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Laïcité & islamisme : où va donc Emmanuel Macron dans les conflits qui déchirent la gauche et tiennent le pays sous tension ?
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Sujet de division

Emmanuel Macron prononcera un discours le 9 décembre prochain, à l'occasion de l"anniversaire de la loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Un sujet toujours d'actualité en France.

Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel) ou L'islam devant la démocratie (Gallimard, 2013).

 

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

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Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : Dans la "guerre" qui voit s'affronter à gauche défenseurs de la laïcité (dans le sillage de Manuel Valls) et défenseurs des communautés religieuses (autour de l'Observatoire de la laïcité de Jean-Louis Bianco), où se positionne Emmanuel Macron ? Que disent de lui ses prises de positions et ses actions politiques sur ce sujet ? En quoi son choix de prononcer un discours le 9 décembre prochain, à l'occasion de l"anniversaire de la loi de 1905 peut il être un indice à ce sujet ?

Guylain Chevrier : Le Président de la République cherche à rassurer les uns et les autres, par une position d'équilibriste que l'on retrouve dans différents domaines de son action, ou de celle de son gouvernement, où on frôle souvent la confusion. A propos de sa politique dans les quartiers prioritaires en matière de politique de la ville, il explique que la République a sa part de responsabilité, car elle aurait abandonné en partie ses obligations dans les quartiers, passant allègrement sur une politique de la ville qui l'a précédé et n'a pas été dépourvue de moyens, en donnant ainsi indirectement raison au discours sur lequel surfe la radicalisation. D'un autre côté, il explique qu'il ne confondra jamais les millions d'habitants des quartiers populaires avec quelques milliers de radicalisés, dénonçant le détournement fait "par des représentants d'une religion transfigurée, déformée qui porte à la haine et au repli", critiquant le communautarisme. Un discours ambiguë auquel les Français sont habitués mais dont ils se lassent, et surtout d'entendre toujours la République mise au banc des accusés, alors que les revendications religieuses à caractère communautaire venues de l'islam se multiplient, que les voiles intégrales dans certains quartiers ne rencontrent aucune contradiction, les prières de rue n'attirent pas l'attention des représentants de l'Etat dans les territoires concernés, les provocations du burkini sur nos plages manifestant un communautarisme inquiétant, qui est un des symptômes de la radicalisation religieuse, sont défendus unilatéralement par le Conseil d'Etat...

Si on se réfère à l'annonce par le Ministre de l'intérieur de la mise en place auprès de lui d'une instance "informelle" interconfessionnelle, en complète contradiction avec la loi de 1905 de Séparation des Eglises et de l'Etat disant pourtant que ce dernier ne reconnait aucun culte, on s'inquiète encore plus, rajoutant encore à la confusion. N'oublions pas non plus que dans ce contexte, on a vu dans le même moment: le frère de Mohammed Merah dédouané par le tribunal de ses responsabilités comme endoctrineur, qui a pourtant armé idéologiquement son frère pour qu'il tue au nom de l'islam; la tombe d’Ilan Halimi être profanée pour la seconde fois, avec des appels au meurtre et des tags de soutien à Fofana, chef du gang des barbares ; le journal satirique Charlie Hebdo être la cible d'une vaque de menaces de mort et d'un déferlement de haine, parce qu'il a osé faire sa Une sur "l'affaire" Tarik Ramadan, accusé plusieurs fois de viols dans le contexte de libération de la parole sur ce sujet.

C'est dans cette lourde atmosphère qu'il existe une forte attente, concernant le discours du Président Macron, pour l'anniversaire de cette loi fondamentale de la République qu'est la loi du 9 décembre 1905 de Séparation des Eglises et de l'Etat. Il a évoqué l'idée de "laïcité inclusive", d'influence anglo-saxonne, qui implique en général d'imposer l'individu avec ses différences, dans un milieu qui y résiste. Qu'est-ce à dire ici où sans aucun doute la vigilance s'impose? Nous verrons. Pour l'instant, il manque dans ce domaine les éléments d'une véritable vision politique, d'un projet cohérent qui puisse rassurer ceux qui sont attentifs à la laïcité et ses enjeux, les menaces qui pèsent sur elle, loin d'un bricolage cherchant toujours à préserver la chèvre et le chou et conduisant de fait, à un recul de la laïcité, mettant en grave danger notre vivre-ensemble.

Philippe d'Iribarne :Emmanuel Macron a beau être un adepte du « et en même temps » il lui faut, comme ses prédécesseurs, traiter une question qui relève de la quadrature du cercle : comment « en même temps » tenir compte de la réalité de l’islam et respecter le principe d’égalité des religions, ou prétendues telles. Manuel Valls privilégie la prise en compte de la réalité, quitte à n’être pas très rigoureux en matière d’égalité. Jean-Louis Bianco privilégie l’égalité, quitte à n’être pas très rigoureux en matière de prise en compte de la réalité. Pour le moment, Emmanuel Macron a paru largement adopter la seconde perspective. Il s’est déclaré attaché à ne pas faire de différences entre les religions. Confronté à la face sombre de l’islam, il déclare qu’elle est étrangère à l’islam, ce qui lui permet de faire le raccord. Ainsi il affirme que la violence que l’islam alimente relève seulement d’une conception dévoyée qu’en ont certains ou n’est qu’une conséquence du mauvais traitement réservé aux musulmans. Que dira-t-il en décembre ? Je doute qu’il quitte le camp de l’égalité pour rallier celui de la vérité.

Quelle politique compte-t-il mener pour répondre au défi que soulève le quotidien des Français, avec par exemple l'affirmation de l'Islam politique ou le cas récent des prières de rue ?

Guylain Chevrier : L'islam politique est étroitement lié au communautarisme derrière lequel il est en embuscade. Aussi, dénoncer le communautarisme passe par pointer la conception religieuse qui lui sert à s'affirmer, et consiste à disputer la loi commune pour en obtenir des reculs par des aménagements qui font passer du droit à la différence à la différence des droits.  Ceci, pour asseoir un pouvoir religieux dans certains territoires en y soumettant des populations pour peser sur les décisions politiques. Le communautarisme commence par le refus du mélange au-delà de la communauté de croyance, que le développement du voile dit islamique, indique, comme une sorte de thermomètre qui a déjà viré au rouge. Ce qui n'est nullement relevé et critiqué par le Président Macron, sans compter encore avec l'inégalité hommes-femmes que le port du voile diffuse, et apparaît  pourtant au coeur de cet enjeu. Le Conseil d'Etat a encore justifié, cet été, le port du voile dans les instituts de formation du paramédical, sur une plainte d'étudiante voilée, la neutralité des étudiants étant jusque-là un acquis incontesté. Qu'en sera -t-il du comportement de ces futurs professionnels lorsqu'ils seront en poste, puisqu'on ne leur a pas imposé dans leur formation le respect de ce principe de neutralité? Un respect de la neutralité religieuse rappelé par différents textes, dont, la Charte de la laïcité dans la Fonction publique. C'est encourager à rompre avec cette obligation et la promesse de conflits futurs sur ce sujet dans l'hôpital. Ceci, alors qu'il en existe déjà qui pourtant alertent sur ce risque. On marche sur la tête!

Je ne vois pas le Président prêt à s'attaquer à ce dossier, il cherche à donner trop de gages à toutes les parties en présence pour cela. S'il n'y a pas de diagnostic sérieux de la situation qui est catastrophique dans certains territoires et commence à prendre la tournure d'une rupture entre une partie de la population avec le reste de la société, alors que l'on ne cesse de céder sur les principes pour avoir la paix ou avoir tout du moins l'illusion de l'avoir, il y a de graves désordres à prévoir.

Concernant les prières de rue, il faut être clair, elles sont interdites. D'ailleurs, suite à la manifestation d'une centaines d'élus de la République la semaine dernière avec l'association Forces laïques, à Clichy-sous-Bois (93), où il était devenu une habitude de prier le vendredi après-midi devant la mairie, le préfet a déclaré vouloir créer les conditions de faire respecter la loi, alors qu'il existe une mosquée dans cette ville. Il faut voir à l'usage si les déclarations du représentant de l'Etat sur ce territoire, depuis longtemps miné par le communautarisme et le fondamentalisme, seront suivies d'effet. Ce serait donner un nouveau signe fort à ces comportements collectifs illicites qui créent un trouble évident à l'ordre public. Le Président n'aura pas, à un moment donné, le choix, alors que le laxisme domine à ce sujet depuis bien longtemps, et que les principes de notre République flottent et ne sont plus respectés dans trop de ces quartiers dont il parle. Ne pas céder face à l'irrespect de la loi, c'est aussi créer les conditions de donner l'initiative à nos concitoyens de confession musulmane qui entendent pratiquer leur culte dans le respect de la République. C'est permettre que puisse être revendiquée légitimement, une place à l'islam dans notre pays conforme à ses institutions et à ses lois, et le moyen d'en isoler les forces négatives.

Philippe d'Iribarne :Il peut toujours, comme cela a été le cas avant lui quand il s’est agi de combattre l’emprise de l’islam sur les écolières en bannissant le voile islamique à l’école, prendre des mesures qui soient formellement neutres à l’égard de la diversité des religions, même si c’est en fait l’islam qui est visé. La même démarche a été adoptée à propos de la « dissimulation du visage dans l’espace public ». C’est un peu hypocrite mais cela permet, formellement, de concilier l’inconciliable. La « laïcité stricte » combinée avec le respect des droits acquis, qu’il s’agisse des processions, de la sonnerie des cloches, du calendrier, etc. permet de fait un traitement différencié du christianisme et de l’islam. La « laïcité ouverte » ne le permet pas. En pratique, les problèmes posés par l’islam politique le conduiront sans doute à se rapprocher d’une laïcité stricte, même si c’est avec réticence.

Le défi qui s'impose à Emmanuel Macron n'est-il pas surtout intellectuel, dans le sens où il faudrait réussir à combattre l'idée selon laquelle la loi de Dieu est supérieure à celle de la République sans pour autant provoquer les communautés religieuses, très sensibles dans ce domaine ces derniers temps ?

Guylain Chevrier : Précisément, de ce point de vue, on ne peut que s'inquiéter du message qu'il a adressé à ce sujet dans son discours à la Fédération Protestante de France, lors de la commémoration des 500 ans de la Réforme: "La manière que j'aurais d'aborder ces débats ne sera en rien de vous dire que le politique a une prééminence sur vous", laissant penser de donner à la religion une place au-dessus du politique, de façon inquiétante. Il doit aussi entendre les associations laïques qui, dans leur immense majorité, ont réagi à ce discours en s'en inquiétant, par un communiqué commun. Car, c'est précisément en portant la loi religieuse au-dessus de la loi commune que le communautarisme fait son lit, décrit comme le terreau du terrorisme par le dernier rapport du Sénat sur la radicalisation.

Le Président se pose en défenseur des principes républicains et donne en même temps des signes de velléités quant à garder les religions dans sa manche, comme interlocutrices privilégiées. Sans doute pour leur faire jouer le cas échéant un rôle de point d'appui, en les laissant libres de jouer un rôle de doctrine morale auprès des populations les plus en difficulté et ainsi, d'instrument d'encadrement susceptible de contenir les tensions provoquées par une politique libérale qui a du mal à se justifier auprès d'elles. En cela il est, finalement, sensiblement en continuité avec les présidents des deux dernières mandatures, mais il joue plus serré car, la situation s'est détériorée. Le nombre de radicalisés dépasse les 20.000 dans notre pays aujourd'hui, qui est en constante augmentation, bien que les départs en Syrie se tarissent avec les échecs de Daech. Lorsqu'il exprime, "je ne peux pas demander à un jeune de croire en la République lorsqu'elle n'est pas à la hauteur." En mettant en accusation un abandon des quartiers par l'Etat, qui serait la cause de la radicalisation, il dédouane la dimension religieuse et un islam politique qui en est le principal agent. Qui n'est d'ailleurs pas non plus qu'un problème Franco-français propre à notre République. C'est vouloir nous faire oublier qu'une conception de l'islam venue d'ailleurs, de l'Arabie saoudite et du Qatar, entre autres, via le salafisme, a été laissée libre de s'installer et de fructifier sur notre territoire, en totale contradiction avec la République. Rappelons-nous le constat fait dans l'étude que l'Institut Montaigne a consacré à l'islam de France, que près de trente pour cent des musulmans portent la charia au-dessus des lois de la République et défendent le voile intégral, et qu'autant considèrent leur religion comme un instrument de révolte contre notre société, ses valeurs, ses moeurs. On voit bien ici que plus la situation se tend et le danger devient objectif, avec des quartiers qui peuvent basculer dans la violence sur fond de revendications religieuses, et plus il devient impérieux de revenir des politiques de compromis sinon de compromission pratiquées par des élus qui jouent sur le communautarisme, et d'un Etat qui feint de ne pas voir. Jusqu'à si nécessaire, en passer par la loi, comme pour l'interdiction du salafisme mettant en péril la sûreté de la Nation, voire certains excès des manifestations religieuses qui servent à déstabiliser le vivre-ensemble, comme le burkini en est une des formes de provocation les plus flagrantes. On en est loin. Sans parler d'un changement absolument nécessaire plus généralement dans les rapports de l'Etat avec les religions, consistant à les remettre à leur place, hors de toute influence sur les décisions des pouvoirs publics.  Mais cela n'est possible que si une politique économique et sociale à la hauteur ne justifie plus un  mea culpa permanent vis-à-vis des populations dites des quartiers, via un libéralisme peu soucieux de la République, dont la faible valeur morale laisse un boulevard avec les inégalités qu'il crée, à tous les discours de rupture, dont l'islam politique.

Philippe d'Iribarne :Là encore, le « et en même temps » a ses limites. Ou on accepte le projet politique de l’islam de contrôle de la société par la pression sociale, l’intimidation, les procès faits à ceux qui lui résistent, l’entrisme dans les instances politiques et syndicales, etc. Ou on combat ce projet. Un clivage majeur prend corps actuellement dans la société française, et en particulier parmi les « laïcs », entre les compagnons de route de ce projet, qu’ils soient ennemis d’une France ancrée dans l’histoire ou « idiots utiles », et ceux qui le combattent. Il est de plus en plus clair que chacun est amené à choisir son camp.

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