Le G7 veut renforcer les sanctions contre Moscou : voilà comment les riches russes les contournent allègrement<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon le New York Times, de nombreux oligarques parviendraient à contourner les sanctions économiques déployées par la communauté internationale suite à l'invasion de l'Ukraine.
Selon le New York Times, de nombreux oligarques parviendraient à contourner les sanctions économiques déployées par la communauté internationale suite à l'invasion de l'Ukraine.
©Kirill KUDRYAVTSEV / AFP

Mesures efficaces ?

Lors du sommet du G7 au Japon, les pays membres ont annoncé vendredi des mesures pour "priver la Russie des technologies, des équipements industriels et des services du G7 qui soutiennent son entreprise guerrière". Certains oligarques et des personnalités parmi les plus riches du pays parviennent à contourner les sanctions.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

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Manon Krouti

Manon Krouti

Manon Krouti est avocat au Barreau de Paris. Elle exerce en droit pénal des affaires et défend principalement des entreprises et des dirigeants poursuivis pour des infractions économiques et financières, y compris dans un contexte transnational

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Atlantico : Depuis plus d'un an, la Russie est frappée par d'importantes sanctions financières visant à handicaper son économie. Parmi les personnalités ciblées figurent notamment les oligarques et (d'une façon générale) les personnalités les plus riches du pays. Cependant, à en croire le New York Times, un certain nombre d'entre eux parviennent à les contourner. Que sait-on de la façon dont ils procèdent ?

Viatcheslav Avioutskii : Les oligarques tirent leur richesse de leurs liens avec le pouvoir politique. Ainsi, Vladimir Poutine et le Kremlin se retrouvent au cœur de ce conflit. Étant des personnalités publiques et bien connues, ces oligarques sont en première ligne. La plupart d'entre eux possédaient déjà des actifs, principalement immobiliers, dans divers pays européens et occidentaux, notamment sur la Côte d'Azur en France ou en Floride et à New York aux Etats-Unis. Étant lourdement sanctionnés par l'Union européenne et les États-Unis, ils transfèrent leurs avoirs vers d'autres destinations considérées plus sûres, comme les Émirats arabes unis. Cette destination est très prisée des Russes fortunés, qui y établissent leurs sociétés ou y acquièrent des biens immobiliers. Ces sanctions, censées les contraindre et les mettre dans une situation difficile, ont peu d'effets sur leur train de vie. Cela n'empêche pas certains d'entre eux de critiquer ouvertement la société russe. Globalement, ils n'ont pas souhaité la guerre, qui a perturbé leurs affaires. Des écoutes interceptées et rendues publiques récemment révèlent qu'ils n'avaient pas anticipé la guerre et expriment de vives critiques envers Vladimir Poutine. Par exemple, Roman Abramovitch, l'un des hommes les plus riches de Russie, a été contraint de vendre le club de football de Chelsea, et l'argent de la vente a été utilisé pour aider les Ukrainiens !

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Manon Krouti : L’article du New York Times évoque effectivement une réalité qui est que tous les États ne sont pas alignés concernant l’application de sanctions économiques et mesures restrictives à l’encontre de la Russie. Partant, les restrictions et interdictions décidées au niveau du G7 qui sont contraignantes sur leur territoire ainsi que pour leurs ressortissants et entreprises n’affectent pas les entreprises d’Etats tels que Dubaï ou les Émirats Arabes Unis, pour reprendre l’exemple cité dans cet article. Il ne s’agit donc pas d’un contournement à proprement parler mais plutôt d’une option qui reste accessible aux oligarques russes et qui contribue, plus largement, à un certain maintien de l’économie russe. C’est une réalité qui existe pour chaque régime de sanctions. Si l’Union européenne adopte des sanctions concernant un État mais que le Royaume-Uni, par exemple, ne s’aligne pas, les entreprises britanniques pourront continuer à commercer librement avec cet État nonobstant les sanctions européennes.  

Dans quelle mesure les oligarques parviennent-ils à contourner ces sanctions ? La vie des très riches, en Russie, est-elle comparable à celle dont ils jouissaient avant l'invasion de l'Ukraine ? Malgré cela, le train de vie de ces oligarques a-t-il beaucoup changé suite aux sanctions ?

Viatcheslav Avioutskii : Les oligarques russes ont effectivement perdu de nombreux actifs situés en Europe et aux États-Unis. Leurs avoirs n'ont pas été saisis, mais gelés. Etabli à Londres depuis de nombreuses années, Piotr Aven, qui fait partie du cercle restreint de Vladimir Poutine et est co-propriétaire de l'Alpha Bank, s'est plaint de ne plus pouvoir payer sa femme de ménage. Les trois propriétaires de l'Alpha Bank ont d’ailleurs porté plainte en Grande-Bretagne afin de récupérer au moins une partie de leurs avoirs à l'étranger. D'autres oligarques ont, par exemple, perdu l'usage de leurs luxueuses villas sur la Côte d'Azur. Comme je l'ai mentionné précédemment, de nombreux oligarques étaient opposés à la guerre, mais ils en profitent également puisque les multinationales occidentales qui quittent la Russie vendent leurs actifs. Qui les rachète à bas prix ? Les oligarques, qui se réjouissent de cette situation. Ils acquièrent les actifs occidentaux à un prix cassé, et dans le même temps, ils se débarrassent de leurs concurrents les plus redoutables sur le marché russe…

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Manon Krouti : Les personnes sanctionnées ne peuvent pas « contourner » les sanctions puisque le contournement ou la tentative de contournement est interdit et même passible de sanctions pénales en France. Elles parviennent à en déjouer les effets en passant par des États qui n’en imposent pas.

Pour éclairer les effets concrets des sanctions sur la vie des personnes sanctionnées, il faut rappeler par exemple qu’elles ne sont plus libres de se déplacer comme elles le souhaitent puisqu’il leur est interdit de fouler le territoire des États qui ont imposé ces sanctions, elles ne peuvent plus utiliser l’argent qu’elles détiennent sur des comptes ouverts auprès de banques européennes, suisses, américaines ou britanniques (pour ne citer qu’elles) et leurs jets privés ou yachts ne peuvent plus atterrir ou amarrer sur le territoire d’un de ces États. Pour caricaturer, il n’est plus possible pour un oligarque sanctionné de passer ses vacances à Saint Tropez ou sur la côte amalfitaine et d’y acheter des montres ou sacs de luxe. Il lui est toutefois toujours possible de le faire en Turquie ou au Moyen-Orient puisqu’aucune réglementation ne l’interdit. 

La vie des très riches n’est, à l’évidence, pas comparable à celle dont ils jouissaient avant février 2022, mais ils ont certainement su s’adapter d’une manière ou d’une autre. Cela ne signifie surtout pas que les sanctions sont vaines ou sans effet, plusieurs dizaines de milliards d’avoirs détenus par des russes ont été gelés par l’Union européenne, c’est colossal !

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Manon Krouti : Il est difficile de faire des comparaisons mais une chose est sure, un oligarque dont la plupart des avoirs sont localisés en Russie, au Moyen-Orient ou en Asie souffrira moins que celui qui aurait perdu le droit de disposer de la majeure partie de sa fortune car confiée à des banques européennes, suisses, britanniques ou américaines.

Emirats arabes unis, Qatar, Dubaï... Quels sont les alliés de ces grandes fortunes qui cherchent à contourner les sanctions économiques décidées par l'Occident ? Qu'est-ce que cela révèle, sur le plan géopolitique comme sur celui du droit international ?

Viatcheslav Avioutskii : Ces oligarques ont toujours cherché à établir une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir politique russe en transférant une partie de leurs actifs et avoirs à l'étranger. Avant 2022, parmi les destinations privilégiées prisées par les oligarques russes figuraient la Grande-Bretagne, la Suisse, la France, l'Espagne ou encore l'Autriche, où leurs familles résidaient et où leurs enfants étaient scolarisés.

Depuis le début de la guerre d'Ukraine, les oligarques russes s'installent aux Émirats arabes unis, considérés comme une destination privilégiée. Depuis une dizaine d'années, les EAU ont tenté de diversifier leur économie au-delà du pétrole. Ils se sont ainsi positionnés de plus en plus dans le secteur financier et ont cherché à attirer des hommes d'affaires fortunés. Après avoir attiré des hommes d'affaires iraniens sous sanctions internationales qui cherchaient un lieu pour pouvoir commercer à l'international en contournement des sanctions, ils attirent désormais des Russes. En cas de nouvelles sanctions financières contre les pays qui aident à contourner les sanctions, tels que la Chine, l'Inde, la Turquie ou les Émirats arabes unis, il faudra se demander si l'Occident fermera les yeux cette fois ou se montrera ferme.

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Manon Krouti : Ceux qui cherchent à contourner les effets des sanctions occidentales trouvent des solutions en Turquie, en Arménie, au Moyen-Orient, au Kirghizistan, au Kazakhstan ou encore en Afrique, autrement dit dans les États qui n’ont pas adopté de mesures restrictives en réaction à la guerre en Ukraine. Pour ne pas verser dans un débat géopolitique bien plus complexe que ce que je pourrais en dire, le seul constat que nous pouvons en tirer est qu’il n’y a pas d’outil dans le droit international qui permettrait d’imposer des sanctions économiques globales à un État. 

Pour pallier cela, la Commission européenne est justement en train de réfléchir à un nouveau train de sanctions qui pourrait viser les entreprises étrangères qui profitent notoirement de ce vide juridique et, par là même, privent certaines sanctions de leurs effets sur l’économie russe. 

Le G7 veut renforcer les sanctions contre la Russie, cela peut-il marcher ?

Manon Krouti : Les sanctions adoptées fonctionnent, il est important de le dire. Si elles ne fonctionnaient pas et si elles n’étaient pas respectées, nous n’observerions pas d’accroissement des liens entre la Russie et l’Asie centrale ou le Moyen Orient. Cela étant, aucune règle ne permettra au G7 d’imposer le respect de ses sanctions russes à des États tiers. Ainsi, les sanctions européennes s’appliquent aux européens et sur le territoire des États membres, elles ne sont pas contraignantes pour les activités de tiers en dehors de l’UE et ne peuvent pas l’être. Si elles le devenaient, nous verserions dans l’extraterritorialité, ce qui est constamment reproché à nos alliés outre-Atlantique avec leurs sanctions dites secondaires. 

La solution est de renforcer ce qui existe déjà et de sanctionner les entreprises étrangères dont les activités ont pour objet ou pour effet de contourner les sanctions européennes et qui contribuent donc à soutenir la Russie dans ses efforts de guerre. Ce serait un signal fort pour l’Ukraine mais également pour les entreprises européennes qui, elles, respectent les sanctions applicables. 

Lors du sommet du G7, de nouvelles sanctions ont été décidées à l'encontre de la Russie et de ses oligarques. Sont-elles vouées à l'échec ?

Viatcheslav Avioutskii : Je ne le pense pas. Par exemple, nous avons récemment découvert que des entreprises russes achetaient des pièces de rechange pour des avions de marques Boeing ou Airbus en passant par des intermédiaires. Les montants en jeu se chiffrent en millions de dollars. Cependant, ces transactions restent bien inférieures à ce qui était pratiqué avant la guerre. Les avions civils russes se trouvent donc dans une situation de forte tension. Avec le durcissement des sanctions, les entreprises ou pays tiers pourraient être touchés, ce qui augmenterait encore plus l'efficacité de ces dernières.

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