Le capital sympathie des candidats, clé souterraine de la présidentielle 2022 <!-- --> | Atlantico.fr
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Le capital sympathie est une donnée à surveiller de près pour les candidats à l'élection présidentielle de 2022.
Le capital sympathie est une donnée à surveiller de près pour les candidats à l'élection présidentielle de 2022.
©SAMEER AL-DOUMY / AFP

Equation complexe

Selon une nouvelle étude réalisée par BVA pour Orange et RTL, le capital de sympathie dont disposent les candidats à l'élection présidentielle en cette fin d’année 2021 est une donnée à surveiller de près pour comprendre ce qui est en train de se nouer entre les électeurs et les candidats pour 2022.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Peut-on gagner la présidentielle si l’on n’est pas perçu comme « sympathique » ?

Pendant toute la campagne présidentielle, Bruno Cautrès nous accompagnera de son éclairage, sur un thème central, l'engagement. Nous sommes heureux de pouvoir ouvrir cette séquence électorale par une réflexion centrale, sur le sens du vote. Bonne lecture !

La troisième vague de l’enquête électorale réalisée par BVA pour Orange et RTL, consacrée aux Français et l’élection présidentielle (décembre 2021), nous livre des données d’une très grande richesse et originalité en ce qui concerne la perception des électeurs à l’égard des candidats à quatre mois de la présidentielle. Les données collectées montrent à quel point le choix électoral s’annonce être une décision complexe pour de nombreux électeurs.

A moins de quatre mois du premier tour, de nombreux éléments d’incertitude pèsent sur l’issue du scrutin : le nombre de candidats, notamment à gauche ; les suites de l’épidémie et leurs effets sur la campagne électorale ; les grands thèmes à débattre. Plusieurs données montrent que si les Français et les Françaises s’intéressent toujours beaucoup à l’élection présidentielle, leur intérêt n’est peut-être pas aussi prononcé qu’en 2017. La lassitude et l’inquiétude face à l’épidémie vont-elles décourager les électeurs de s’engager plus activement dans la campagne ? Ou, au contraire, vont-elles les inciter à prendre la parole pour exprimer leurs attentes et leurs demandes ?

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ÉQUATION COMPLEXE POUR LES CANDIDATS

Pour conserver leurs bases électorales mais plus encore pour attirer vers eux des électeurs un peu perdus, incertains et hésitants, les candidats et les candidates vont faire assaut des propositions. Mais ils devront surtout résoudre une équation complexe : comment être à la fois clivant (pour consolider le bastion de leurs soutiens) et attirant (pour réduire la distance qui les sépare de potentiels nouveaux électeurs) ?  Pour tenter de concilier ces deux objectifs antagonistes, les candidates et les candidats devront alterner les moments d’affirmation de leurs convictions et les moments de « séduction », lorsqu’il s’agit de « fendre l’armure » (selon l’expression consacrée) et de confier que l’on est une personnalité plus complexe qu’il n’y paraît…

LES ÉMOTIONS : UN RÔLE DÉTERMINANT

S’adresser à sa base électorale avec la force des convictions tout en attirant de nouveaux électeurs est un enjeu capital de l’élection présidentielle : au premier tour, pour se qualifier et au second tour pour gagner. Répondre à ce double objectif est tout sauf simple ! Le capital d’image associé aux candidats et aux candidates par les électeurs joue ici un rôle très important. Toutes les recherches conduites en sociologie électorale (notamment au CEVIPOF) depuis ces dernières années ont montré que les images, les affects, les émotions jouent un rôle de plus en plus déterminant dans la formation du choix électoral. Pour saisir cette dimension, nous avons demandé aux personnes interrogées si elles trouvaient les candidats et les candidates « sympathiques ». La « sympathie » que l’on éprouve pour une personnalité politique ou un candidat à une élection est un bon résumé des affects positifs ou négatifs que cette personnalité génère chez les électeurs.

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PEU DE SYMPATHIE À L'ÉGARD DES CANDIDATS

A ce jeu-là, qui tire son épingle du jeu, qui a su s’attirer la sympathie des Français et des Françaises ? Eh bien…. personne ! Aucun candidat, aucune candidate, n’obtient une note de sympathie supérieure à 5 sur 10 sur une échelle qui va de 0 (pas de sympathie du tout) à 10 (beaucoup de sympathie). Dans l’ordre décroissant, allant vers davantage d’antipathie, on trouve Valérie Pécresse (3.8), puis Emmanuel Macron (3.7), Marine Le Pen (3.1), Yannick Jadot (3.0), Anne Hidalgo (2.7), Jean-Luc Mélenchon (2.6) et enfin Eric Zemmour (2.4). L’amplitude des variations entre les candidats perçus comme les plus « sympathiques » (Valérie Pécresse et Emmanuel Macron) et les candidats perçus comme les plus « antipathiques » (Jean-Luc Mélenchon et Eric Zemmour) est inférieure à 1.5 point…

Compliquons un peu la tâche du lecteur. Plutôt que la moyenne, il vaut mieux regarder les variations autour de la moyenne, ce que l’on appelle « l’écart-type ». Sans vouloir remuer de vieux traumatismes de cours de maths, « l’écart-type » nous renseigne sur la distance typique à la moyenne : plus sa valeur est grande, plus cela signifie que les individus sont « dispersés », c’est-à-dire qu’ils sont éloignés de la valeur moyenne. Les sympathies qui sont les plus « dispersées » sont celles qui s’expriment à propos de Marine Le Pen et d’Eric Zemmour et dans une moindre mesure d’Emmanuel Macron. Les sympathies qui sont les moins « dispersées » sont, en revanche, celles qui s’expriment à propos de d’Anne Hidalgo et de Yannick Jadot.

MARINE LE PEN ET ÉRIC ZEMMOUR, LES CANDIDATS LES PLUS POLARISANTS

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Cette donnée statistique nous livre une information très précieuse. Marine Le Pen et Eric Zemmour (Emmanuel Macron dans une moindre mesure) sont les candidats les plus clivants et les plus polarisants. Les notes de sympathie attribuées à Eric Zemmour ou Marine Le Pen sont sans commune mesure au sein de leurs électorats potentiels « naturels » (sympathisants RN et DLF d’abord puis sympathisants LR) et hors de ceux-ci. Marine Le Pen dispose toujours d’une très forte cote de sympathie parmi les sympathisants du RN (8.3, le score le plus élevé de sympathie dans l’enquête) ainsi que parmi les sympathisants de DLF (6.2).

Pour Eric Zemmour les scores sont moins flatteurs mais au-dessus de la note 5 dans ces deux électorats potentiels. Mais en dehors de leurs « viviers naturels », la sympathie à l’égard d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen s’effondre : sur l’échelle de 0 à 10, les deux candidats de l’extrême droite obtiennent des scores de sympathie entre 0 et 1 parmi les sympathisants « marcheurs », écologistes, socialistes et « insoumis » et en dessous de la note 4 parmi les sympathisants LR. Marine Le Pen et Eric Zemmour ne parviennent tout simplement pas à s’attirer des affects positifs parmi les autres électorats que ceux du RN et de DLF !

CLIVAGE GAUCHE-DROITE, PAS MORT

Les données de l’enquête BVA révèlent d’autres éléments. Si Eric Zemmour et Marine Le Pen ne bénéficient pas de perceptions très positives au sein des électeurs du centre-droit, la sympathie relativement modeste dont ils disposent dans cet électorat est bien plus forte que pour les candidats de la gauche. Pour les sympathisants LR, la candidate naturelle (Valérie Pécresse) obtient une très forte note de sympathie (6.9) tandis qu’Eric Zemmour et Marine Le Pen obtiennent des notes beaucoup plus faibles (3.8 et 3.4), mais nettement plus hautes que les candidats de gauche. Au sein des sympathisants LR, Eric Zemmour et Marine Le Pen font aujourd’hui presque jeu égal avec Emmanuel Macron (note de sympathie de 4) en termes de sympathie éprouvée ! Dire que certains pensaient que le clivage gauche-droite était dépassé… On le retrouve ici, particulièrement ragaillardi !

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Les données de l’enquête BVA montrent également que dans plusieurs segments de l’électorat, Marine Le Pen est perçue nettement moins négativement qu’Eric Zemmour. C’est en particulier le cas parmi les ouvriers mais aussi parmi les indépendants et les chefs d’entreprise ou même parmi les cadres supérieurs. Eric Zemmour n’obtient de sympathie supérieure à Marine Le Pen dans aucune catégorie sociale, que l’on parle d’âge, de genre ou de profession.

LE CAPITAL SYMPATHIE : UNE DONNÉE À SURVEILLER DE PRÈS 

En tout cas, le capital de sympathie dont disposent ou ne disposent pas les candidats à la présidentielle en cette fin d’année 2021, est une donnée à surveiller de près pour comprendre ce qui est en train de se nouer entre le peuple souverain et les candidats ou candidates. Les Français et les Françaises savent très bien que le rôle du chef de l’Etat n’est pas d’être « sympathique » et que l’exercice du pouvoir conduit à prendre des décisions difficiles et qui déplaisent. Mais ils émettent à travers ces affects un signal important.

Si les principaux candidats pour le moment connus ne sont pas perçus comme fondamentalement « sympathiques », on voit néanmoins que la « sympathie » éprouvée joue un rôle dans une élection aussi personnalisée que l’élection présidentielle. D’où une grande question, que je livre à vos réflexions : peut-on être élu Président de République si l’on ne dispose pas d’un niveau minimum de sympathie hors de son « vivier naturel » d’électeurs ?

Vous avez vos repas de fêtes de fin d’année pour lancer le sujet et voir ce qui vient... Bonnes fêtes à tout le monde !

Cet article a été initialement publié sur le site de BVA : cliquez ICI

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