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Les choix britanniques en matière budgétaire pourraient-ils déclencher une crise globale ?
Les choix britanniques en matière budgétaire pourraient-ils déclencher une crise globale ?
©NIKLAS HALLE'N / AFP

Inquiétude sur les marchés

La Première ministre britannique, Liz Truss, a dévoilé un plan de dépenses massif avec 45 milliards de livres de baisses d'impôts non financées, qui profitent surtout aux plus riches. Le gouvernement britannique s'adresse aussi aux faibles revenus, avec un bouclier tarifaire sur les factures d'énergie pour les particuliers et les entreprises cet hiver.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : S'adressant aux journalistes mardi, la secrétaire au Trésor Janet Yellen a déclaré que les États-Unis "suivent de très près l'évolution de la situation" au Royaume-Uni. Le FMI a exhorté le Royaume-Uni à "réévaluer" les réductions d'impôts prévues dans son plan fiscal. A quel point le budget britannique est-il problématique ?

Jean-Paul Betbeze : Les réactions au « mini-budget » britannique ont été violentes et surprenantes. Liz Truss, qui vient d’être nommée Première ministre a en effet présenté la semaine dernière un budget plus libertarien encore que conservateur, avec des baisses d’impôts pour les entreprises et les ménages, modestes ou riches. Elle s’opposait ainsi à la politique plus mesurée, avec même des hausses d’impôts, de Rishi Sunak, et ainsi le battait. En plus, elle souhaite aller plus loin et revoir la structure de l’administration, pour aller vers davantage de simplicité et de réactivité, avec des effectifs publics moins nombreux. Liz Truss poursuit ainsi la démarche qu’elle avait commeministre du commerce, quand elle était alors en butte aux tarifs douaniers, qu’elle voulait baisser (Australie, Japon, Inde). Elle voulait pousser dans le pays les entreprises à avancer, grâce à la concurrence et contre tout « protectionnisme ». Depuis, comme Première ministre, elle est contre le big spending et le big government et maintenant le peut, en théorie du moins…

Janet Yellen a donc exprimé les interrogations du gouvernement américain sur les choix britanniques, ce qui est rare, au moment même où les États-Unis sont eux-mêmes en fort ralentissement, pour lutter contre une inflation à 8,5%, avec des taux qui vont vers 4,5%. Janet Yellen sait parfaitement que l’inflation britannique est à 9,9% pour des taux à 2,25%, avec un PIB en légère baisse au deuxième trimestre, après trois de quasi-stagnation. Elle craint donc une forte récession britannique, au moment même où elle s’inquiète pour les États-Unis, en pleines élections mid-term.

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Pire, le FMI ajoute ses propres soucis le 27 septembre de manière sobre certes, mais claire. « Nous suivons de près les développements économiques au RU… Nous comprenons que l’important soutien annoncé… vise à aider ménages et entreprises face au choc énergétique et à soutenir la croissance par des baisses d’impôts et des soutiens à l’offre. Cependant, compte tenu de l’inflation élevée… nous ne recommandons pas des soutiens importants et non ciblés… De plus, la nature des mesures du RU va vraisemblablement accroître les inégalités ». Enfin, pour « aider » sans doute, le FMI indique que la présentation officielle du budget, le 23 novembre, sera l’occasion de mieux revoir ces mesures, « spécialement pour les bénéficiaires de hauts revenus » ! Merci.

On aura compris que ce « mini-budget » est donc vu comme très problématique par rien moins que le Trésor américain et le FMI, car trop important (10% du PIB). La première réaction, forte et hostile, a été celle des marchés financiers, accélérant la chute de le la livre et plus encore faisant monter les rendements publics à 10 ans de 3,2% à mi-septembre à 4,5% le 27. Ceci est évidemment incapable de soutenir la demande, étant inégalitaire et vague, au moment où il s’agit de lutter contre l’inflation. Sans le dire, faire faiblir la quatrième monnaie du monde, dans un temps de fortes menaces et incertitudes, n’est pas du tout souhaitable. Un travail, au mieux, égoïste.

Les choix britanniques en matière budgétaire pourraient-ils déclencher une crise globale ?

Tout est possible. Dans les jours qui viennent, tout dépendra des corrections qui vont être prises, après les premières réactions politiques et surtout celles de la Banque centrale anglaise… qui n’allaient pas dans le bon sens.

Dans le camp travailliste, les réactions ont été évidemment violentes, contre des mesures qui profitaient surtout aux « riches ». Mais dans le camp conservateur même, on entend des voix qui s’expriment, anonymement ou non, dans la presse et demandent le départ du tout nouveau Chancelier de l’échiquier, Kwasi Kwarteng, ami de la Première ministre qui partage largement sa philosophie. Et certains se demandent si Liz Truss durera un mois !

Le point majeur est celui des réactions de la Banque centrale anglaise qui a dû intervenir en catastrophe, en achetant à partir du 28 septembre des obligations d’État (titres de créances) à « échéance éloignée » afin de « rétablir des conditions de marché normales ». « Si ce dysfonctionnement du marché continue ou empire, cela causerait un risque réel pour la stabilité financière du Royaume-Uni » écrit-elle, ce qui montre l’ampleur du problème. La BOE poursuit : « Ceci conduirait à un resserrement des conditions de crédit et à une réduction des flux de financement à l’économie réelle ». Pour l’heure, la Banque centrale devrait donc acheter 5 milliards de bons (Gilts) par jour pendant 13 jours, soit 65 milliards qui seront remboursés par le trésor. 

Si les principaux responsables de la politique financière mondiale, y compris le FMI et le secrétaire au Trésor américain, expriment ces préoccupations en public, est-ce que cela signifie que les alertes en privé n’ont pas été entendues ?  

De fait, la première réaction, forte et hostile, a été celle des marchés financiers, accélérant la chute de la livre et plus encore faisant monter les rendements publics à 10 ans de 3,2% mi-septembre à 4,5% le 27, ce qui a inquiété les marchés, avec en sus une chute de la bourse. Le FTSE 100 est ainsi à 6850 contre 7500 mi-août et 7300 mi-septembre.

Mais ce qui est vraiment surprenant, c’est ce programme pour soutenir l’activité en pleine accélération de l’inflation alors que ce qui se passe actuellement aux États-Unis montre bien que c’est surtout ce qu’il ne faut pas faire, outre le fait que soutenir la croissance par des baisses d’impôts, au bord de la récession, ne marche jamais. Ceci alimente plutôt des encaisses de spéculation qui permettront aux « riches » de profiter de la chute des cours boursiers !

Les inquiétudes publiques risquent-elles de précipiter une potentielle crise ? 

La crise financière anglaise montre sans doute l’impréparation du nouveau gouvernement, mais elle a conduit la BOE à voler à son secours, mettant en question son indépendance. La politique monétaire devient étroitement budgétaire ! Certes, un vent de panique a soufflé, soulevant des interrogations sur la solidité même du système britannique de pensions, qui aurait été incapable de payer les retraites devant la baisse de valeur des obligations publiques à long et très long terme, devenues illiquides. Le risque était systémique.

Dans le monde, ceci a fait monter les taux longs les mieux notés, dont les taux anglais qui figurent aux premiers rangs - donc le prix du risque. Les politiques anglais ont alors promis de revoir leur copie, avec des coupes dans les dépenses et peut-être une révision de leur projet de baisses d’impôts. Est-ce bien sérieux ? En attendant que la BOE reprenne son quantitative easing ! La crédibilité du gouvernement est atteinte et le secteur du logement paiera le premier la facture.

Finalement, on doit se dire que tous les marchés sont liés, grands ou moins grands. Et qu’il nous donc faut penser, en France, pour les retraites, à ce qui se passe partout et maintenant plus en Italie et au Royaume Uni. Il faut voir loin devant, et juste à côté. 

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