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La trisomie : le chromosome de Marie qui change tout et que nous aimons
©Reuters

Bonnes feuilles

Au début, la trisomie laisse perplexe. On se cogne à cette différence, on se fait mal, on ne voit que cela. Puis, petit à petit, on apprend, on regarde, on observe... et on aime ! Oui, on aime vraiment cette différence, on ne peut plus s’en passer. Ces enfants sont la clé qui manque à tous ceux qui réfléchissent trop pour vivre, ou vivent trop pour réfléchir. Ceux qui oublient d’entendre leur cœur battre. Ceux qui ont tout matériellement, mais qui ne sont pas comblés, qui courent toujours pour attraper ce qui leur manque. Avec ces enfants-là, on ne manque plus de rien. Extrait de "Petit à petit" de Clotilde Noël, aux éditions Salvator (2/2).

Clotilde Noël

Clotilde Noël

Clotilde Noël est mère de huit enfants et travaille comme auto-entrepreneur dans la confection de vêtements. Elle est l'auteure de "Petit à petit" et de "Tombée du Nid", ainsi que la porte-parole France du mouvement mondial "Stop discriminating down".

Elle a crée une communauté de parents d'enfants handicapés : https://www.facebook.com/tombee.dunid.fr/ 

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Le chromosome surnuméraire de Marie est comme un accent circonflexe sur son génome. Ce petit chapeau perturbe son sens premier : l’ADN se code différemment. Son être est « encore plus » unique. Cela lui fait une personnalité singulière, incroyablement riche.

Dans la langue française, l’accent circonflexe laisse aussi – au premier abord – perplexe. Mais il rend le mot unique ; il le rend même plus beau. Il devient chic, ce mot, ainsi coiffé de ce magnifique chapeau chinois ! On est obligé de le remarquer. On s’y arrête, le décortique, s’y intéresse particulièrement car il nous a fait la vie dure en dictée. Après être tombé mille fois dans le piège, zéro après zéro, on finit par l’apprivoiser. On le mémorise impeccablement. On en est si fier. On ne l’oublie plus. On ne l’oublie plus jamais. C’est pour la vie. On aime l’écrire plus que les autres car il est rigolo, son chapeau le rend plus important, plus joli, comme un grain de beauté sur une peau lisse.

Pour nous, c’est pareil. Le chromosome de Marie en plus est son grain qui la rend tellement belle. Son chapeau qui lui donne ses yeux de Chinoise. Au début – comme l’accent circonflexe –, la trisomie laisse perplexe. On se cogne à cette différence, on se fait mal, on ne voit que cela. Puis, petit à petit, on apprend, on regarde, on observe… et on aime ! Oui, on aime vraiment cette différence, on ne peut plus s’en passer.

On peut pousser l’analogie beaucoup plus loin. Ce chromosome, c’est comme le dièse ou le bémol apportés à une note. Cela change l’harmonie primaire, mais cela ne sonne pas faux, au contraire, indéniablement cela apporte un plus. Une mélodie plus intense. Sans dièse ni bémol, Beethoven n’aurait pu composer toutes ses symphonies : quel dommage ! Sans ces enfants au génome coiffé de ce superbe chapeau plein de panache, notre société ne serait pas aussi riche.

Marie, c’est le grain de curry qui relève notre famille, la levure qui fait gonfler notre cœur, le piment qui rehausse notre vie, le safran qui colore notre quotidien, le sel qui supprime la mollesse de notre routine. Bref, plus simplement et de façon moins poétique – les poèmes, c’est pas trop ma tasse de thé –, Marie est notre touche rock’n’roll qui fait exploser notre ronron quotidien. Notre feu d’artifice qui rend la nuit moins noire. Pas un jour ne se ressemble, impossible de déprimer, elle nous tire toujours vers des chemins improbables.

Je pense sincèrement que Marie est bien plus puissante que nous. Qu’elle a une faculté beaucoup plus importante que nous à capter le bonheur. Elle peut regarder des heures entières sans se lasser. Elle est zen. Elle passe un temps infini à observer car elle s’extasie de tout. Jamais blasée. Je l’ai surprise l’autre jour se disputant avec une mouche. La scène était incroyablement drôle. De son petit doigt tendu avec son jargon, elle semblait injurier cette mouche. Elle était énervée de la voir tourner autour d’elle. Ce fut radical, la mouche fila droit. Pas besoin de tapette ou d’un aérosol toxique… Marie est surpuissante, elle parle même le langage mouche ! Personne ne lui résiste. Elle arrive toujours à ses fins, elle me fascine vraiment.

Quand elle était petite, impossible pour elle de passer de la position assise à allongée. Son petit accent circonflexe rend ses muscles tout mous, elle est hypotonique. Eh bien, pas de souci pour elle. Elle a trouvé une autre solution que celle de la force : la souplesse. Elle fait le grand écart facial avec une facilité déconcertante pour contourner sa difficulté passagère.

Marie me fascine, elle nous fascine tous. Elle nous hypnotise avec sa joie de vivre, elle rendrait le sourire à toute une équipe de dépressifs. C’est notre Prozac !

Marie est dix mille fois plus sensible que nous tous réunis. Quand elle entend de la musique, elle bat la mesure avec son index minuscule et se met à danser. Quand elle voit des personnes qui se disputent, elle leur tape dans le dos, l’air de leur dire : « Ça va aller. » Quand elle voit quelqu’un qui pleure, elle fonce lui faire un câlin et lui fait des grimaces pour transformer ses larmes en rire. Quand elle entend des éclats de rire, elle rit encore plus fort.

Marie, lorsque je la regarde intensément, me pique le nez comme un grain de poivre et mes larmes montent immédiatement au coin de mes yeux. C’est un petit grain de café un peu plus torréfié que mes autres enfants, certes un peu plus grillé, mais cela lui donne une saveur unique. On a envie de crier au monde entier : « Venez goûter avant de juger. »

Marie n’est pas un « poison » pour notre famille, ni un « risque » ou un obstacle qui nous empêcherait d’avancer. Bien au contraire. Marie démultiplie nos possibilités. Marie est notre carburant. Comme le disait le célèbre chercheur américain, le professeur Alberto Costa, dans l’introduction de son discours lors de sa remise du Prix international Sisley en mars 2016 : « Ma fille trisomique est la source de mon inspiration. » En prononçant cette si belle phrase, simple mais à la fois si puissante de sens, il illustrait l’impact qu’ont ces enfants sur leurs proches.

Je souhaite que tout le monde puisse rencontrer ces enfants. Que chacun ait la chance d’échanger avec eux. Qu’il se laisse aimer. Qu’il arrive à percer leur mystère pour se laisser guider vers leur bonheur sans limites. Ils sont la clé qui manque à tous ceux qui réfléchissent trop pour vivre, ou vivent trop pour réfléchir. Ceux qui oublient d’entendre leur cœur battre. Ceux qui ont tout matériellement, mais qui ne sont pas comblés, qui courent toujours pour attraper ce qui leur manque. Avec ces enfants-là, on ne manque plus de rien.

Marie a bien compris que nous étions tous devenus « débiles » d’elle. Que nous sommes tous dépendants d’elle. Je suis sûre qu’elle se demande : « Les handicapés, ce sont eux ? C’est moi ? Je suis perdue ! » Oui Marie, on est perdus. Nous avons perdu le référentiel stupide imposé par la société. Qui donc a créé ce référentiel ? Peut-être qu’un jour, ce postulat imposé à tous sera confondu. Comme la théorie de la Terre plate fut déboutée par celle de la Terre ronde. J’espère de tout cœur qu’un jour ils comprendront qu’ils se sont trompés, qu’elle est au contraire supérieure à nous sur bien des plans, et pas des moindres.

En tout cas, une chose est certaine aujourd’hui. La Terre est bien ronde et bombée, suffisamment vaste pour que tu puisses aussi galoper dessus. Elle n’appartient à personne.

Si la société veut « t’éjecter », comme certains veulent enlever l’accent circonflexe de la langue française, alors notre population ne sera plus la même. Comme le mot « âme » ne sera plus le même, sans son chapeau qui l’élève.

Extrait de Petit à petit de Clotilde Noël, publié aux Editions Salvator. pour acheter ce livre, cliquez ici.

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