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Le non-effet Mozart : apprendre la musique ne rend pas plus intelligent
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Musique, maestro

L'idée selon laquelle écouter ou pratiquer de la musique rendrait plus intelligent serait fausse, si l'on en croit une récente étude menée par des chercheurs de Harvard.

Hervé Platel

Hervé Platel

Hervé Platel est professeur de neuropsychologie à l’université de Caen. Il fait également partie d’une unité de recherche Inserm sur les effets de la musique sur notre cerveau.

Internationalement reconnu pour ses travaux sur la neuropsychologie de la perception musicale, il a montré les réseaux cérébraux impliqués dans la perception et la mémorisation de la musique. Ses travaux permettent également de développer des méthodes musico-thérapeutiques de prise en charge chez les patients déments Alzheimer.

Il a notamment co-écrit Le cerveau musicien (De Boeck Université, 2010).

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Atlantico : Des chercheurs de Harvard ont mené une étude afin d'examiner si la musique a un effet ou non  sur les facultés cognitives des jeunes enfants. De jeunes enfants et leurs parents ont été partagés en deux groupes : l'un pratiquait de la musique, tandis que l'autre se livrait aux arts visuels. Il s'est avéré que les enfants ayant suivi les cours de musique ne réussissaient pas mieux les tests cognitifs. Les chercheurs ont simplement remarqué que les enfants ayant suivi les cours de musique réussissaient mieux dans les activités spatiales. Comment expliquer ces résultats ?

Hervé Platel : Les bénéfices d'une activité (ici, la musique) ne peuvent être mesurés que si les sujets de l'étude ont fourni un effort. Dans cette expérience, l'effort demandé était minimal, car elle se déroulait dans un contexte récréatif.

Le résultat de cette étude, en ce qui concerne les activités visuo-spatiales, est une confirmation de plusieurs anciennes études sur la question. En effet, les activités musicales permettent en général d'améliorer les capacités spatiales.

En revanche, ce qui est surprenant ici, c'est d'avoir montré cela avec un concept "d'ateliers musicaux" que l'on pourrait qualifier en français de "jardins musicaux" – car ce sont de très jeunes enfants (de 4, 5 ans) pas encore scolarisés (au sens de cours élémentaires) qui se prêtent au jeu. Ils ne participent pas à un cours traditionnel de musique, mais davantage à des cours d'éveil à la musique en compagnie de leurs parents. On observe souvent que les enfants qui sont au conservatoire de musique, qui apprennent la musique et qui apprennent à lire les partitions de musique, ont des compétences visuo-spatiales. En effet, la lecture de partitions de musique implique des capacités visuo-spatiales. Mais avec cette étude, on démontre que des enfants qui n'ont pas d'expérience musicale développent des capacités visuo-spatiales. C'est en cela que le travail de ces chercheurs est surprenant. Cette étude se pose en marge de ce qui est fait habituellement.

Ce qu'il faut retenir, c'est que les apprentissages intensifs laissent des traces dans le cerveau et peuvent avoir des conséquences sur les performances cognitives, mais ce n'est pas complètement corrélé. En effet, la plupart des travaux ayant utilisé des indicateurs de neuro-imagerie ont montré que pour les personnes qui débutent l'apprentissage d'une activité de manière intensive (en l'occurrence, la musique), le cerveau subit assez rapidement des modifications sur la densité de neurones et sur la manière dont fonctionne le cerveau. Mais quand on effectue des tests cognitifs sur ces personnes et sur d'autres qui n'ont pas d'activité intensive, on n'observe pas de différence majeure.

Pour revenir à l'expérience, il faut noter que l'on est face à de très jeunes enfants, qui sont donc en développement. Chacun de ces enfants a évolué à son rythme, c'est ce qui explique les différences de résultats. Un être humain est stabilisé d'un point de vue cognitif à partir du moment où il devient adulte.

Au final, il faut être modeste face aux messages que l'on communique à la population. Dire "Faites faire de la musique à vos enfants, ils deviendront plus intelligents" n'est véritablement juste que si la pratique de la musique est intensive. Les enfants du conservatoire de musique bénéficient parfois d'un petit coup de pouce à l'école grâce à leur apprentissage de la musique, mais ils ne sont pas plus intelligents que d'autres enfants. C'est un mythe !

N'observant aucune grande différence entre les deux groupes, les chercheurs ont mené une seconde étude avec plus d'enfants. Un premier groupe d'enfants suivait des cours de musique alors que le second ne suivait aucun cours. Là encore, les chercheurs n'ont pas noté le soi-disant effet de la musique sur les facultés cognitives. Il n'y avait que de légères différences insignifiantes.  L'effet de la musique sur les facultés cognitives dépend-il de chaque enfant ?

Évidemment, beaucoup de variables individuelles interviennent : des concepts culturels liés aux parents, la volonté des parents pour que leur(s) enfant(s) fasse(nt) telle ou telle activité, le milieu… Tous ces facteurs jouent énormément.

Les scientifiques restent-ils partagés quant aux bénéfices cognitifs de la musique ? Quels sont les arguments des deux "courants" ?

Le gros problème est déjà d'avoir une définition consensuelle et claire de l'intelligence. Qu'appelle-t-on l'intelligence ? D'ailleurs, les chercheurs soulignent un point important : ils ont décidé de ne pas prendre les mesures classiques de QI utilisées dans d'autres études. Et ceci leur a été reproché par des experts qui ont lu ce travail car ils ont pris des échelles de mesures non équivalentes à ce qui a été emprunté auparavant. Ce qu'ils ont pris, ce sont des échelles de mesures plus spécifiques de certaines fonctions cognitives (de la mémoire, visuo-spatiale…). Le problème est là, car la mesure cognitive – la mesure de l'intelligence – n'est pas quelque chose de consensuel.Quand on parle de "mesure de l'intelligence", on parle de certaines facettes de l'intelligence (intelligence opératoire, capacités de raisonnement, etc.). Or, comme je l'ai dit, l'intelligence ne se résume pas à cela.

Il est clair que si l'on fait des tests cognitifs en ne prenant qu'un aspect de l'intelligence, on peut voir que certaines populations d'experts (musiciens ou encore joueurs de jeux d'échec, etc.) seront plus aptes à une tâche en particulier (un musicien et un joueur d'échec ne réussiront certainement pas les mêmes épreuves). Mais cela ne veut pas dire que globalement leur intelligence est supérieure !Et cela tient d'un manque d'une définition consensuelle et claire de l'intelligence. D'où l'existence de deux "courants" : des personnes montrent qu'il y a certes des effets, mais de manière ponctuelle, alors que d'autres pensent que tels experts sont plus intelligents. Mais je ne suis pas d'accord avec cette dernière vision : je pense qu'une activité peut aider à améliorer les capacités de traitement sur un mécanisme d'intelligence en particulier, mais elle n'améliore pas pour autant toute l'intelligence !

Alors, quels sont les bénéfices de l'apprentissage de la musique pour les jeunes enfants en dehors des capacités spatiales ?

La pratique musicale, voire simplement l'écoute musicale, a des effets, mais on ne sait pas vraiment pourquoi. Faire ou écouter de la musique sollicite énormément de capacités : cela commence par les capacités perceptives (visuelle sur une partition), auditives (en écoutant, on devient de plus en plus sensible, fin dans l'analyse des sons), et cela sollicite des capacités motrices (quand on joue d'un instrument, on devient de plus en plus fluide dans la manière d'amener ses doigts). Et au-delà de ces capacités physiques, la musique développe les émotions et potentiellement la mémoire – et même des mémoires, car ce sont différents types de mémoires qui sont mis à profit : une mémoire contrôlée, parce que j'essaye de mémoriser une séquence de gestuelles ou des notes, mais aussi une mémoire "automatique" du corps qui s'exprime. La musique sollicite sans doute beaucoup de choses en même temps. C'est tellement de choses en même temps (perception, mémoire, motricité, émotions) qu'on ne sait pas pour l'instant quel est le facteur le plus important. Cette richesse-là contribue certainement à ce que la musique ait un effet, mais on ne peut pas dire, de l'aspect perceptif, moteur ou émotionnel, lequel est le plus important.

Quelles (autres) activités auraient un effet cognitif sur nos enfants selon vous ?

Il n'y a pas que la musique qui permette le développement de certaines capacités. En effet, la danse, le sport, les jeux d'échec, le sudoku, sont autant d'activités intéressantes.

Actuellement, il y a beaucoup d'études qui montrent qu'il est bénéfique pour le cerveau d'exercer une activité physique. Mais le sport ce n'est pas que l'activité sportive. Un enfant qui apprend le foot apprend des règles. Il doit les mémoriser, il apprend des gestes spécifiques qu'il doit accomplir avec précision. Ces apprentissages des règles du jeu, de la précision, les capacités à visualiser ce que font ses co-équipiers ou adversaires, la stratégie… tout cela constitue une activité intellectuelle à part entière. Le sport permet même de développer des capacités émotionnelles. Il ne faut donc pas dire que la musique, c'est mieux que le sport. Chacun trouve l'activité qui lui convient, et cette activité extrascolaire a de l'intérêt pour les activités scolaires.

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