Le faible impact des efforts russes en la matière montre que la dédollarisation de l’économie mondiale n’est pas pour demain <!-- --> | Atlantico.fr
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Une pièce de monnaie en rouble russe est photographiée avec des billets d'un dollar américain et une pièce d'un dollar à Moscou.
Une pièce de monnaie en rouble russe est photographiée avec des billets d'un dollar américain et une pièce d'un dollar à Moscou.
©AFP

Sanctions économiques

Avec les conséquences économiques de la guerre en Ukraine, certains experts se sont interrogés sur la possibilité d’une diversification de l’économie mondiale par rapport au dollar. Un document de travail du FMI évoque une érosion dissimulée du dollar. Quelle est la réalité du phénomène et son ampleur ? Quelles sont les forces du dollar qui lui permettent de résister ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Avec la guerre en Ukraine, certains experts se sont interrogés sur la possibilité d’une diversification par rapport au dollar de l’économie mondiale. Un document de travail du FMI parle de l’érosion dissimulée du dollar. Quelle est la réalité du phénomène et son ampleur ? A quel point est-ce lié ou non aux actions russes ? 

Jean-Paul Betbeze : Le dollar devrait gagner de la guerre d’Ukraine en augmentant à court terme sa part dans les réserves mondiales, au rebours de vingt ans de lente érosion, et l’euro pourrait s’en différencier, donc en profiter, si et seulement si l’Union européenne adopte une franche politique d’Europe Puissance.

Tout d’abord, la guerre en cours marque une rupture évidente dans les relations mondiales, militaires et politiques bien sûr, mais aussi monétaires et financières. Toutes les décisions seront donc plus politiques, quand il s’agira de commercer, plus encore d’investir et toujours de discuter de la monnaie dans laquelle se faisaient les contrats. Le temps de l’érosion inconsciente du dollar est achevé, où il passait de 71% des réserves en 1999 à 59% en 2021 : 12 points de pourcentage !

Les bénéficiaires de cette baisse de part de marché sont la Chine, pour un quart, pas l’euro, toujours à 20%, ni le yen ni la livre à 5% chacune, mais le yuan pour un quart seulement, atteignant 10% des réserves mondiales. Les autres gagnants sont de « petites monnaies » : dollar canadien, dollar australien, won coréen, couronnes suédoise, norvégienne ou danoise, plus dollar singapourien.

La dynamique des échanges mondiaux, avec la montée de la Chine dans le commerce mondial explique cette évolution, mais plus encore des comportements actifs des trésoriers des banques centrales, en quête de rendement et de valorisation, pour les autres monnaies.

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On peut penser que cette phase financière de placement de réserves hors dollar américain est aujourd’hui close. La monnaie la plus sûre sera le dollar, pour des raisons politiques et militaires, quant au renminbi, son poids sera lié aux échanges, notamment dans les « routes de la soie », donc à la politique, mais une autre. Dans ce contexte, il n’y a guère que l’Europe Puissance comme carte à jouer pour « tenir » l’euro, sachant que la BCE n’augmentera pas ses taux, à la différence de la Fed. Le ferons-nous ?

Pour autant, même si érosion il y a du dollar, imaginer une dédollarisation de l’économie à court ou moyen terme est-il crédible ? Quelles sont les forces du dollar qui lui permettent de résister à des situations comme la conjoncture actuelle ?

Impossible de penser actuellement à une dédollarisation : nous sommes dans une phase de purs rapports de force. Les États-Unis sont le premier PIB du monde, le premier innovateur du monde et surtout la première puissance militaire du monde, au moment même où l’efficacité de l’armée russe est en question. Les « petites monnaies », hors le renminbi donc, ne peuvent résister, pour des raisons de risque : elles ne pèsent pas. Quant au renminbi, entre Russie et Chine, nous sommes dans une relation politique, les réserves en renminbi à la Banque centrale russe étant les seules à ne pas être bloquées, ce qui permet à la Russie de payer ses fournisseurs et d’encaisser les ventes de son gaz, de son pétrole, de ses métaux et terres rares, après un (gros) rabais à la Chine. Donc, en temps de guerre, dollar partout et renminbi pour les amis-obligés de la Chine !

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La Russie n’a pas de choix autre que le renminbi, ce qui ne l’empêche pas de tester le crypto-rouble à Londres, où c’est possible ! On découvrira plus tard des transactions en Bitcoins et autres ! Ce qui est le plus important pour l’avenir est d’une autre nature : les gels, politiques, des réserves en dollars et en euros à la Banque centrale russe. Une première absolue, liée à la fermeture de SWIFT à de nombreuses banques russes, ce qui handicape au moins leurs échanges, sauf que la Russie avait son système  (certes moins performant) et que la Banque centrale de Russie a accru ses lignes de crédit avec la Banque de Chine.

Sans dédollarisation, toutes les banques centrales, de pays démocratiques ou non, vont se demander que faire en cas de blocage des réserves de leurs correspondants, de fermeture ou de perturbations de SWIFT. La guerre d’Ukraine, plus les réactions américaines et européennes, ont assuré la suprématie du dollar en temps de guerre et la venue du renminbi comme « l’autre monnaie » - ingelable. Dédollarisation non, cohabitation du dollar et du renminbi : oui. 

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