La Sopridex, la société immobilière qui gère une partie des propriétés insoupçonnées du Vatican à Paris <!-- --> | Atlantico.fr
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Michel Turin a publié « Sacré business L'incroyable marché des biens immobiliers du clergé » aux éditions Robert Laffont.
Michel Turin a publié « Sacré business L'incroyable marché des biens immobiliers du clergé » aux éditions Robert Laffont.
©FILIPPO MONTEFORTE / AFP

Bonnes feuilles

Michel Turin publie « Sacré business L'incroyable marché des biens immobiliers du clergé » aux éditions Robert Laffont. Plus de cent ans après la séparation de l'Eglise et de l'Etat, cette enquête expose la réalité du patrimoine immobilier du clergé en France. Les biens de l'Eglise n'ont jamais suscité autant de fantasmes et de convoitises. Extrait 1/2.

Michel Turin

Michel Turin

Michel Turin a été dix ans journaliste aux Échos, et chroniqueur économique à Radio Classique. Il est l’auteur de La Planète Bourse (« Découvertes Gallimard », 1993), Le Grand Divorce – Pourquoi les Français haïssent leur économie (Calmann- Lévy, 2006), Prix de l’Excellence Économique, et Profession Escroc (François Bourin Éditeur, 2010).

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Les initiales « BK » figurant à côté d’une des sonnettes du porche de l’entrée du 4, rue Guynemer étaient il y a quelques années la seule discrète indication de l’identité d’un des membres d’un couple célèbre habitant ce bel immeuble haussmannien du résidentiel 6e  arrondissement de Paris.

(…)

C’est un logement pas tout à fait comme les autres. Il est, comme tout l’immeuble, propriété du… Vatican. D’autres personnalités politiques les ont précédés à cette adresse : Danielle et François Mitterrand dans leurs jeunes années, Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication dans le gouvernement de François Fillon, entre autres.

Les locataires ne règlent pas les loyers de leur appartement de grand standing directement au Vatican, mais à une société immobilière qui gère depuis Paris l’immeuble pour le compte du Saint-Siège, la Sopridex. Ses bureaux sont 4, rue de Rome, dans le 8e, près de la gare Saint-Lazare. « L’adresse du siège de la Sopridex est de l’ordre de la prédestination », ne peut s’empêcher de noter avec humour un haut dirigeant d’un grand diocèse de l’Église de France. La Sopridex gère un important parc locatif sur l’étendue duquel la plus grande discrétion est de mise. Gianluigi Nuzzi a réussi il y a quelques années à soulever un coin du voile. Ce journaliste italien spécialisé dans les scandales judiciaires a notamment travaillé pour le grand quotidien Corriere della Sera. Dans son livre, Chemin de croix, il décrit les trafics, les faillites, les comptes falsifiés, le détournement des deniers du culte qui alimentent la corruption au Vatican, à laquelle le pape François a décidé de s’attaquer. L’ouvrage est nourri de centaines d’enregistrements et de documents secrets inédits. Interviewé par son confrère français François Lenglet, l’auteur affirmait que le Vatican possédait 500  appartements à Paris, tous loués. Il précisait que les immeubles de la Sopridex apparaissent pour une valeur de 46 millions dans le bilan, alors que leur valeur de marché est de 460 millions. Gianluigi Nuzzi expliquait que la manœuvre n’aurait eu d’autre but que de permettre de payer moins d’impôts. « Plus la valeur des propriétés est sous-estimée, disait-il, moins il faut payer d’impôts aux États qui comme la France appliquent une taxe foncière. »

La Sopridex possède l’immeuble du 4, rue Guynemer comme d’ailleurs l’immeuble mitoyen du 2, rue Guynemer qui fait l’angle avec la rue de Vaugirard, mais aussi des immeubles place des Victoires dans le 1er arrondissement, boulevard Saint-Michel dans le 5e arrondissement, rue d’Assas dans le 6e, avenue Bosquet dans le 7e, rue Lincoln dans le 8e arrondissement, boulevard du Montparnasse dans le 15e, avenue du Président-Kennedy et rue de Civry dans le 16e , ou encore avenue StéphaneMallarmé, rue du Colonel-Moll et rue Catulle-Mendes dans le 17e . Le Vatican aime décidément les beaux quartiers et les beaux immeubles. Il s’agit toujours d’appartements magnifiques qui entrent tous dans la catégorie de l’immobilier de prestige.

Le standing élevé des propriétés de la Sopridex n’a pas échappé à l’occupant pendant la Seconde Guerre mondiale. Cécile Desprairies s’est livrée dans Paris dans la Collaboration1 à un inventaire extrêmement précis des immeubles réquisitionnés par les nazis. Y apparaît ainsi, au 87, boulevard Saint-Marcel dans le 13e arrondissement, réquisitionné le 2 décembre 1940, un immeuble d’angle qui possède une autre entrée au 11, impasse Royer-Collard. L’auteure fait remarquer que la majorité des biens saisis par les Allemands présente des caractéristiques constantes : « Ce sont des immeubles modernes presque toujours disposés en angle et proposant une autre entrée et sortie. » La préférence topographique de l’occupant correspondait à des raisons stratégiques faciles à deviner. La Sopridex est toujours propriétaire des lieux aujourd’hui.

La société immobilière du Saint-Siège à Paris pratique une gestion de son parc locatif précautionneuse, qu’il s’agisse de l’immeuble du boulevard Saint-Marcel ou des autres. Elle le gère en père de famille et préfère visiblement les locataires présentant les plus grandes garanties à ceux qui lui assureraient des revenus locatifs plus élevés. La Sopridex a fait de la cooptation le principal critère de recrutement des futurs locataires, quand il ne s’agit pas de hautes personnalités, se mettant – ou croyant  – ainsi se mettre à l’abri de mauvaises surprises. Un locataire a raconté voici quelques années au Parisien avoir habité dans un appartement de 80 m2 de la fin des années 1990 jusqu’à 2003, au 4e étage, dont le loyer était de  1 800 euros, charges comprises. Il expliquait qu’il avait été coopté par « une amie qui lui avait présenté un Corse qui avait lui-même ses entrées au Vatican ». D’autres exemples témoignent de ce phénomène : de retour du Mexique où elle a achevé ses études en juin 2014, Aurélie décide de ne pas réintégrer le foyer familial du 5e arrondissement à Paris. Elle cherche un petit appartement pour elle et rien que pour elle, avant de se lancer dans la vie active. Quelques jours à peine après son retour, sa mère rencontre à la boulangerie de son quartier une bonne amie qui lui apprend que son fils va quitter l’appartement qu’il occupait dans un bel immeuble haussmannien en pierre de taille de la « cornette d’or ». Le locataire sur le départ cherche quelqu’un pour le remplacer et le recommander à son bailleur. L’affaire est rondement menée. Aurélie entre en contact avec le propriétaire qui n’est autre que la Sopridex. Après avoir rempli un dossier en bonne et due forme, elle rencontre le lendemain un responsable de la société. Le bail pour le trois-pièces de 45 m2 loué 900 euros sera signé trois jours plus tard. Comme l’avoue son père, le fait que « les parents d’Aurélie aient été pour l’un  haut fonctionnaire et pour l’autre salarié d’une grande institution financière de la République a dû aider à convaincre la Sopridex de retenir sa candidature ».

Un cadre supérieur d’une grande entreprise privée basé à Paris se rappelle encore l’échange qu’il a eu voici quelques années avec un copain de fac retrouvé par le plus grand des hasards. Après avoir évoqué le bon vieux temps et parlé de choses et d’autres, sa connaissance lui confie  : « On doit me présenter demain au nonce devant lequel je dois montrer patte blanche parce que je suis candidat pour un appartement du Vatican. » Il occupe depuis, après avoir visiblement réussi son examen de passage, un beau logement du 7e  arrondissement. Quelques journalistes suivant curieusement l’actualité religieuse dans leurs médias respectifs ont été ou sont encore locataires du Vatican à Paris. Bref, la gestion pratiquée par la Sopridex vise davantage à conserver en bon état un beau patrimoine immobilier qu’à maximiser les revenus locatifs. La société pratique des loyers légèrement en dessous du prix du marché, mais pas davantage. Ajouté à la règle de la cooptation, le fait de pratiquer une légère décote assure la stabilité des occupants.

Les loyers ne sont pas bradés pour autant. Un ancien locataire de la Sopridex dans le 17e  arrondissement de Paris raconte qu’il a été obligé de quitter son appartement quand il s’est retrouvé à la retraite : ses revenus ayant diminué, il ne pouvait plus faire face au paiement du bel appartement qu’il avait longtemps occupé. La Sopridex a d’ailleurs parfois du mal à faire accepter les révisions à la hausse auxquelles elle soumet ses locataires. Un différend majeur l’a opposée à l’un d’entre eux il y a quelques années. Il a pris une telle tournure qu’il a conduit les deux parties devant la Cour de cassation. Le locataire avait multiplié les arguties pour échapper à l’augmentation. Mais il a finalement été débouté. L’appartement de 209 m2 qu’il occupait dans un immeuble de pierre de taille avenue du PrésidentKennedy, le long de la Seine, dans le 16e   arrondissement à Paris, était décrit de la façon suivante dans le jugement de la cour : « Derniers étages en duplex (7 et 8), avec un salon, deux studios, une salle à manger, un bureau, deux chambres, une cuisine, deux salles de bains, trois WC, un boudoir, une galerie, un dégagement, une lingerie, un office, deux chambres de service et une cave, et enfin deux terrasses qui donnent une vue et un agrément tout à fait exceptionnel. » La Cour de cassation en concluait que « le loyer était manifestement sous-évalué ». Le locataire avait invoqué le fait que « l’immeuble ne répondrait pas aux normes de confort, de prestations et d’isolement phonique et thermique et qu’il y aurait un défaut d’entretien ». Les juges suprêmes avaient, sur ce point comme sur les autres, donné tort au locataire.

La société immobilière du Vatican recherche la plus grande discrétion, comme tous les bailleurs, si ce n’est encore plus que d’autres. Elle a bien malgré elle défrayé la chronique judiciaire quand elle a décidé, fin 2019, d’expulser une de ses locataires qui occupait un appartement dans un immeuble sis au 41 de la très résidentielle avenue Bosquet dans le 7e  arrondissement à Paris. Celle-ci, une femme de près de 60 ans, vivait dans le logement de 160 m2 au premier étage depuis les années 1960 avec son frère et sa sœur handicapés, tous deux à sa charge. Elle y avait grandi avec eux, ainsi qu’avec sa mère et son père, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, couvert de décorations. Mais elle s’était retrouvée, en avril 2017, dans l’incapacité, de s’acquitter du loyer de 3 700 euros par mois après avoir été obligée de quitter son poste de directrice commerciale, ses revenus ne dépassant pas 1 198 euros. Les sommes qu’elle devait à la Sopridex s’élevaient déjà à plus de 110 000 euros. L’État français remboursait tous les loyers impayés au bailleur depuis avril 2017. La locataire avait assigné la Sopridex devant le juge de l’exécution, qui gère notamment les expulsions, pour obtenir un nouveau délai de paiement. En vain. Elle affirmait également avoir essayé de trouver un logement social dès qu’elle n’avait plus pu payer le loyer. Toujours en vain. Quatre policiers, l’huissier du Vatican et un serrurier ont débarqué le 7 septembre 2020 chez la locataire pour la chasser, ainsi que son frère et sa sœur. Ces derniers ont dû rassembler leurs affaires et quitter les lieux, munis seulement de l’adresse d’un appart-hôtel de Villejuif, dans la banlieue parisienne où une chambre leur avait été réservée pour un mois par le Samu. Le prix moyen du mètre carré à la location avenue Bosquet tournait, fin 2021, autour de 37 euros. Le prix le plus élevé pour un appartement de grand standing était de 43 euros d’après une agence immobilière du quartier. Autrement dit, le prix de marché de l’appartement de la locataire était d’environ 6 900 euros.

Quand elle ne fait pas involontairement la « une » de la presse populaire et des radios généralistes, la Sopridex vit cachée. Un journaliste italien, Emiliano Fittipaldi, s’est intéressé aux finances du Vatican. Il a publié une enquête passionnante sous le titre « Un Vaticano da 10 miliardi », dans laquelle il s’est attardé sur le management de la Sopridex. L’article précise que « ses ressources humaines comprennent un directeur, trois consultants, du personnel de ménage et pas moins de seize gardiens ». Le pape François a fait appel il y a quelques années aux grands du conseil aux entreprises dans le monde pour faire l’inventaire des pratiques douteuses auxquelles certaines entités du Saint-Siège se sont livrées. Il a fait travailler KPMG, McKinsey, Ernst & Young et Promontory Financial Group, société de conseil filiale d’IBM. D’après Promontory, raconte Emiliano Fittipaldi, les revenus mensuels du président du conseil d’administration s’élevaient à 56 000 euros. Le directeur percevait 12 956 euros bruts en 2013 et bénéficiait d’un treizième mois. Les salaires des seize gardiens d’immeuble se situaient entre 7 000  et 29 000 euros, auxquels s’ajoutaient 38 563 euros versés à leurs remplaçants au moment des vacances. Soixante-quinze pour cent des dépenses de conciergerie étaient, toujours d’après la société de conseil, à la charge des locataires et les 25 % restants à celle de la Sopridex.

Extrait du livre de Michel Turin, « Sacré business L'incroyable marché des biens immobiliers du clergé », publié aux éditions Robert Laffont

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