Le débat qui fait rage aux États-Unis : marijuana ou cocaïne, qui est la plus dangereuse ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'addiction massive de certains aux drogues et à l'alcool trouve leurs racines dans notre société
L'addiction massive de certains aux drogues et à l'alcool trouve leurs racines dans notre société
©Flickr/Nightlife Of Revelry

Fumée et poudre blanches

La classification des drogues du gouvernement américain met le cannabis à égalité avec l'héroïne, ce qui en ferait une substance plus dangereuse que la cocaïne.

Jean-Pierre  Couteron

Jean-Pierre Couteron

Psychologue, Président de la Fédération Addiction

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Pier  Vincenzo Piazza

Pier Vincenzo Piazza

Directeur de recherche - PhD - INSERM. Chercheur

Directeur d'Unité - Neurocentre Magendie - Physiopathologie de la plasticité neuronale 

Responsable d'Equipe - Physiopathologie de l'addiction

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Atlantico : La classification du gouvernement américain met le cannabis à égalité avec l'héroïne, et en fait une substance plus dangereuse que la cocaïne. Du point de vue des effets sur la santé, le cannabis est-il réellement plus dangereux que la cocaïne ?

Jean-Pierre Couteron : En fait, il s’agit d’un problème de classification, très technique, qui effectivement aboutit à un résultat un peu absurde, mettant la marijuana à une place étonnante. Cela résulte des paramètres retenus pour cette classification. Ainsi, si on classe selon les risques psychiatriques, le tabac est jugé sans gros danger, mais si on classe en fonction du risque de dépendance, il devient une des substances les plus dangereuses. Ici, le croisement de paramètres (intérêt médical, dangerosité, etc..) aboutit à ce paradoxe.

Pier Vincenzo Piazza : Il est difficile de hiérarchiser ces trois drogues. Le cannabis est une drogue dangereuse, tout comme l'héroïne et la cocaïne. Après, savoir s'il faut dire que l'héroïne est moins dangereuse que la cocaïne, ou que la cocaïne est plus dangereuse que l'héroïne, c'est très compliqué. Tout dépend des paramètres pris en compte. Chaque drogue a des effets différents sur la santé. Il y a des idées préconçues à propos de la drogue : on dit que l'héroïne donne beaucoup plus de toxicomanie que la cocaïne, or ce n'est pas vrai. Je pense que l'important c'est de dire que les 3 sont des drogues. Cela revient à se demander ce qui est mieux : une pomme ou une poire ? Je ne sais pas, chacun fait sa classification. Ce qui est clair, c'est que la pomme et la poire sont toutes les deux des fruits, et que la cocaïne l'héroïne et le cannabis sont des drogues.

Comment ces deux drogues agissent-elles sur notre organisme, et qu'est ce qui les différencie?

Pier Vincenzo Piazza :La cocaïne a un effet très localisé sur les neurones dopaminergiques. Cela fait énormément augmenter la production de ces neurotransmetteurs de la dopamine qui sont les neurotransmetteurs de la motivation. Vu que la dopamine augmente beaucoup, tous les efforts associés à la recherche disparaissent et la recherche en elle-même devient un plaisir. La cocaïne c'est le plaisir de chercher sans besoin de trouver.

Le cannabis lui a un effet beaucoup plus large sur le cerveau parce que le récepteur sur lequel agit, le THC est le plus exprimé dans le cerveau, il est partout. Les effets du cannabis sont complètement différents : plutôt baisse de motivation, problème de mémoire, un effet sur la prise alimentaire, un effet sédatif etc. Ce sont des drogues qui ont des effets diamétralement opposé. Le cannabis agit sur tout le cerveau. La cocaïne agit sur un groupe de neurones très restreint qui se trouve dans la partie basse du cerveau. Le cannabis agit sur un récepteur appelé CB1 qui est le récepteur le plus exprimé de tout le cerveau et qui se retrouve dans toutes les parties du cerveau.

Le cannabis est très utilisé chez les 14-23 ans. On a affaire à 41% d'utilisation dans cette tranche d'âge. Chez ces personnes-là, l'effet est extrêmement néfaste car il y a deux aspects : le premier c'est que le sujet n'arrive plus à faire des efforts. Le deuxième est un effet sur la mémoire. Pour quelqu'un qui est au début de sa carrière ou encore dans le système scolaire, ce sont des effets très néfastes. D'ailleurs une étude américaine montre qu'une utilisation journalière de cannabis est associée avec 70% d'arrêt des études et de chômage. La cocaïne en revanche donne l'impression de moins de fatigue et la capacité de produire plus d'effort. D'ailleurs elle est très utilisée comme l'amphétamine dans des pays comme le Japon pour justement aider à satisfaire les demandes très importantes.

Les deux sont néfastes pour l'organisme, peut-on néanmoins qualifier le cannabis de drogue "douce" et la cocaïne de drogue "dure"? Ces appellations sont-elles justes médicalement parlant?

Pier Vincenzo Piazza :Ce n'est pas juste du tout. Le cannabis agit comme une drogue grâce à un principe actif appelé le THC. Ce principe actif là est une drogue dure, pas du tout une drogue douce. Je pense que cet aspect du cannabis comme drogue douce vient du fait que le cannabis a été d'abord utilisé dans les pays occidentaux dans les années 60-70, sous une variété qui contenait beaucoup moins de THC que le cannabis d'aujourd'hui. Les trafiquants ont bien compris ce qui rendait les gens dépendants au cannabis et ont fait des croisements pour augmenter la quantité de THC qui est aujourd'hui 30 fois supérieure à celle d'avant. Le THC n'est pas une drogue douce du tout, et le cannabis en contient de plus en plus aujourd'hui ce qui en fait une drogue addictogène et très néfaste.

Laquelle de ces deux drogues rend-t-elle le plus dépendant ? Comment ces deux drogues agissent sur notre cerveau pour nous rendre dépendant ? 

Pier Vincenzo Piazza :C'est une bonne question. La cocaïne est, elle, prise de deux façons différentes. Il y a la cocaïne en poudre et le crack, la cocaïne en caillou. C'est la même molécule, mais le crack, acheté en cailloux peut être fumé, tandis que la cocaïne qu'on achète en poudre il faut la sniffer. La cocaïne fumée rend beaucoup plus dépendante que la cocaïne sniffée. Le cannabis est fumé lui aussi. Je dirais que la cocaïne, par voix d'administration comparable, provoque plus de dépendance que le cannabis. Si on compare le cannabis fumé et la cocaïne toute seule, je dirais que c'est très proche. La cocaïne peut-être un peu plus mais pas beaucoup. La voix d'administration est très associée au niveau de dépendance. Plus la drogue a un accès rapide au cerveau plus elle vous rend dépendante. Je dirais que la cocaïne provoque un peu plus de dépendance que le cannabis. La cocaïne, c'est 25% de chance de devenir toxicomane de l'année 1 à l'année 2. Le cannabis, c'est 15%.

Médicalement, quelles sont les méthodes pour mettre un terme à la dépendance à ses drogues?

Pier Vincenzo Piazza :Aujourd'hui pour la cocaïne et le cannabis, rien.Ce sont deux drogues pour lesquelles on n'a pas de médicaments. Nous essayons d'en développer un mais il est encore en phase expérimentale.

Il n'existe pas de traitement parce que notre société, jusqu'à aujourd'hui, n'a pas été extrêmement intéressée dans le fait de trouver des thérapies pour guérir la toxicomanie. La France dépense 1,5 milliard d'euros dans la lutte contre la toxicomanie, dont seulement 18 millions par an vont à la recherche. Ceux qui dépensent le plus sont les Américains. On investit très peu la-dedans, de façon incompréhensible, parce que la toxicomanie, est une priorité de santé n°1. Certaines thérapies existantes aujourd'hui sont des thérapies de substitution. On donne une substance qui a des effets un peu similaires à ce que la personne prend d'habitude mais moins puissante que la drogue initiale. Cependant, pour la cocaïne et le cannabis ce 'est pas possible de faire des thérapies de substitution car les effets de la drogue en elle-même sont compliqués, ce n'est pas comme la nicotine par exemple. On peut le faire avec l'héroïne et la méthadone en revanche. Mais on n'a pas de thérapies parce qu'on ne cherche pas beaucoup.

En Europe et en France, que dire de la position des gouvernements face à la marijuana?

Jean-Pierre Couteron : En France, la position est connue : le cannabis, qu’il soit sous forme de marijuana ou autre résine, tombe sous le coup de la loi de 1970 sur les stupéfiants. Donc son usage est pénalisé. Cette position reste celle de tous les gouvernements depuis les années 70. Les différences de réponses portent sur le versant sanitaire, pas sur la conception pénale. En Europe, dans tous les pays de l’UE, la détention et le trafic sont interdits. Dans les faits, les pays ont adopté des politiques très nuancées, concernant l’usage : le Portugal ne sanctionne plus d’une peine de prison l’usage simple, mais prononce une obligation de rencontre pour le mineur, la Hollande joue sur la distribution, avec les coffee-shop, d’autres pays ne prononcent qu’une sanction administrative. Idem pour la détention de petites quantités, la sanction va de la prison à la simple sanction administrative (retrait du permis de conduire, du passeport…).

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