Le bio, un produit marketing devenu omniprésent<!-- --> | Atlantico.fr
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Des légumes, issus de l'agriculture biologique, sont proposés à la vente sur un marché.
Des légumes, issus de l'agriculture biologique, sont proposés à la vente sur un marché.
©MYCHELE DANIAU / AFP

Bonnes feuilles

François Grudet publie « Biogate, Pour en finir avec l'utopie du bio » chez Mareuil éditions. Que se cache-t-il derrière le « bio », et ses promesses de produits « propres » et sains ? L'univers du bio est complexe et opaque. Extrait 2/2.

François Grudet

François Grudet

François Grudet, agriculteur, inventeur et homme d'affaires, a fait reculer le désert en Lybie et dans de nombreux pays du Moyen-Orient. 

Voir la bio »

Le bio étant a priori en harmonie avec la nature, le consommateur en a déduit que ses produits sont bénéfiques à l’homme. Son succès et sa popularité sont fondés sur cette confusion voulue et entretenue par le marketing, les médias et les réseaux sociaux. Ils vous assènent que le bio est dépourvu de tout produit chimique de synthèse – soit sans le moindre composant phytopharmaceutique – ce qui peut passer, au mieux, pour un mensonge par omission. Car, souvenez-vous, parmi les 327 produits de protection des cultures agréés bio et utilisables en France en 2018, 40 % sont des produits chimiques de synthèse.

Pour ajouter à ce qu’il convient d’appeler un manque de discernement collectif, la Commission européenne n’est pas à une contradiction près. Ainsi, le 24 mars 2014, elle préconisait des contrôles obligatoires et, en cas de non-conformité au cahier des charges, le retrait du label AB. Moins de deux ans plus tard, le 8 février 2016, les eurodéputés de la commission « Agriculture » décidaient que le label AB serait délivré une fois pour toutes, et qu’il n’avait pas vocation à être retiré. Depuis, porté aux nues par une population un rien crédule, il s’est prêté à bien des contorsions. Mais nul n’envisage de le remettre en question, pas même les neuf organismes certificateurs agréés par l’Agence Bio qui le délivrent en France.

A également été abordé par cette commission le problème de la mixité sur une même exploitation. Il s’agissait de ne plus tolérer la mitoyenneté d’une terre agricole certifiée bio avec une terre qui ne l’est pas, la seconde risquant de contaminer la première. Tous les ans, 10 à 20 % des produits bio commercialisés sont accidentellement pollués par des produits d’épandage qui ne leur étaient pas destinés, voire des OGM. La mixité des terrains n’a pas pour autant été interdite, aucune loi retentissante n’est venue modifier la donne. L’objectif étant d’inciter autant d’agriculteurs que possible à se convertir au bio, que ce soit en partie ou en totalité de leur exploitation, il fallait, encore une fois, accroître la permissivité et non les contraintes. La commission a joué la carte de l’opportunisme et a changé de camp : elle ne défend plus les consommateurs, mais protège les intérêts des producteurs, des distributeurs et des États toujours avides de recettes fiscales.

Le bio n’est qu’une méthodologie de production sans contrainte de résultat et, pourtant, le marché explose, avec une progression constante de 15 % depuis cinq ans. D’ailleurs, dans la mesure où 5,4 % seulement des terres agricoles lui sont consacrées en Europe, vous êtes-vous déjà demandé quelle est la provenance des produits qui nous sont proposés ? D’où vient le surplus que nous consommons ? D’Afrique, par exemple. Car, faute de moyens pour recourir aux pesticides, les fermes africaines sont forcément « biologiques ». Hélas, elles détournent les enfants du chemin de l’école. Ils se retrouvent aux champs à désherber, ensemencer, récolter. Et c’est ainsi qu’arrivent sur nos marchés des produits bio certifiés à l’étranger par des organismes qui n’ont pas forcément la même éthique ou le même cahier des charges que les nôtres.

Si, dans de nombreux pays producteurs, en Afrique notamment, les besoins du bio en matière de main-d’œuvre ont donc pour effet de détourner les enfants du chemin de l’école, l’on s’aperçoit que sur notre continent, ce sont plutôt les femmes qui en pâtissent. J’en veux pour preuve le sort des Marocaines venues louer leurs services en Espagne. Je n’ai d’ailleurs pas entendu à ce jour beaucoup d’ONG s’insurger contre leurs conditions de travail. Penchées sur les plants neuf heures par jour dans des serres surchauffées, ces travailleuses saisonnières comme les migrants rejetés par l’Italie récoltent les tomates moyennant un salaire quotidien de 10 euros. Ils en gagnaient 35 lorsque la Covid n’avait pas encore fait son apparition. Depuis, ils se sont trouvés dans l’impossibilité de rentrer chez eux et les producteurs y ont vu une aubaine : ils ont drastiquement baissé leur offre de rémunération. Faire travailler ainsi des personnes « captives » de fait s’apparente, selon moi, à une forme moderne de l’esclavage. J’ignore quel type d’argument les personnes aussi avides de bio que d’éthique, dont Demeter qui s’approvisionne à Alméria, pourraient opposer à ce point de vue…

Les beaux esprits prompts à prendre la défense du commerce équitable pourront s’en émouvoir : ce n’est pas le bio qui va sauver la planète. À l’échelle mondiale, l’agriculture labellisée « bio » ne représente que 1 % à 1,25 % de la SAU, la Surface agricole utile. Si elle s’est principalement développée en Europe, en Amérique latine et en Australie, sa production reste quasi insignifiante à l’échelon global. Et ne représente en rien une solution pour l’avenir. Le but assigné à l’agriculture consiste à nourrir l’humanité –  dont la croissance est exponentielle –, à lutter contre la disette et la malnutrition. Avec un rendement 50 % moins important que celui de l’agriculture conventionnelle, comment l’agriculture bio pourrait-elle y prétendre ? L’agriculture traditionnelle nourrit à elle seule 90 % de la population mondiale, le bio ne peut caresser pareille ambition. Comme nous l’avons vu plus haut, si le bio occupait 100 % de la surface agricole utile, il ne serait en mesure de nourrir que 20 à 30 % de la population française.

Le bio est un produit marketing, qui cible une clientèle citadine et nantie, a priori informée. Elle prend toutefois pour argent comptant des affirmations sans preuves, des idées, voire des idéaux, présentés comme incontestables tant par les médias que les gouvernants. Et cautionne une pensée totalitaire qui prône des choix sociétaux et économiques auxquels chacun est invité à se soumettre. Un peu comme à cette époque où le diesel était paré de toutes les vertus ; il vous fallait en acheter un même si vous n’étiez pas chauffeur de taxi. En 2025, c’est-à-dire demain, plus aucun véhicule diesel ne sera autorisé à circuler, par exemple, dans la ville de Lyon.

Après s’être invité à notre table, le bio est devenu omniprésent. Il est partout dans notre vie, parce qu’il ne s’est pas cantonné à l’alimentation. Telle une pieuvre, il s’est emparé des multiples secteurs susceptibles de décliner son concept. Car tout ce qui a trait au bio se transforme en or. Une société en quête de rêves et de valeurs rassurantes demande du « label bio ». Toujours plus. Qu’à cela ne tienne ! L’étiquette bio adhère à tous les supports. Les fruits et légumes, la viande, le saumon, le vin, les produits cosmétiques, les produits d’entretien et même les textiles. Une grande chaîne de distribution coopérative suisse, Migros, revendique plus de 3 000 produits bio à son catalogue.

Mais déjà, en 2014, le quotidien La Tribune de Genève l’affirmait : « Seuls 20 % des produits bio en Suisse le sont vraiment, sinon il nous serait impossible d’approvisionner les rayons. » Fort obligeamment, à Bruxelles, la commission s’est prêtée au jeu. Il suffit désormais qu’un pourcentage de bio se glisse dans la composition d’un produit pour que celui-ci soit estampillé AB. Le précieux label viendra marquer du sceau de la qualité l’un des composants du produit, et non celui-ci dans son intégralité. Ainsi, un restaurant s’approvisionnant à 50 % en produits bio pourra légitimement apposer le label AB sur son enseigne, ou la feuille verte CE, pour attirer ses clients.

Pour autant, qui prend le temps de lire les informations imprimées en petits caractères sur les étiquettes ? Personne. Alors, aujourd’hui, il y a des applications pour cela. Yuka ou Open Food facts, par exemple. Mais quelle sera la recommandation de votre smartphone à la lecture du code-barres d’une boîte de « sardines bio », dont seule l’huile mérite la certification ? La magie du mot « bio », mentionné en caractères suffisamment gras sur la boîte, opérera, et les consommateurs, dans leur grande majorité, seront abusés.

Les marges sont telles qu’il faut laisser les clients à leur satisfaction béate d’acheter et de consommer bio, et surtout, ne rien laisser transparaître des ambiguïtés qu’il recèle. Rien, en tout cas, qui soit à même d’inciter le client à douter. Il faut le maintenir dans cette certitude qu’il se fait du bien. Et qu’il « fait le bien », au sens large : non seulement son achat lui est bénéfique, il l’est aussi pour le reste de la planète. Quelle aubaine ! On en redemande. La bonne conscience en redemande. Mais quid de la raison ? De l’objectivité ? Il faut les garder anesthésiées autant que faire se peut. La com’ et les lobbys sont là pour ça.

Dans ce flou sciemment entretenu, le consommateur, qui se pique volontiers d’être « responsable », renonce à sa lucidité. Il vient s’inscrire dans un courant de pensée mainstream et cède à l’air du temps – même s’il s’en défend. Le label bio est devenu générique, et amalgame des produits extrêmement différents les uns des autres. C’est devenu un luxe, une marque de reconnaissance, un signe d’appartenance. Être bio ou ne pas être. Ce sont les moyens financiers de chacun qui aideront à résoudre ce dilemme – parce que la vraie question, finalement, elle est là : en avoir ou pas. Des moyens.

En août 2017 et 2019, l’association de consommateurs UFC-Que choisir ? dénonçait les « marges hallucinantes » de la distribution sur les fruits et légumes bio, vendus en moyenne 80 % plus chers que leurs équivalents en agriculture conventionnelle. Jusqu’à 190 % pour les poireaux, 150 % pour les pommes et les tomates. Acheter bio à tout prix, voire à n’importe quel prix, est devenu le choix de vie d’une élite. Cette population prône l’excellence de l’agriculture bio, mais se soigne avec des produits chimiques de synthèse, communément appelés « médicaments », dont elle condamne l’usage lorsqu’il est destiné au végétal. Pourquoi leur faire confiance quand il s’agit de santé et les diaboliser lorsqu’il s’agit d’agriculture ?

Les pesticides, que l’on voue aux gémonies, sont fabriqués par les sociétés qui produisent les molécules destinées à nous soigner. Novartis est le résultat d’une fusion entre Sandoz et Ciba-Geigy, Monsanto appartient désormais à Bayer. En ces temps où les réseaux sociaux véhiculent le meilleur et le pire de la pensée, et alors qu’ils s’érigent comme autant de chapelles, hélas toujours promptes à se transformer en tribunaux, évoquer le nom de ces géants peut susciter le malaise, un peu comme l’aurait fait une incantation en d’autres temps. Car ces marques ont une odeur de soufre. Pourtant, le scrupuleux respect de leurs prescriptions conjugué à un mode opératoire approprié offrent les meilleures garanties. Parce qu’il y a là un profond malentendu : les pesticides (fongicides, herbicides, insecticides, nématicides, etc.) ne sont pas, au même titre que les engrais minéraux ou organiques, des poisons. Ils doivent être considérés tels des aliments ou des médicaments pour les plantes. Et donc, utilisés avec précaution.

Nombre de fruits et de légumes bio savamment achalandés ont un aspect esthétique imparfait. Ils sont chétifs voire tordus, plus chers que les autres et pas forcément meilleurs. Et s’ils sont beaux, on peut se demander s’ils sont bio. À ce jour, aucune étude scientifique n’a démontré la supériorité du bio ou la toxicité de l’agriculture traditionnelle. Pourtant, comme en témoigne le baromètre 2020 de l’Agence Bio, la grande majorité de la population – 82 % très précisément – est persuadée que les produits biologiques sont « plus naturels ». « Meilleurs pour la santé ». Exempts de toute chimie, leurs qualités nutritionnelles seraient « mieux préservées ». Ces assertions élevées au rang de vérités premières, l’inconscient collectif s’en est emparé. Voilà qui sera rassurant pour l’ensemble de nos concitoyens : vous pouvez manger bio et être en bonne santé ; manger non bio et l’être tout autant. Maintenant, imaginez un monde où tous les produits phytopharmaceutiques – ce qui inclut les médicaments au même titre que les pesticides – seraient proscrits et leur usage réprimé par la loi. Ce serait peut-être un retour au XVIIIe ou au XIXe siècles. L’espérance de vie n’était pas tout à fait la même qu’aujourd’hui, et la production agricole représentait 15 à 20 % seulement de celle que l’on connaît. Les rares produits mis sur le marché se vendraient à des prix stratosphériques. Une fois encore, les classes sociales les moins favorisées seraient les premières pénalisées.

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Extrait du livre de François Grudet, « Biogate, Pour en finir avec l'utopie du bio », publié chez Mareuil éditions

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