Le conseil de défense ou l’inquiétant développement d’une gouvernance viciée <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Emmanuel Macron assiste à un Conseil de défense avec le ministre français de la Santé Olivier Veran et le secrétaire général de l'Elysée Alexis Kohler, le 12 novembre 2020.
Emmanuel Macron assiste à un Conseil de défense avec le ministre français de la Santé Olivier Veran et le secrétaire général de l'Elysée Alexis Kohler, le 12 novembre 2020.
©Thibault Camus / POOL / AFP

Libertés publiques

Ce vendredi 2 septembre, Emmanuel Macron réunit un conseil de défense afin de se pencher sur la crise énergétique face à l’envolée des prix et aux risques de pénuries avec la guerre en Ukraine. Le chef de l’Etat, qui souhaitait gouverner autrement, reproduit le même schéma que lors de son premier mandat avec la crise sanitaire.

Rafaël Amselem

Rafaël Amselem

Rafaël Amselem, analyste en politique publique diplômé du département de droit public de la Sorbonne. Rafaël Amselem est également chargé d'études chez GenerationLibre.

 

Voir la bio »

Atlantico : Le gouvernement a annoncé un conseil de défense sur les questions énergétiques. Comment analyser cette décision ?

Rafaël Amselem : Il est difficile de se mettre dans la tête des dirigeants mais si l’on observe les différentes déclarations, on peut y voir une volonté d’avertir du sérieux de la situation. C’est aussi sans doute une théâtralisation de la situation par la mise en scène d’un nouveau conseil de défense sur un thème qui, même s’il est grave, ne mérite pas qu’on fasse appel à un organisme couvert par le secret défense.

Pourquoi le recours au conseil de défense ne se justifie pas selon vous ?

Cela fait partie d’une façon de pratiquer le pouvoir qu’on a vu se développer avec la crise sanitaire qui introduit l’idée que les institutions n’ont pas été faites pour faire face aux crises qui se présentent à nous. Cela laisse entendre qu’il faudrait, à chaque fois, sortir du cadre usuel pour employer des méthodes exceptionnelles. C’est problématique du point de vue de la continuité de nos institutions, de la démocratie libérale – avec une centralisation de la décision, et cela nourrit une concentration autour de la figure présidentielle. Le président et l’exécutif se retrouvent isolés dans la prise de décision. Et même s’il y a un aura ensuite un débat, surtout avec la configuration de l’Assemblée, rien ne justifie autant de centralisme. Le secret défense est là pour se prémunir d’un ennemi qui menacerait la sécurité nationale. De quel ennemi essaie-t-on de se prémunir actuellement ? Personne. La crise de l’énergie n’est pas une personne, pas plus que le coronavirus ne l’est. En ce sens, la décision est illégitime et favorise la fragilisation de nos institutions. Pire, elle instille l’idée que la verticalité seule est à même de produire de l’efficacité, faisant fi des contre pouvoirs qui seraient avant tout un encadrement à cette efficacité.

À Lire Aussi

Passe sanitaire : mais qui osera dire STOP aux restrictions des libertés publiques décorrélées d’une efficacité sanitaire établie ?

Dans quelle mesure est-ce une méfiance des institutions de la cinquième République ?

Il y a deux aspects. L’un est contextuel. Emmanuel Macron a montré, depuis 2017, sa vision centralisée du pouvoir. Pendant la crise sanitaire, le gouvernement a fait peu cas des contre-pouvoirs dans l'évaluation des décisions adoptées. Les différentes cours n’ont pas été sollicitées et n’ont pas la parole. Le quinquennat d’Emmanuel Macron a montré que les libertés publiques, l’évaluation des décisions par des contre pouvoirs, notamment la question de la proportionnalité des mesures, n’étaient pas dans l’ADN de la Macronie.

Pour autant, il ne faut pas sous-estimer le facteur institutionnel. Tout cela est favorisé par le contexte d’un régime politique qui entérine un rapport de force entre l’exécutif-le président de la République et les contre pouvoirs. Cela a été pensé par Raymond Aron qui, dans son essai Des libertés, analyse que la Constitution donne une place très importante au président de la République et qu’un contexte de subordination au président de la République est induit par les élections. Les députés sont redevables au président de la République plus qu’à leurs électeurs et ce pendant tout un quinquennat. Sur un point plus technique, Raymond Aron le soulignait aussi : le parlement ne dispose pas des moyens techniques et financiers à même de concurrencer le gouvernement dans l’évaluation de son action. Cela crée une inégalité fondamentale. De fait, nos institutions favorisent la centralité du pouvoir.

Emmanuel Macron ne fait donc qu’abuser d’un système ?

À Lire Aussi

Décroissance : les très grossières erreurs de raisonnement du Prix Nobel de physique 2021

Oui tout à fait. La question qui se pose est : le fait-il sciemment ou non ? Il a en tout cas un régime politique dont il utilise l’ensemble des mécanismes pour servir sa propre vision politique.

Est-ce aussi symptomatique d’une forme de management « startup nation » par la « task force » ?

Il y a peut-être de cela, dans cette optique de toujours plus d’efficacités. Comme l’explique très bien François Sureau, le gouvernement a l’efficacité comme principe général, pas la protection des libertés publiques qui est à la charge d’autres contre pouvoirs. D’où l’importance que ces derniers soient forts.

En quoi est-ce révélateur d’une certaine pratique de la gouvernance aux effets délétères?

Cela participe avant tout au flou démocratique, cela donne le sentiment qu’on a besoin de cacher, de dissimuler. Cela nuit à l’évaluation des décisions prises. Donc cela diminue la qualité du débat démocratique. Les institutions, les contre pouvoirs sont perçus comme des barrages à l’efficacité au lieu d’être considérés comme des rouages permettant d’autres points de vue, une autre lecture. D’une façon générale, le rapport à la centralité du pouvoir en France pose des questions sur le rapport à nos libertés et à notre conception de la démocratie libérale. C’est un renversement entre l’individu et l’Etat qui induit une préférence pour le technocrate et la production normative. Et c'est de ça dont la France est malade aujourd’hui.

Si la dynamique se poursuit, pourrait-elle avoir de vraies conséquences en matière de libertés publiques ?

À Lire Aussi

Conseil de défense énergétique : et si la feuille de route à adopter était en réalité évidente ?

Bien sûr, et on l’a vu pendant la crise sanitaire. On peut admettre des mesures d’urgence en situation de crise, mais le tout est de savoir comment. La crise sanitaire a été la preuve que le pouvoir se fiche des contre pouvoirs et qu’il ne réfléchit pas à l’impératif de proportionnalité. Et c’est un élément essentiel. La proportionnalité vise à ce que, si un contexte justifie une privation de liberté, on garde à l’esprit que ces limitations demeurent l’exception et non la règle. En ce sens, chaque restriction doit être proportionnée. C’est le sens de la surveillance qu’à fait Génération Libre avec l’Observatoire des libertés confinées.

Quid de la suite ? Il faut se référer à Tocqueville. Il estime qu’à un moment, face à un pouvoir trop centralisé, le peuple, s’il ne constate pas plus de satisfaction ou plus d’efficacité des politiques publiques, va soit se donner de nouvelles institutions, soit empirer la situation en réclamant un gouvernement plus centralisé encore. Je crains qu’on se dirige plutôt vers cette seconde option.

Le sujet vous intéresse ?

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !