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Le Nutella peut-il disparaître ?
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Touche pas à mon pot !

Le prix de l'huile de palme a augmenté de 10% depuis le début de l'année, ce qui le ramène aujourd'hui à 843 $ par tonne, contre 765 auparavant.

Benoit Daviron

Benoit Daviron

Benoit Daviron est chercheur en économie politique au CIRAD (Centre de Coopération International pour la Recherche Agronomique et le Développement). Il a été chercheur visitant au Département d’Economie Agricole de l’Université de Berkeley et responsable de l’économie et des sciences sociales au CIRAD. Son travail a principalement porté sur les échanges internationaux de produis agricoles et les politiques agricoles des pays en développement. En 2011 il a dirigé l’équipe chargée par le panel d’experts de haut niveau (HLPE) du Comité de la Sécurité Alimentaire Mondiale de produire le rapport sur la volatilité des prix agricoles.

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Atlantico : Le prix de l'huile de palme a augmenté de 10% depuis le début de l'année, jusqu'à atteindre les prix les plus chers depuis septembre 2012. Comment expliquer cette hausse ? Était-elle prévisible ou au contraire surprend-elle ?

Benoit Daviron : Plutôt que prévisible, cette hausse n'était pas particulièrement surprenante. Le marché des huiles connait un contexte tendu, plus encore que celui des céréales, qui a flambé en 2008 et à nouveau en 2012. Il y a eu des chocs : d'abord l'utilisation des oléagineux en tant que carburant (notamment chez les Européens) ainsi qu'une forte hausse de la demande en Asie et particulièrement en Chine et en Inde. Concernant les oléagineux, ces deux pays ont lâché leur politique d'autosuffisance : ils importent donc énormément pour pouvoir satisfaire la demande, avec une Chine plus portée sur le soja, l'Inde sur l'huile de palme. L'Europe constitue un troisième acteur : pour compenser le fait que ses autres oléagineux soient utilisés en tant que carburant elle importe plus d'huile de palme.

Concrètement, comment cette hausse se traduira-t-elle ? Quels sont les produits du quotidien les plus susceptibles de voir le prix augmenter ? Certains produits sont-ils tout simplement menacés ?

Il faut relativiser l'information : la hausse que connait l'huile de palme n'est pas représentative à ce stade. L'huile de palme est intégrée dans les produits transformées dont elle ne représente qu'une petite part, cela ne risque pas de peser véritablement sur le consommateur.

Pour autant, l'huile de palme, qui n'est pas nécessairement identifiée par le consommateur, est présente dans énormément de produits (alimentaire, savons et lessives, cosmétiques, agro-carburants). Il y a donc énormément de produits qui sont susceptibles d'augmenter, mais il faut prendre en compte le fait qu'il y a bien d'autres facteurs à prendre en compte : la hausse ne devrait pas être significative. Entre septembre 2010 et Janvier 2011, le prix de l'huile de palme est passé de 800 $ à 1300 $. En 2013, ils sont retombés à 800 et sont aujourd'hui à 856. Compte-tenu des fluctuations possibles sur ces marchés-là, c'est loin d'être décoiffant ! En conséquence, on ne peut pas vraiment parler de produits profondément menacés.

Le Nutella est composé à 20% d'huile de palme. Vont-ils être contraints de revoir la recette ?

Nutella a su faire face sans broncher aux hausses de 2008 et de 2012. En 2006, la tonne d'huile de palme coutait environ 400 $,  tandis qu'en 2008 son prix approchait les 1300. Entre 2011 et 2012, les prix ont oscillés entre 1300 et 1000 $.

Cette hausse, aujourd'hui, ne représente même pas une mauvaise passe, tout juste un frémissement par rapport à ce qu'on a connu sur ces deux précédentes périodes. Il y a peu de risques que ce qu'il se passe depuis trois mois les inquiètent, et moins encore que cela puisse les émouvoir.

Existe-t-il des substituts avec des propriétés (goût, consistance, texture) identiques ? A quel prix ?

Les chimistes des matières grasses, les lipochimistes, sont aujourd'hui tout à fait capables de substituer les huiles entre elles. Ils maitrisent suffisamment les oléagineux pour les travailler et, en les hydrogénant plus ou moins, ils parviennent à modifier les textures, la consistance ou le goût selon les besoins de l'industrie. Les Hollandais sont particulièrement doués

Pour autant, Nutella explique régulièrement qu'il est impossible d'obtenir la consistance de son produit sans huile de palme. Techniquement parlant, la chimie du gras est aujourd'hui assez développée pour permettre une substitution facile. On note d'ailleurs à quel point les prix de l'huile de palme et de l'huile de soja sont corrélées : ça n'est pas anodin. Quand le prix de l'huile de palme monte trop haut, on la remplace régulièrement par de l'huile de soja, et inversement.

L'huile de soja reste néanmoins plus élevée, en termes de prix, avec un différentiel plus important. Globalement, l'huile de palme reste l'huile la moins chère, malgré cette hausse de prix. La productivité à l'hectare est formidable. Le palmier est une des plantes avec l'une des productivités les plus fortes à l'hectare, en raison notamment de ses conditions de développement. (Soleil, chaleur, humidité)

L'huile de palme n'était-elle pas, à l'origine, une solution alternative aux autres produits de même utilité ? A partir de là, le déclin (si tant est qu'on puisse parler de déclin) de l'huile de palme leur offre-t-il une occasion de se "refaire une santé" ?

L'huile de palme a encore de très beaux jours devant elle. Les réserves de surfaces sont encore particulièrement importantes, avec tout ce que ça signifie en termes de déforestation.

Néanmoins, il est important de se rappeler que l'huile de palme n'est pas une "petite nouvelle" sur le marché. L'huile de palme est en concurrence avec les autres oléagineux depuis plus de deux siècles aujourd'hui. On en reparle aujourd'hui à cause de ce boom qu'elle connait aujourd'hui, mais ça n'est pas le premier. C'est une très vieille bagarre qui se joue sur le marché des graisses, et il est très difficile d'en déterminer une issue après trois mois seulement.

Sur quoi d'autre influe la hausse du coût de l'huile de palme ? Si l'huile est plus chère, doit-on craindre que davantage de forêts soient rasées ? Ou au contraire que  cette hausse refroidisse les acheteurs et les consommateurs ? Finalement,  l'huile de palme restera-t-elle un produit indispensable ?

L'huile de palme restera effectivement un produit indispensable dans les prochaines années. D'une part, parce qu'elle jouit encore d'un vrai potentiel de développement, d'autre part parce qu'on sait que les flambées rencontrées en 2008 et entre 2011 et 2012 n'ont absolument pas découragé les consommateurs. A priori, et à moins que les standards qui sont censés s'élaborer pour respecter la durabilité de la culture soient sérieux, les forêts risquent donc d'en payer le prix.

On risque de se confronter à des tensions particulièrement fortes à ce niveau-là dans les prochaines années. La Chine présente une croissance de 10%. L'Inde, de 7%. Les Européens s'amusent à faire des bêtises avec les biocarburants. Forcément, la pression sur les ressources augmente. Il faut bien les prendre quelque part.

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