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Le gouvernement a-t-il plagié les services de renseignement américains pour la France 2025 ?
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On ne regarde pas la feuille du voisin !

Alors que le projet France 2025 du gouvernement est lourdement critiqué pour sa dimension trop "long-termiste", plusieurs éléments pourraient laisser croire qu'il s'agit d'une pâle copie d'un rapport des services de renseignement américains datant de 2008.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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La question a commencé à circuler sur les réseaux sociaux avec une bonne chance de prospérer : il existe une troublante parenté entre les 5 axes dégagés par Jean-Marc Ayrault pour l’étude qu’il commande à son nouveau commissariat à la stratégie, et un rapport officiel américain de 2008 baptisé «2025 : tendances globales», publié sous la responsabilité de la DNI (Direction of National Intelligence).

Pour commencer, regardons de près les similitudes qui nous troublent. Jean-Marc Ayrault a distingué cinq sujets majeurs sur lesquels les prospectivistes français doivent travailler : l’avenir de notre modèle de production dans un contexte de mondialisation et d’évolution technologique, la réforme de notre modèle social confronté au problème du vieillissement et aux inégalités croissantes de revenus, une croissance soutenable dans un contexte de transition énergétique, les mutations du modèle républicain perturbé par l’immigration et le rôle du projet européen. Tout cela devrait, en principe, donner lieu à des scénarios qui «seront mis sur la table».

Cette logique de scénarios est précisément ce qui organise le rapport américain. Celui-ci en distingue quatre : un monde sans l’ouest, un problème climatique majeur lié à une passivité face à la transition énergétique, une tension grandissante avec les pays émergents pour l’accès aux ressources vitales, et l’émergence de la société civile dans le débat public.

Au-delà de cette logique générale débouchant sur des scénarios, qui est un point commun à de nombreux rapports de prospective, c’est l’identification même des piliers de réflexion dégagés par Jean-Marc Ayrault, qui ressemble à une fiche de synthèse rédigée par un élève de l’ENA à partir du rapport américain. Ainsi, si l’on reprend la page 12 de l’introduction du rapport, intitulée: «2025 - Quel type de futur ?» (What kind of future ?), on retrouve des parentés tout à fait étonnantes avec les propos de Jean-Marc Ayrault.

Cette page commence par la première rupture dans le cycle historique que nous entamons, et qui est celle de la «transition énergétique» (energy transition) et de son impact sur l’industrialisation. Le rapport américain rappelle que le passage du bois au charbon permit en son temps le développement de l’industrie.

Le rapport énumère ensuite quelques facteurs-clés pour l’avenir : «La technologie, le rôle de l’immigration, l’amélioration des systèmes de santé, et des législations favorables à une plus grande implication des femmes dans l’organisation économique», etc. En dehors de l’égalité hommes-femmes, on retrouve en quelques mots les problèmes qui préoccupent le gouvernement français.

De façon assez significative, la première question posée par le rapport américain porte sur... la mondialisation et son impact économique (page 7), sujet qui inquiète également en tout premier lieu notre Premier Ministre. On retiendra notamment cette phrase étonnante: «Les USA et l’Eurozone tirent largement profit de ce marché émergent de liquidité, mais savoir s’ils en tireront profit à l’avenir dépend de plusieurs facteurs, dont la capacité des pays occidentaux à réduire leur consommation et leur demande de pétrole, la capacité de ces Etats à capitaliser sur un contexte favorable à l’exportation dans des domaines où ils sont comparativement puissants, comme les technologies et les services, et des politiques d’accueil des pays destinataires (...)».

Bref, les bienfaits de la mondialisation dépendent du système productif des pays occidentaux, qui doivent s’orienter vers des produits et des services de haute technologie. D’une certaine façon, Ayrault pose une question dont il a déjà trouvé la réponse dans un rapport américain...

Ce rapport s’interroge ensuite sur les conséquences des évolutions démographiques dans le monde. Il commence par un paragraphe intitulé: «le boom des retraités - les défis du vieillissement» (page 21). Il mentionne: «Le volume annuel d’immigration devrait doubler ou tripler pour éviter une diminution des populations actives d’Europe de l’Ouest.» Page 24, on lit : «L’immigration et les politiques d’intégration, la confrontation avec les conservatismes de l’Islam en matière d’éducation, de droit des femmes, de rapport entre Etat et religion, renforceront les organisations de droite et affaibliront les coalitions de gauche attachées à la construction et à la préservation des systèmes de protection sociale.» Là encore, le rapport américain met en musique dès ses premières pages des thèmes qui semblent avoir beaucoup influencé l’analyse gouvernementale française.

Le troisième chapitre aborde la question des acteurs et dit notamment ceci de l’Union Européenne (page 32): «L’Union Européenne devra résoudre le sentiment de gap démocratique qui oppose Bruxelles et les électeurs européens. (...) L’effondrement des populations actives constituera un test majeur pour la protection sociale en Europe, pierre angulaire de la cohésion politique en Europe de l’Ouest depuis la Seconde Guerre Mondiale.»

Ces quelques exemples ne visent pas à soupçonner le gouvernement français de «plagiat» brut. En revanche, il est évident que l’exercice pratiqué devant les médias, de contribution libre apportée par chaque ministre, a constitué une mise en scène absolument inutile au regard de l’objectif final : un approfondissement de pistes de réflexion formatées ailleurs.

Là encore, gardons-nous de toute explication de nature «conspirationniste». Les services secrets américains n’ont pas infiltré le gouvernement français. En revanche, les énarques et autres «technos» chargés de préparer le séminaire du gouvernement ont pris soin de ne pas oser l’avenir de la France. Ils ont préféré s’inscrire dans une sorte de prêt-à-penser international, et particulièrement anglo-saxon.

Comme ils ont appris à l’ENA, ils sont repartis des études existantes, spécialement de celles à laquelle ils prêtent une autorité supérieure, et ils en ont cherché une bonne déclinaison pour la France. Intégrer la France dans un ordre international où elle joue le rôle de suiveuse, refuser un quelconque leadership français, voici ce qui guide la pensée technocratique française.

Cela ne s’appelle pas du plagiat. Cela s’appelle du déclin.

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