Le FMI va-t-il devenir le pire ennemi de Mohammed Morsi ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Il y avait déjà eu un pré-accord signé entrele FMI et le gouvernement égyptien en décembre.
Il y avait déjà eu un pré-accord signé entrele FMI et le gouvernement égyptien en décembre.
©Reuters

Bras de fer

Le gouvernement égyptien traverse une crise du budget et sa situation monétaire inquiète. Des négociations avec le FMI, initiées lundi, sont actuellement en cours pour l'obtention d'un prêt de 4,8 milliards de dollars. Les réformes demandées, coûteuses sur le plan social, ne risquent-elles pas de fragiliser un gouvernement déjà contesté auprès de l'opinion et des alliés salafistes ?

Didier Billion

Didier Billion

Directeur-adjoint de l’IRIS.

Spécialiste de la Turquie, du monde turcophone et du Moyen-Orient, Didier Billion est l’auteur de nombreuses études et notes de consultance pour des institutions françaises (ministère de la Défense, ministère des Affaires étrangères) ainsi que pour des entreprises françaises agissant au Moyen-Orient.

Voir la bio »

Atlantico : Le gouvernement égyptien fait actuellement face à une crise du budget ainsi qu'à une inquiétante situation monétaire, auxquelles s'ajoutent la grogne de l'opinion. Des négociations avec le FMI, initiées lundi, sont actuellement en cours pour l'obtention d'un prêt de 4,8 milliards de dollars. Ce bras de fer a t-il une chance de déboucher sur un compromis ? 

Didier Billion : Au vu des enjeux, à savoir le fait d'éviter une faillite du pays, il m'apparaît difficile d'imaginer une autre issue que celle d'un compromis avec le Fond Monétaire International. Il y avait déjà eu un pré-accord signé entre cette institution et le gouvernement égyptien en décembre mais il n'a pas pu être concrétisé suite aux troubles qui ont agité les rues du Caire après que Mohammed Morsi se soit arrogé les pleins pouvoirs. La mise en forme de l'accord jusque là théorique n'a donc jamais pu se réaliser et c'est pour cela que de nouvelles négociations sont actuellement en cours. Tous les voyants sont effectivement au rouge et cela devrait rapidement venir à bout de la volonté des Frères Musulmans, en particulier lorsque l'on sait que ces derniers ne sont pas vraiment allergiques aux politiques d'austérité que risquent fort de réclamer le FMI en échange du prêt nécessaire à la solvabilité du pays. La confrérie est loin d'être marxiste sur le plan économique, en particulier lorsque l'on sait que son véritable leader, Khayrat al-Shâter qui n'a pu se présenter pour des raisons judiciaires, est un business man dont l'immense fortune illustre la réussite.

L'armée, elle aussi très impliquée dans les affaires économiques locales, a tout autant intérêt à voir cet accord ce conclure pour que la croissance revienne, ce qui laisse entendre qu'aucun acteur de poids n'est aujourd'hui réellement opposé à des réformes structurelles qui remettent pourtant en cause le système économique égyptien.

Comment le pays en est-il arrivé à cette situation ?

Une des causes majeures est la chute des revenus touristiques qui représentent traditionnellement 5 à 8% du PIB. Cette manne financière a logiquement décliné ces deux dernières années (une baisse de 30% rien qu'en 2011 NDLR) surtout lorsque les tour-operator ont décidé d'annuler en masse les voyages organisés sur place, ces derniers représentant l'un des principaux apports de devises pour l'économie locale. Un autre problème de taille, déjà existant à la fin de l'ère Moubarak, est le fait que le commerce se dégrade à l'échelle régionale depuis le début des printemps arabes

On peut aussi évoquer le projet d'Union pour la Méditerranée qui a été rendu caduque suite aux départs de Ben Ali et Moubarak, ces derniers étant à l'époque les principaux interlocuteurs de Nicolas Sarkozy sur la rive sud. Ce projet, bien qu'il aurait pu être mieux conçu, représentait une opportunité commerciale supplémentaire qui n'a pu se concrétiser.

Les réformes demandées, coûteuses sur le plan social, ne risquent-elles pas de fragiliser un gouvernement déjà contesté auprès de l'opinion et des alliés salafistes ?

Il s'agit néanmoins d'une manœuvre délicate malgré ce consensus interne et le soutien de l'armée évoqué plus haut. L'opinion risque logiquement de voir d'un mauvais œil la baisse des subventions sur les produits du quotidien (nourriture, essence...) et il est très probable que de leur côté les "alliés" salafistes du gouvernement s'opposent à une trop grande ingérence d'un institut international basé aux Etats-Unis.

L'autre dossier épineux concerne la réduction de la fonction publique qui est largement en sur-effectif dans le pays. Une histoire courante en Egypte consiste à dire que des milliers de fonctionnaires vont seulement pointer dans les ministères ou les mairies pour mieux repartir sur leurs véritables lieux de travail. Les salaires des employés d'Etat sont loin d'être mirobolants mais cela représente une masse de dépenses inutiles conséquente à l'échelle nationale et il est probable que l'obtention du prêt se fera à condition que des efforts soient faits dans ce domaine, ce qui risque à terme de déclencher une fronde des salariés publics contre le gouvernement Morsi.

Les Frères Musulmans sont malgré tout à l'exercice du pouvoir et ne peuvent donc plus se contenter de formules toutes faites et séductrices pour l'opinion. L'urgence économique est bien concrète et il faudra donc bien que le pouvoir applique le fameux "Consensus de Washington" en coupant dans les dépenses de l'Etat. Que cela soit bon ou mauvais, c'est un autre débat, mais cela semble démontrer en tout cas que les "Frères" sont partisans d'un certain pragmatisme politique , contrairement à ce que beaucoup aurait pu imaginer. Comme ce fût souvent le cas dans d'autres pays et d'autres époque, on voit que la raison d'Etat a donc de fortes chances de l'emporter sur l'idéologie initiale de la confrérie.

Quelles influences cela pourra t-il avoir sur les élections législatives qui se tiendront dans deux mois ?

Il est probable que les scores qu'obtiendront les Frères Musulmans seront moins bons que les 47% obtenus aux dernières élections de ce type en janvier 2012. On a déjà vu leur influence s'éroder au premier tour de l'élection présidentielle (23 et 24 mai de la même année NDLR) ou Morsi n'a ramassé "que" la moitié des voix obtenues par son parti quatre mois plus tôt.

Il existe de plus un ressort qui ne s'est toujours pas activé, à savoir la situation de plus en plus précaire des classes populaires. Ces dernières n'ont pas réellement été impliquées dans les évènements de la place Tahrir et sont avant tout préoccupées par la hausse des prix et du chômage. La partie la plus pauvre de l'Egypte est ainsi la première a subir le contrecoup économique et il est probable qu'elle arrive bientôt a saturation, ce qui jouera évidemment en défaveur de M. Morsi qui y trouve une bonne partie de son électorat.

Le régime sort néanmoins renforcé de la mauvaise passe de décembre après la validation de sa Constitution par 64% des électeurs. Cet événement a pu révéler que, bon gré mal gré, la majorité des égyptiens souhaite avant tout obtenir une certaine stabilité après plus d'un an de troubles. On peut de plus ajouter que les Frères Musulmans ont, pour l'instant, une image encore positive héritée de la période Moubarak durant laquelle ils entretenaient un réseau d'écoles et de dispensaires qui les a rendu populaires. L'opposition a du acter de son côté qu'elle était minoritaire et doit de plus gérer ses propres divisions internes, bien qu'une relative avancée ait été obtenue dans ce domaine avec la constitution du Front de Salut National le mois dernier. On ne peut donc pas vraiment dire que la situation politique se dégrade à cet instant précis pour M. Morsi bien que le terrain soit miné.

Nous allons selon moi malgré tout vers une probable victoire du parti au pouvoir, la vraie question étant de se demander le poids qu'auront d'un côté l'opposition et de l'autres les partenaires salafistes du parti AL-Nour, qui possèdent déjà 24% des sièges au Parlement.

Propos recueillis par Théophile Sourdille

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !