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Le combat féministe est-il encore un humanisme ou juste un gauchisme comme les autres ?
©AFP

Journée du droit des femmes :

La grande journée annuelle des droits des femmes a lieu aujourd’hui. Cette journée célébrée à l’appel du Parti socialiste américain au début du XXème siècle prend ses racines dans l’idéologie de gauche et pourtant le caractère universel de la revendication ne devrait pas être politisé.

Anne-Sophie Chazaud

Anne-Sophie Chazaud

Anne-Sophie Chazaud est essayiste et chroniqueuse. Auteur de Liberté d'inexpression, des formes contemporaines de la censure, aux éditions de l'Artilleur, parution le 23 septembre 2020. 

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Atlantico : Le féminisme tient une position centrale dans nos débats contemporains mais parfois nous nentendons plus que des discours abscons faisant perdre de la substance au débat. Le féminisme a-t-il perdu ses revendications initiales en devenant l'un des faits d'armes d'une certaine gauche ?

Anne-Sophie Chazaud : La journée des femmes, le 8 mars, considérée dans certains pays dont la France  comme « journée des droits des femmes », fait partie des dizaines de journées introduites ou reconnues par l’ONU, au même titre que, le 21 janvier, la journée des câlins (le roi Louis XVI qui en ce jour perdit sa tête trouva le câlin un peu rude), le 2 février « journée des zones humides » (hum), aussi sûrement que, cela tombe sous le sens, le 14 mars est la journée de pi (que les puristes préfèrent appeler Journée de l’approximation de pi) dédiée à la constante mathématique éponyme, le 4 mai la journée de Star Wars (Je suis ton Parent 1), ou le 1er août celle de la bière, suivie immédiatement par la journée du chat (aucune journée de la chatte ? pourtant, on aimerait…), talonnée de près, le 13 août, par celle des gauchers, ou celles, en septembre, du bambou puis de la rage, sans compter celle du 26 septembre consacrée à « la visibilité intersexe », ou la journée des toilettes du 19 novembre, tout ceci pour finir l’année en beauté avec la journée de l’orgasme le 21 décembre, histoire d’aborder Noël dans de bonnes dispositions…

Dans ce calendrier burlesque et il faut bien l’avouer assez poétique à la Prévert, certaines célébrations ont naturellement plus d’importance que d’autres, en raison de leur histoire mais aussi de leur impact et des enjeux qu’elles recouvrent. S’agissant ici en l’occurrence d’une journée consacrée à la moitié de l’humanité, on peut considérer l’aspect non accessoire de l’affaire. Le fait que cette journée soit le fruit d’un combat historiquement marqué à gauche n’est pas étonnant au regard de l’évolution du mouvement féministe, quand bien même on ne saurait l’y résumer ni l’y réduire. Ce sont les mouvements politiques autrefois progressistes (du temps où le progressisme n’était pas un simple argument rhétorique de communication et soutenait de véritables enjeux humanistes et sociaux) qui ont indéniablement porté la prise de conscience en matière de droits des femmes, et quand bien même l’opposition souvent binaire dans les représentations sur ce sujet ne permet pas toujours d’approcher avec finesse la réalité et la diversité des situations. Pour autant, les acquis issus de ces luttes bénéficient à l’ensemble des femmes et ont à ce titre une portée universelle.

Les aspects parfois délirants du néo-féminisme contemporain ne sauraient par conséquent être confondus avec la vigilance essentielle et universaliste portée par le mouvement féministe sur le temps long, pas davantage qu’on ne saurait réduire la gauche au gauchisme qui en est, comme chacun sait, la maladie infantile, voire, désormais, infantiliste et victimaire.

Les excès de ce néo-féminisme volontiers hystérique et ancré dans les réflexes « woke » de l’indignation matricielle de l’époque actuelle, posent de nombreuses questions et difficultés dont il est capital que le mouvement féministe parvienne à s’extirper.

On associe souvent le féminisme avec la gauche, est-ce un mouvement indissociable du bord politique ou a-t-il a une identité propre ? 

Anne-Sophie Chazaud : Le gauchisme, dans sa dérive actuelle mais aussi consubstantielle à sa nature, consiste à segmenter autant que possible le corps social, les communautés nationales, en autant de parts de marché et niches de combats sociétaux juxtaposés les uns aux autres sur le modèle de la minorité opprimée. Le salmigondis de l’intersectionnalité des luttes n’est qu’une tentative souvent grotesque pour empiler les uns sur les autres ces confettis de luttes atomisées et leur conférer fantasmatiquement une unité que l’on a délibérément détruite par anti-universalisme. L’outrance des prises de position, et aussi, disons-le, l’outrance d’un combat qui finit par tourner parfois à l’androphobie primaire (puisqu’on est amateur de phobies), en particulier lorsqu’il s’agit de viser l’homme blanc hétérosexuel coupable de tous les maux de la terre, a fait en réalité une victime principale : les femmes elles-mêmes, et la lutte réelle pour leurs droits. Dès lors il est clair que le gauchisme est un anti-humanisme, aux marges duquel  les femmes seraient assignées à résidence minoritaire.

Cette débauche hystérique (sur les détails de laquelle nous ne reviendrons pas ici puisqu’ils nourrissent abondamment l’actualité), part dans deux directions.

D’une part, un pseudo-féminisme  gangrené de théories indigénistes et racisalistes, qui se revendique néanmoins du féminisme, et qui, tordant tous les schémas sémantiques de la lutte post-coloniale, a repris à son avantage l’idée de diversité de femmes pour décréter qu’une femme pouvait décider de son propre asservissement aux hommes en particulier en matière vestimentaire aussi sûrement qu’un fan de BDSM pourrait revendiquer sa pratique spécifique minoritaire pour amener sa femme en laisse dans un amphithéâtre universitaire. Cette vision du féminisme se décrète désormais, ointe de pseudo-sciences sociales, dans des hauts lieux de réflexion académique où elle a toutes ses entrées. A ce niveau, le féminisme n’est plus qu’un moyen comme un autre de dislocation du lien républicain, par le rejet qu’il porte intrinsèquement de l’universalisme. Car, telle était bien l’idée, au départ noble, des féministes et qui devrait le rester : l’égalité de droits, une stricte égalité à tous les niveaux de la citoyenneté, et non un traitement différentiel voire séparatiste comme c’est le cas dans certaines revendications islamiques (non-mixité etc.). A ce point de torsion, l’islam politique –collaboré par ses faiblards acolytes et idiots utiles- s’est introduit afin d’utiliser le combat féministe comme  un des vecteurs de son entrisme, se présentant en apparence naïvement comme un minoritarisme parmi d’autres. Face à quoi les féministes historiques ont été, à de rares et importantes exceptions près (la figure d’Elisabeth Badinter est à cet égard remarquable), complètement muettes. Voilà pourquoi votre fille est muette.

Sur ce greffon se sont agglutinés les gauchistes qui, par esprit capitulard et anti-progressiste, y compris des féministes canal historique,  n’ont rien vu de mal à ce qu’on revendique, en République, qu’une femme doive se voiler et se cacher du regard des hommes, et qu’elle aille sur la plage déguisée en otarie afin de ne pas susciter la convoitise d’un mâle que l’on présuppose par le fait incapable de se contenir, car on imagine que, dans cet imaginaire de petits-bourgeois post-coloniaux, un homme venu vaguement d’ailleurs ne pourrait naturellement pas restreindre ses pulsions libidineuses à la vue d’un maillot de bain.

Dans cette séquence, le gauchisme a été piégé à son propre paradigme, d’une part dans l’annulation des objectifs qu’il croyait servir (la « libération » des femmes) et dans l’intolérance de ses postures idéologiques : je suis victime, je suis minoritaire, donc, par la pression que j’exerce, si besoin avec l’appui des tribunaux, je deviens non seulement majoritaire (structurellement), mais dominant et donc intolérant à ce qui me contredit.

De cette position de domination culturelle, idéologique, institutionnelle et judiciaire du fait minoritaire et victimaire dont le néo-féminisme est l’un des instruments, au même titre que d’autres combats sociétaux, il s’ensuit une seconde dérive, moins souvent dénoncée.

Il s’agit en l’occurrence des « réactions », de l’opposition dont ce néo-féminisme fait l’objet de la part de toute une portion de la population qui ne supporte plus les outrances haineuses de ce type de combats. Et, partant, des réactions elles-mêmes outrées, auxquelles elles donnent lieu, qui ont tendance à devenir des stéréotypes, et n’hésitent pas, parfois, à promouvoir de manière volontiers décomplexée une vision rétrograde assumée de la condition féminine.

Le monde post-politique désiré par l’extrême-centrisme  néo-libéral au pouvoir requiert la binarisation des points de vue. Il n’a que cette arme sociétale issue du gauchisme culturel pour conquérir le pouvoir et s’y maintenir idéologiquement. Dès lors, il a un intérêt évident à l’antagonsiation hystérique et caricaturale des points de vue sur les sujets sociétaux qui font diversion aux questions sociales. Les femmes Gilets Jaunes attendront. Comme les femmes opposées à la Réforme des retraites.

Foin de combats sociaux ! On leur préfèrera la lutte de toutes les communautés contre toutes les autres et, au passage, réduisons les femmes à n’être qu’une « minorité ».

Par voie de réaction, une sphère qualifiée pour le coup assez justement de « réacosphère”, qui ne supporte viscéralement plus cet affaissement idéologique et ces outrances, en vient à tenir sur le féminisme des propos qui sont, pour le coup, difficilement supportables, devenant eux-mêmes par contrecoup des stéréotypes et lieux communs rejetant l’eau des droits des femmes avec le bain du gauchisme néo-féministe.

A ceux-là, il est important de répondre: le féminicide existe. La violence faite aux femmes existe. Le harcèlement existe. Les inégalités de traitement existent. Les délires masculinistes, violemment haineux,  qui n’ont rien à envier aux délires néo-féministes, existent. Alors, on partira dans de grandes querelles sémantiques aux fins par exemple de savoir s’il convient ou non de parler de « féminicide ». Mais oui, bien sûr que oui, le féminicide est un fait, il suffit d’interroger les statistiques au niveau mondial, et ces femmes sont tuées parce qu’elles sont des femmes et en situation de vulnérabilité physique et matérielle, et ce n’est pas être gauchiste que de non seulement le reconnaître mais le dire et le combattre, ce qui n’empêche pas de soutenir le « droit d’importuner » afin de restaurer un semblant de rapports hommes/femmes basés sur la séduction voire, quelquefois, l’esprit de conquête propre aux passions humaines et au désir.

Et, curieusement, ces milieux « réactionnaires » ne daignent en général bien considérer la violence faite aux femmes qu’à la seule condition qu’elle soit commise par des islamistes ou approchants. Or, quand bien même effectivement l’islamisation de certains quartiers pose un réel problème en matière de droits des femmes, ce sujet demeure valable en tous points du globe et dans toutes les civilisations, dans tous les milieux sociaux, du très animisto-catholique Mexique jusqu’au fin fond de l’Inde en passant par le Japon ou l’Afrique, du milieu ouvrier jusqu’à la grande bourgeoisie. C’est un fait anthropologique que le combat contre le gauchisme tend à rendre illisible, y compris dans les réactions qu’il suscite, alors qu’il est essentiel.

Les femmes, encore trop souvent, sont victimes (violences, meurtres, harcèlement, injustices, inégalités de traitement salarial…) mais la prise en compte de cette réalité ne doit pas conduire à la posture victimaire soutenue par un gauchisme hystérique qui rend toute relation hommes/femmes pratiquement impossible car d’emblée suspecte, Noli me tangere, mais qui, aussi, légitime les positions les plus archaïques et archaïsantes. Et, en retour, les positions les plus réellement rétrogrades.

Le fait est, par ailleurs, qu’on n’a pas entendu les mouvements féministes militants engagés pour soutenir Mila, ou alors d’une si frêle et discrète voix…

Le féminisme n’appartient donc pas au gauchisme qui a tenté de se l’accaparer. Il en est bien plutôt l’une des issues universalistes. On a pu voir d’ailleurs récemment émerger des mouvements et réactions féministes ouvertement hostiles aux préceptes gauchistes, comme lors de la manifestation contre « l’islamophobie » (ce faux nez de l’islam politique) où une militante reprenant les modes d’action des Femen (lesquelles se sont empressées de se désolidariser de la courageuse) s’est dévêtue dans le cortège en arborant sur son corps demi-nu une inscription favorable au « blasphème » et à la critique de la religion. De la même façon, le collectif féministe Nemesis, très marqué à droite, s’est illustré (par exemple dans la manifestation #NousToutes d’où il s’est promptement et fort peu démocratiquement fait chasser) en dénonçant régulièrement les violences faites aux femmes et l’insécurité de ces-dernières face aux conséquences d’une politique migratoire incontrôlée. Les agressions sexuelles de Cologne, les viols et actes de barbarie de Rotherham, Telford, ont trouvé le néo-féminisme étrangement silencieux. Si l’élargissement des trottoirs, l’écriture inclusive et la chasse hystérique au sexisme tous azimuts sont les seuls buts du féminisme gauchiste, il faut avouer que la régression des droits des femmes a de beaux jours devant elle. On constate bien toutefois, par ces exemples qui sont de plus en plus répandus, que le féminisme n’est plus la propriété du gauchisme culturel et d’un militantisme aussi inepte que dangereux par sa cécité, mais aussi par le rejet qu’il suscite et dont la cause féministe toute entière pâtit en retour de manivelle.

Si le féminisme signifie venir à bout des incontestables violences et injustices dont les femmes souffrent sur tous les continents, alors il est tout, quoi qu’en pensent quelques nietzschéens de cinquième catégorie. S’il signifie, en revanche, une sorte de grande foire à la victime qui se fourvoie dans les méandres d’une position grotesque et caricaturale en laquelle il devrait avoir honte de se réduire ridiculement, alors il n’est rien et, pire, il est l’ennemi des femmes elles-mêmes.

A lheure de #metoo et de la sortie dAdèle Haenel aux Césars, quel rapport pouvons-nous faire entre le mouvement féministe des origines et celui daujourdhui ? 

Anne-Sophie Chazaud : Nous traversons un moment que l’on pourrait qualifier d’ « erreur de parallaxe ». Tout est vu, conçu, ressenti, dénoncé sous l’angle de la soumission des femmes, -à la façon de nombreuses autres minorités auxquelles les femmes ont été injustement assimilées- , alors que la situation, en 2020, n’est plus celle qui a prévalu au combat des suffragettes et de leurs descendantes.

La cérémonie des Césars a donné lieu à un spectacle pathétique, tant par les prises de position lyncheuses et faciles visant Polanski, d’une manière volontiers abjecte, que dans la virulence des réactions visant en retour Adèle Haenel ou encore Virginie Despentes. L’ampleur prise par cette séquence sans aucune importance réelle autre que symptomatique du malaise d’une époque, traduit bien les impasses de la situation actuelle. Ce qui apparaît avec clarté est l’esprit volontiers liberticide et inquisiteur de ce néo-féminisme vindicatif, mais aussi des réactions qu’il suscite : libre à Adèle Haenel, avec son ressenti propre, de quitter la salle si bon lui semble, libre à Virginie Despentes d’écrire ce qu’elle veut avec le style un peu trash qui est sa marque de fabrique, libre à Polanski de faire de beaux films et libre à ses admirateurs d’aller voir ses films. L’esprit de censure n’est jamais très loin désormais de toutes ces folles luttes et prôner la tolérance ne saurait se faire dans l’activité constante d’un désir inquisitorial et censeur.

On ne peut opposer le lynchage comme mode de réaction au harcèlement, sauf à justifier des pratiques que l’on prétend dénoncer. Un nouveau pas a été franchi ces derniers jours avec la censure par Hachette, sous la pression moralisante et sociétale de ses employés et de la bien-pensance militante, de la publication des mémoires de Woody Allen.

Le néo-féminisme gauchiste fait entrer la société dans l’ère des anathèmes et des catacombes. Il est impératif, pour revenir aux sources de ce qui a fait la grandeur du féminisme, d’y opposer une vision plus ouverte, généreuse, universelle et intellectuellement réhaussée.

Le nouveau livre d'Anne-Sophie Chazaud, "Liberté d'inexpression : des formes contemporaines de la censure", sera publié aux éditions de l'Artilleur en avril 2020.

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