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Le niveau de l'orthographe à l'école suscite de nombreuses interrogations.
Le niveau de l'orthographe à l'école suscite de nombreuses interrogations.
©ERIC FEFERBERG / AFP

Langue en déclin

La faillite de la langue touche à la fois l’orthographe, la grammaire, le vocabulaire, la lecture, l’écriture et la compréhension du sens de ce qui est lu ou écrit.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Dans mon livre L’Ecole à la ramasse (L’Archipel, 2019), j’ai évoqué la faillite de la langue française, orthographe en tête. En menant mon enquête, j’ai été surpris de découvrir que le constat était ancien en réalité. On le faisait déjà, en 1893, pour un cours élémentaire. De nombreuses fautes sont commises dans les dictées, notait un observateur de l’époque : « entre douze et quinze dans un texte de six lignes ». Bis repetita quelques années plus tard. Un arrêté du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts en date du 26 février 1901 recommandait aux correcteurs d’examens de faire preuve de tolérance envers les fautes commises par les élèves. C’est l’époque où il se disait [déjà] que l’on parlait mal, écrivait mal.

Mais le « mal », tout de même circonscrit à l’époque, est plus profond aujourd’hui. La faillite de la langue est en effet globale, touchant à la fois l’orthographe, la grammaire, le vocabulaire, la lecture, l’écriture, la compréhension du sens ce qui est lu ou écrit. Et elle est pluri-générationnelle, concernant aussi bien les enfants, les adolescents et les jeunes que les adultes, comme nous le montrerons dans un instant. Dans sa récente communication à la presse, le ministre de l’Education Pap Ndiaye indique qu’à l’entrée en 6ème par exemple, 27 % des élèves ne savent pas lire ou comprendre correctement un texte. Pour le reste, comme nous le rappelions aussi il y a trois ans, les élèves d‘aujourd’hui font, dans une dictée de dix lignes, deux fois plus de fautes que leurs devanciers en 1987, avec une dégringolade continue depuis trente-cinq ans : 11 fautes en 1987, 15 en 2007, 18 en 2015 et 19 en 2021. Une étude récente du CNESCO (Conseil national d’évaluation du système scolaire) précise que seul un tiers des élèves de 3ème écrit lisiblement. Selon une autre enquête (de 2007), réalisée par Cogis -Manesse, en 2005 un élève de 5ème avait juste le niveau d’un écolier de CM2 vingt ans plus tôt. Enfin, une étude menée en 2005 auprès d‘élèves de seconde indiquait que 56 % d‘entre eux (contre 28 % en 2000) avait obtenu un « 0 » pour une dictée simple, commettant une quinzaine de fautes pour un texte de dix lignes et que seuls 18 % obtenaient la moyenne.

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Cette faillite de la langue touche aussi presque toutes les catégories sociales d’appartenance des élèves, y compris les enfants de l’« élite » qui, du coup, ont perdu au fil des ans ce « capital linguistique » dont parlait Bourdieu. Bref, le fait est là : il n’y a plus d’élèves qui ne font plus du tout d’erreurs en orthographe. 

Naturellement, les fautes de français se transmettant d’une génération à l’autre, l’on ne sera pas surpris de retrouver des étudiants qui, eux-aussi, parlent mal, écrivent mal. Ici encore le fait n’est pas nouveau, il s’est simplement aggravé, étendu. Comme nous le rapportons aussi dans notre livre, il y a plus de soixante ans, l’inspecteur général de l’enseignement secondaire, Le Gall, s’appuyant sur des témoignages de professeurs d’université, notait que l’on trouvait dans les copies d’étudiants de licence des fautes d’orthographe et de syntaxe du niveau d’élèves du certificat d’études. La baisse de niveau est aujourd’hui observée tant à l’université que dans les Grandes écoles (d’ingénieurs en particulier). Comme un certain nombre de ces étudiants vont devenir des enseignants, ces derniers vont à leur tour prendre des « libertés » avec l’orthographe, en commettant par exemple des erreurs de conjugaison de verbes, d’accords du participe passé, en employant des formules ou expressions inexactes, comme « les cahiers à Charlotte (au lieu des cahiers de Charlotte), « un film à la télé qui était trop bien (au lieu de très bien), etc.

Ainsi, est-il clair que ce ne sont plus les enfants, adolescents ou jeunes qui massacrent la langue française, mais aussi les adultes, et cela jusqu’aux plus hauts niveaux de responsabilités tant du secteur privé que du secteur public. Chefs d’entreprises et hauts-fonctionnaires sont désormais à « égalité d’erreurs de français ».

A la faillite de l’orthographe s’ajoute celle de la grammaire. Il n’y a plus respect ni des règles d‘accord et de conjugaison ni de syntaxe.

La conséquence, de l’aveu de tous les spécialistes, est que les élèves actuels ne comprennent tout simplement plus ce qu’ils lisent (selon des observations menées en 1997 par le président du Conseil national de l’époque, Luc Ferry, 35 % des élèves e 6ème étaient dans ce cas, 9 % étant même incapables de tirer des informations ponctuelles d‘un écrit – comment imaginer que ces chiffres ne soient pas plus élevés aujourd’hui ?).

L’on observe encore une méconnaissance profonde de vocabulaire. Interrogée il y a quelques années, une institutrice de Seine-Saint-Denis notait : « quand on lit un texte, on est obligé en permanence de montrer des images correspondant aux mots, car les élèves n’ont pas le vocabulaire. » En 2006, François Bégaudeau, alors professeur dans le secondaire, rapportait dans son livre Entre les murs (Ed. Verticales) une liste de mots inconnus de ses élèves. Parmi ceux-ci : contraception, combustible, gabarit, prosélytisme, crédible, factice, résignée, stimuler, objecter, suggérer, et beaucoup d‘autres.

*

Comment expliquer ce déclin de la connaissance de la langue française qui semble inexorable ? Plusieurs facteurs peuvent être énoncés, comme le recul de la culture classique – les Belles-Lettres étant détrônées par la culture scientifique (à cet égard, le ministre de l’Education Olivier Guichard faisait observer, dès 1970, que cette culture était désormais aussi étrangère à 90 % des classes aisées qu’aux enfants du peuple), comme la montée vertigineuse des langages numériques (textos surtout) permettant le recours à un vocabulaire pauvre, limité, à un troncage des mots. N’oublions pas non plus, après l’ouverture du collège à tous ans les années 1960, l’omission par l’Education nationale elle-même de procéder à des évaluations régulières du niveau des élèves.

La conséquence est que les élèves de 2023 écrivent sur leurs écrans tout simplement comme ils parlent dans la vie courante… et qu’ils écrivent en classe comme ils écrivent sur leur smartphone.

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Que faire ? Poursuivant les efforts de son prédécesseur, Jean-Michel Blanquer, qui voulait qu’à l’avenir tous les élèves soient capables de lire correctement à haute voix, puissent s’exprimer convenablement à l’oral et à l’écrit, en respectant le mieux possible l’orthographe et la grammaire, l’actuel ministre Pap Ndiaye vient de présenter à son tour une série de mesures destinées à enrayer le déclin de notre langue : dictées quotidiennes (brèves) en CM1 et CM2, une heure de soutien hebdomadaire en 6ème soit en français soit en mathématiques, renforcement de la lecture (les élèves devront acquérir la capacité de lire rapidement – soit 120 mots à la minute en CM2), établissement de deux heures quotidiennes de lecture et d’écriture en CM1 et CM2.

Sera-ce suffisant ? Probablement pas. C’est d’un plan GLOBAL de sauvetage du français dont notre école a besoin. En commençant par l’apprentissage du vocabulaire. Il faut apprendre aux élèves les mots de français comme on apprend les mots d‘anglais, d’allemand ou d’espagnol car leur pauvreté de vocabulaire est proprement ahurissante. Il faut évidemment faire plus de dictées, dès le CE2, pour réconcilier tous les élèves avec l’orthographe et la grammaire, afin qu’ils maîtrisent mieux conjugaisons de verbes, singulier et pluriel, accords du participe passé. Il faut régulièrement évaluer la compréhension de ce qu’ils lisent, écrivent, entendent. L’objectif est que le français redevienne la 1ère langue vivante dans nos écoles et ne connaisse pas le triste sort du latin, aujourd’hui langue morte. L’objectif encore est qu’à l’entrée en 6ème tous les élèves sachent lire, écrire et comprendre correctement notre langue.

Soyons-en conscients, avec la perdition de la langue, c’est la culture française elle-même que l’on met en danger… et ce n’est pas acceptable.

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