Le nombre de défauts sur les dettes souveraines s’est envolé depuis 2020. Jusqu’où cela pourrait-il aller ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un Pakistanais parle au téléphone devant une affiche, avec des dollars américains et d'autres billets, pour un bureau de change à Lahore, le 16 mai 2019.
Un Pakistanais parle au téléphone devant une affiche, avec des dollars américains et d'autres billets, pour un bureau de change à Lahore, le 16 mai 2019.
©ARIF ALI / AFP

Contagion financière

Les défauts de paiement de dette souveraine sont de plus en plus nombreux à travers la planète. Ces bouleversements peuvent-ils avoir un impact sur les économies occidentales ?

François Ecalle

François Ecalle

François Ecalle est ancien rapporteur général du rapport annuel de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques ;  ancien membre du Haut Conseil des finances publiques, Président de FIPECO et fondateur du site www.fipeco.fr sur les finances publiques.

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Atlantico : Ces dernières années, les défauts de paiement de dette souveraine sont de plus en plus nombreux, ainsi que l'illustre un récent graphique mis en ligne par James Kynge. Comment expliquer cette situation ? Pourquoi certains pays, comme le Liban, l’Argentine ou la Biélorussie pour ne citer qu’eux, ne parviennent-ils plus à assurer leurs arrières, sur le plan financier ?

François Ecalle : Depuis le début de 2020, il y a eu 14 cas de défauts de paiement des intérêts, ou de remboursement du capital, de dettes publiques (dites aussi « dettes souveraines »), soit autant que pendant toute la décennie précédente.

Cette accélération des défauts de paiement n’est pas surprenante car beaucoup de pays dans le monde ont été fortement touchés par la crise sanitaire de 2020, la crise économique qui a suivi puis la hausse des prix des matières premières qui a accompagné le rebond de l’activité à partir de 2021 et entraîné le retour d’une forte inflation. Les pays développés ont pu soutenir et relancer l’activité chez eux en laissant monter leur déficit et leur endettement publics. Mais, dès le printemps 2020, le FMI a alerté sur les risques de crise des finances publiques dans des pays en développement obligés d’emprunter dans des monnaies étrangères.

Des initiatives internationales ont été prises pour leur apporter de nouveaux financements et restructurer leurs anciennes dettes mais elles n’ont pas suffi pour empêcher des défauts de paiement dans plusieurs pays particulièrement fragiles. Certains d’entre eux, comme le Liban, parfois relativement riches, comme l’Argentine, avaient des difficultés pour assurer la soutenabilité de leur endettement public depuis bien avant 2020. Les dernières crises les ont aggravées. 

Quelles sont les conséquences concrètes, pour les pays victimes de telles situations d’abord, de tels défauts ? Faut-il également craindre un bouleversement par rebond des économies occidentales ? Quid de la France en particulier ?

Ces pays ne peuvent plus emprunter auprès de créanciers privés, ou seulement à des taux insupportables qui aggraveraient leurs difficultés, et ils ne peuvent compter que sur l’aide internationale, de pays particuliers ou d’organisations comme le FMI, pour payer leurs dépenses publiques et leurs importations les plus nécessaires. Cette aide est accordée sous des conditions de redressement des comptes publics, plus ou moins strictes selon leur situation économique et sociale. Leur souveraineté est donc remise en question et le prix à payer pour les populations est parfois lourd. 

Si on met à part l’Argentine, dont les créanciers se méfient à juste titre depuis longtemps, et de l’Ukraine, qui reçoit une aide conséquente des pays occidentaux, il s’agit de petits pays (Sri Lanka, Zambie…) dont les dettes sont très faibles à l’échelle internationale. Il n’y a donc aucun risque pour les autres pays, y compris pour la France. 

Si le risque de contagion n’apparaît peut-être pas évident, est-ce à dire que les “grands” pays (au sens, plus solides financièrement) d’Europe sont préservés de tout risque de défaut ? Ou y a-t-il danger ailleurs, selon vous ?

De fin 2019 à fin 2022, la dette publique a augmenté en moyenne de 9 points de PIB dans les pays avancés, de 10 points dans les pays émergents ou à revenus moyens, de 5 points dans les pays en développement et à faibles revenus, ces derniers pouvant plus difficilement s’endetter. 

Autrement dit, les finances publiques de beaucoup de pays se sont dégradées et les risques de crise dans un pays émergent ou à revenus moyens, avec alors d’éventuels effets de contagion, sont désormais plus élevés. Ils sont amplifiés par la hausse des taux d’intérêt dans la plupart des pays. En outre, ce qui s’est passé au Royaume-Uni à l’automne dernier montre que ces risques ne sont pas nuls dans les pays les plus avancés alors même qu’ils peuvent emprunter dans leur propre monnaie. 

Au sein de la zone euro, la question essentielle est de savoir ce que ferait la banque centrale européenne (BCE) en cas de crise se manifestant par une forte hausse des taux d’intérêt sur les emprunts publics d’un pays membres. Depuis le « whatever it takes » de Mario Draghien 2012, elle a la possibilité juridique, jamais encore mise en œuvre, d’acheter des obligations d’un Etat de la zone en quantités illimitées pour le soutenir, mais en principe à condition que son endettement soit soutenable et qu’il prenne des mesures de redressement de ses comptes publics si sa dette publique paraît hors de contrôle. 

Que peut-on faire, pour l’heure, pour préserver nos économies contre un tel danger ?

La dette publique peut augmenter en euros car, sauf récession, les recettes publiques augmentent en euros, ce qui rassure les créanciers de l’Etat. En revanche, il ne faut pas qu’elle augmente en pourcentage du PIB, sauf pendant les périodes de récession ou de fort ralentissement de l’activité économique. Sinon, une crise peut survenir, sans qu’on puisse savoir à quel niveau d’endettement, ce qui conduit à faire appel à l’aide internationale ou à une banque centrale dont la mission est de lutter contre l’inflation et non de créer de la monnaie pour sauver l’Etat. Il faut donc éviter de se retrouver dans une telle situation.

La meilleure solution est de relever le potentiel de croissance, mais les moyens d’y parvenir ne sont pas toujours évidents. L’augmentation de la population active, par exemple en reculant l’âge de départ en retraite en fait partie, mais son acceptabilité sociale est limitée en France.

La hausse du taux d’inflation peut faciliter la réduction du rapport de la dette publique au PIB à court terme mais son impact est à peu près nul à long terme, notamment du fait de la hausse des taux d’intérêt, et elle a des effets macroéconomiques négatifs.

Certains pays peuvent augmenter le taux de leurs prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales), mais les marges de manœuvre de la France sont très limitées puisqu’elle a déjà le taux le plus élevé de l’OCDE, ce qui présente des risques pour la compétitivité des entreprises et l’attractivité du territoire.

La mise en commun de dépenses et de dettes au sein de l’Union européenne est une solution intéressante pour les pays du sud, plus endettés, mais suppose une solidarité des pays du Nord qui n’est pas acquise.

Il ne reste finalement que la réduction ou la suppression des dépenses publiques les moins efficaces, mais dans un pays comme la France où une large partie de la population réclame plus de services publics et plus de prestations sociales, ce n’est politiquement pas facile.

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