stratégie qui donne un sens à l’entreprise, mais qui donne aussi un sens à leur propre travail, au-delà de l’argent qu’ils gagnent.

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