Le Louvre impuissant face aux enfants pickpockets : et si le musée et surtout les enfants eux-mêmes étaient victimes de notre trop grande culpabilité à leur égard<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Louvre a récemment été victime d'une grève de son personnel épuisé par les bandes de pickpockets mineurs.
Le Louvre a récemment été victime d'une grève de son personnel épuisé par les bandes de pickpockets mineurs.
©Reuters

Enfants de la patrie ?

Le très célèbre musée du Louvre a récemment été victime d'une grève de son personnel épuisé par les bandes de pickpockets mineurs. Ces enfants sont pourtant eux-mêmes des victimes, celles de l'hyper-culpabilité de la France quant à une intervention éducative et judiciaire à leur égard.

Une partie du personnel du Louvre s’est mise en grève ces derniers jours pour protester contre la recrudescence de pickpockets dans le musée. En effet, la gratuité pour les mineurs a attiré des bandes de jeunes venant, selon les témoins, "de l'Est" et qui dépouillaient les touristes. Qu’encourent aujourd’hui ces jeunes lorsqu’ils sont interpellés ? Ces solutions sont-elles efficaces ?

Alexandre Giuglaris : Selon la presse, il s’agit effectivement essentiellement de mineurs venus de pays de l’est dont on sait qu’ils ou elles sont exploité(e)s par des réseaux mafieux. Faut-il pour autant ne rien faire en attendant de réussir à "coincer" la tête du réseau ? Je ne le crois pas. Mais l’inconvénient est que l’on se trouve confronté à plusieurs difficultés, d’une part le droit des mineurs et d’autre part l’organisation de la circulation des biens et des personnes en Europe et au sein de l’espace Schengen.

Pour les sanctions, tout dépend évidemment du type d’infraction qui est retenu, vol simple, vol aggravé, vol avec violence… En réalité, ils ne risquent pas grand-chose. Et ils le savent très bien pour une partie d’entre eux. Comme le montre d’ailleurs très bien Xavier Bébin dans son dernier livre, Quand la justice crée l’insécurité[1], les mineurs de 14 à 18 ans représentent 5% de la population mais sont responsables de 27% des vols avec armes, 35% des vols de voiture ou 41% des viols sur mineurs. Ils bénéficient, notamment pour les gardes à vue par exemple, de protections particulières, ce qui explique leur utilisation par les réseaux mafieux. Enfin, les conditions du respect du contrôle judiciaire qui peut être prononcé sont malheureusement insuffisantes, faute de moyens et de personnels sans doute, faute de volonté politique sans doute aussi.

Ces jeunes sont sans aucun doute victimes de l’exploitation de mafias, mais ne sont-ils pas aussi victimes de "l’ultra-culpabilité" de la France qui se refuse à agir concrètement à cause de leur jeunesse ?

Alexandre Giuglaris : Il est évident qu’il faut revoir en profondeur la justice des mineurs car nous sommes toujours dans l’héritage de l’ordonnance des 1945 alors que les mineurs et la criminalité ont tant changé depuis cette époque.

Mais j’aimerais souligner un fait que l’on oublie souvent : lorsque l’on vole, on s’attaque aux droits de l’Homme, si souvent évoqués dans le débat public. En effet, l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 reconnaît le droit de propriété comme un droit inviolable et sacré. Le vol est donc une atteinte directe à ce droit à valeur constitutionnelle. L’humanisme et notre attachement à ces principes devraient nous conduire à sanctionner réellement le vol.

Enfin, à l’heure de la crise économique et des débats sur le chômage en France, peut-on laisser un secteur économique aussi vital que le tourisme être menacé par la délinquance ? Au mois de mars, l’association chinoise du tourisme, une organisation dépendant directement du gouvernement, est intervenue publiquement pour demander aux autorités françaises de mieux protéger ses ressortissants en visite à Paris ! Aujourd’hui, au Louvre ou dans le métro par exemple, on invite les touristes et tous les voyageurs à faire attention aux pickpockets ! Ce n’est pas acceptable, il faut que cela cesse. La ministre chargée du Tourisme a promis que le gouvernement allait "veiller à la sécurité des touristes étrangers" qui viennent en France. L’inconvénient c’est que la réponse pénale de la Garde des Sceaux ne nous paraît pas de nature à réduire cette délinquance.

Pierre Duriot :  Il faut bien séparer les problématiques : soit les bandes en question sont des bandes auto-organisées de petits voyous sans cadres en dehors de toute surveillance de leurs parents, soit les parents eux-mêmes ou les personnes ayant autorité sont eux-mêmes à l’origine de ces comportements, ce qui change considérablement la donne. Ceci dit, le registre de la culpabilité est très actuel et nous touche tous à divers degrés. Il marche de concert avec un autre concept, celui des "bénéfices secondaires". Nous avons tous réticence et c’est aussi le message rebattu en permanence par notre société de consommation, à dire "non" à nos enfants et ce, d’autant plus qu’ils sont jeunes. Or l’éducation a ceci de particulier qu’elle s’ancre d’autant mieux dans la personnalité qu’elle est mise en œuvre tôt, c'est-à-dire, avant quatre ans, avant trois ans même et l’entrée à la maternelle.

Mais on a tendance à penser, trop souvent, que cette autorité va "brimer" l’enfant, voire, le "traumatiser" et les oppositions d’un enfant de trois ans restent "gérables". C’est tout le contraire, les "non" et les "oui" clairs structurent et façonnent la future personnalité citoyenne. L’éducation commence donc souvent quand elle est devenue nécessaire, indispensable, c'est-à-dire entre quatre et six ans quand l’enfant commence à nous échapper. Nous n’éduquons alors plus vraiment, nous "redressons la barre", ou tentons de le faire. L’enfant, lui, est logiquement dans une tentative permanente d’organiser son éducation à son avantage, en clair, de commander. Presque tous les adultes sont touchés par ce sentiment de culpabilité, parents, enseignants, grands-parents, etc… d’autant que les enfants entrent facilement dans des démonstrations spectaculaires de larmes ou de colères pour nous signifier plus fortement cette culpabilité. C’est pour cela qu’éduquer, dire non, nous apparait à la fois comme fatiguant et difficile. Entre aussi en jeu, le concept de bénéfice secondaire que nous connaissons également tous : l’enfant est malade, a été opéré ou autre et il va se servir de cet argument pour négocier des bénéfices, secondaires donc, au mal qui le touche. Mais pour les jeunes concernés au Louvre, cette étape est largement passée et donc extrêmement difficile à "récupérer".

Quelles sont les solutions juridiques et/ou judiciaires qui permettraient d’encadrer et de limiter ce phénomène ?

Alexandre Giuglaris : Il faut que chaque délit soit accompagné d’une sanction ferme, immédiate ou la plus rapide possible, et surtout appliquée. Mais il faut également donner des moyens d’enquête et de procédure plus important à l’ensemble de la chaîne pénale pour lutter contre ces réseaux mafieux internationaux.

L’inconvénient, c’est qu’en faisant preuve d’angélisme ou d’indulgence vis-à-vis des mineurs, on peut considérer que l’on encourage les réseaux mafieux à exploiter ces mineurs. Il faut donc revoir l’ordonnance de 1945 pour sanctionner réellement les mineurs et mener une lutte déterminée contre les réseaux mafieux.

Enfin, dans les procédures, les droits de la défense ont été renforcés, notamment dans les gardes à vue. Ce qui peut s’avérer utile ou nécessaire parfois, a aussi une incidence très concrète de limitation des pouvoirs d’investigation des forces de sécurité. Il faut sans doute réfléchir à une meilleure articulation entre les droits légitimes de la défense et la nécessité pour l’Etat de se donner les moyens d’assurer la protection des citoyens mais également des témoins.

Bien que la plupart de ces jeunes ne soient pas de nationalité française, la France ne devrait-elle pas reprendre à son compte leur éducation ? Faut-il en faire des enfants de la Nation pour les sortir de la criminalité ?

Pierre Duriot :  Bien sûr que la France prend à son compte l’éducation de ces enfants, avec au minimum l’école obligatoire à partir de six ans, mais comme je l’expliquais précédemment, de gros dégâts peuvent être faits avant, d’autant mieux que ce sont les parents ou responsables eux-mêmes qui "éduquent" à la rapine. Encore faut-il donc que la France puisse opérer tôt et avec la collaboration des parents, une éducation par plusieurs adultes nécessitant à la fois cohérence et convergence. Faire des "enfants de la nation" relève de ce minimum de cohérence, d’une fréquentation régulière des institutions et d’une volonté d’adhésion des parents concernés au pacte républicain, ce qui n’est pas toujours le cas. En aucun cas on ne peut intégrer les gens ou leurs enfants malgré eux. L’Union soviétique a pratiqué l’intégration à marche forcée avec certaines de ses populations du nord en rendant obligatoire un cursus éducatif russophone en internat passant par le retrait des enfants à leurs familles et leurs milieux, mais c’était une dictature.

Dans quelle mesure leurs origines étrangères et leur cadre de vie souvent problématique rendent-ils encore plus important  que ces jeunes aient une éducation correcte ? Comment s'y prendre ?

Pierre Duriot : Les origines étrangères complexifient singulièrement la donne en matière de culpabilité et la réticence à dire non ou à frustrer un enfant se double de la seconde culpabilité d’apparaître comme raciste, un mal bien français également. Le bénéfice secondaire va avec et un enfant d’origine étrangère, même jeune, peut savoir jouer sur le registre de sa différence avec un éducateur français de souche. Il importe évidemment de ne pas faire de différence visible, de se défaire de la culpabilité de frustrer et d’apparaître comme raciste. Oui, il y a urgence à traiter les Français d’origine étrangère ou les étrangers comme les Français de souche, dans un sens comme dans l’autre : c'est-à-dire vers le bas, en n’ayant jamais la tentation de les prendre pour des citoyens de seconde zone et vers le haut en ne les exemptant  pas des devoirs au prétexte de respect de la culture ou de la discrimination positive.

C’est bien l’erreur qui a été commise en faisant des "potes" à qui il ne fallait "pas toucher" ou en aménageant le pacte républicain sous des prétextes "culturels" et la pression de la culpabilité. Ceci au lieu de promouvoir des "citoyens" à part entière, au moment où l’occasion s’est présentée, au début des années 80. C’est hélas bien dans un dérapage incontrôlé que nous sommes engagés depuis plusieurs décennies, lequel se traduit d’une part, par une difficulté objective de l’étranger ou du Français d’origine étrangère, adhérent au pacte républicain, pour trouver du travail ou un logement. Et d’autre part, la République et les français de souche ont l’impression de se trouver démunis face à des non-adhérents au pacte républicain.

Mais cette composante socio-éducative ne représente qu’une partie de la problématique d’intégration. Le passif historique avec l’Afrique du Nord, les situations économiques précaires, les cadres de vie dégradés, les considérations respectives du garçon et de la fille, sont d’autres composantes primordiales d’une problématique qui s’est complexifiée à mesure qu’elle était renvoyée à plus tard. Tous les gouvernements ont clamé qu’ils allaient restaurer la loi républicaine dans les territoires où elle avait reculé et aucun n’y est vraiment arrivé. Et là où la loi de la République n’est pas présente, une autre loi occupe le terrain qui n’est ni celle de la France ni celle de la culture d’origine, elle aussi battue en brèche. Les pickpockets du Louvre, les règlements de compte, l’extrémisme religieux, les zones de non-droit et sans doute une partie de la montée du vote extrémiste, sont à divers degrés les expressions visibles des échecs républicains. Il y a urgence effectivement, mais urgence depuis quarante ans, à se débarrasser de la culpabilité d’agir.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Bonaventure

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