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La Sécu britannique renonce à certains traitements trop chers : ce qu’il faut savoir avant de voter pour éviter que la France n’en arrive au même point
©JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Remèdes de grand-mère

Le modèle anglais est de plus en plus critiqué pour privilégier les médications low-cost au profit des innovations performantes. Le risque étant évidemment, à force de contrôler bureaucratiquement sur des critères discutables, de mettre en place une santé à deux vitesses. Et le problème tendrait à se développer en France, comme le montre la récente réforme du dentaire.

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard

Frédéric Bizard est professeur d’économie à l’ESCP, président de l’Institut de Santé et auteur de « L’Autonomie solidaire en santé, la seule réforme possible ! », publié aux éditions Michalon.

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Le Royaume-Uni vient de supprimer la prise en compte par leur sécurité sociale de plusieurs médicaments, dont un soignant la maladie de Gaucher, qui touche 250 personnes outre-Manche et coûte à l'Etat 285 000 euros par an et par malade. En cause, l'existence d'une thérapie vieille de plusieurs dizaines d'années beaucoup moins chère. Mais beaucoup moins efficace aussi.santé

Depuis quelque temps, l'Angleterre est devenue de plus en plus avare en matière de remboursement pour ce genre de nouvelles médications. Les maladies rares, telle celle de Gaucher, sont les principales visées par l'actuel gouvernement. Pourtant, les traitements réels pour ces maladies sont de plus en plus nombreux, contrairement aux méthodes expérimentales et peu fiables qui préexistaient. Et nombre d'entre eux ont des résultats très probants. Mais l'Angleterre rechigne à les inclure à leur très sélective liste des médicaments, tant les coûts de ces médications s'avèrent de plus en plus onéreux. On estime l'augmentation du budget dans ces domaines spécifiques de 30% d'ici 2021.

L'évolution du coût de cette partie de l'arsenal médical a un impact certain sur le budget de la Santé en Angleterre, et devrait être suivi sérieusement par ses voisins qui comptent s'inspirer du modèle anglais, la France en tête.

Aujourd'hui, pour qu'un médicament soit subventionné par NICE, le National Institute for Care Excellence, il faut qu'il ait un coût inférieur à 115 000 euros par année de vie pondérée par la qualité (QALY), un indicateur économique controversé qui tente d'allier qualité de vie et espérance de vie. Pour faire simple, cet indice se fonde sur des principes utilitaristes, et tend à encourager le soin de 50 maladies communes et bénines plutôt que d'investir dans le traitement d'une maladie rare si l'investissement est moindre dans le premier cas.

Mais l'évolution des technologies et médications, la recherche et les laboratoires, ne suivent pas toujours ce mode de sélection rationnel, ce qui fait qu'il est de plus en plus difficile pour les nouvelles médications d'être rentables du point de vue du seuil QALY fixé par le gouvernement.

La question qui se pose est de savoir si le gouvernement doit choisir avec cet indice ou parfois accepter de soutenir l'investissement dans des médications plus onéreuses mais aussi radicalement plus efficace.

En France, la réforme de Santé entamée par Marisol Touraine semble emprunter le même chemin. La réforme du dentaire et la question de la nouvelle carte territoriale médicales sont très critiqués par les milieux médicaux professionnels, et perçu comme une acceptation en creux de la baisse en gamme de la qualité des services médicaux. 

Se dirige-t-on alors vers une santé à deux vitesses, entre des patients aisés consultant des médecins déconventionnés, et des personnes plus modestes cantonnés à des médecins salariés de dispensaires au fonctionnement lourd et peu adaptable, système qui s'observe en Grande-Bretagne par exemple ?

Frédéric Bizard : Les pouvoirs publics et leurs affidés qui partagent la détestation de l’exercice libéral sont en train de provoquer cette situation. L’association tire de son analyse qu’il ne faut conserver que le secteur 1 partout et le contrat d’accès aux soins dans certains territoires. Elle oublie que les Français dépensent 35 milliards d’euros pour se protéger par rapport à la partie libre des honoraires. Voudrait-elle que ce pactole continue uniquement à alimenter la rente du secteur assurantielle privée ? Pas un mot sur la question du financement qui est centrale pour comprendre la situation.

Le concept du contrat d'accès aux soins cité dans l’enquête considère que l'Assurance maladie et les médecins sont les deux responsables des difficultés d'accès aux soins. L'un parce que ses tarifs sont trop bas, et l'autre parce que leurs tarifs sont trop hauts... Or les comparaisons internationales, même avec les dépassements d'honoraire de 54% (appliqué à 23 euros cela fait 35 euros) restent bien en deçà de la moyenne internationale qui est de 57 euros pour un généraliste et de 88 euros pour spécialiste. Les médecins généralistes ont donc dû multiplier les actes, et allonger leur temps de travail au détriment de leur qualité de vie professionnelle. Les jeunes médecins n'ont aucune envie de s'installer pour vivre une telle galère. Ils préfèrent faire des remplacements, mode d’exercice en hausse de 17% depuis 2007, ou faire autre chose que du soin, cas de 25% des jeunes diplômés en médecine. C’est intéressant de voir que certains feignent d’ignorer les utilisations des ressources considérables que les Français dépensent pour leur assurance santé.

En 2014 Mme Touraine a plafonné le remboursement des contrats dits "responsables" à 100% du tarif de la Sécurité sociale. La plupart des spécialités libérales réalisent plus d’un tiers de leur activité au tarif opposable, ce sont donc les plus aisés qui paient pour les moins aisés. Si vous allez chez un gynécologue dans une grande ville, le tarif sera de plus de 70 euros, sauf si vous êtes à faibles revenus. Or le plafond de remboursement des contrats responsables (96% des contrats) est de 46 euros... Voilà comment on crée un problème d'accès au soin. 

Mme Touraine rêve d'un service public géré par un secteur public intégralement étendu à la ville, en marginalisant l'offre privée - comme elle l'a fait en sortant les cliniques du service public hospitalier. Elle souhaite le faire aujourd'hui avec les médecins libéraux, et met donc à mal ce mode d’exercice…Le problème est qu’elle n’offre aucune alternative, ce qui rend sa politique désespérante pour la très grande majorité des Français…

Que penser de la proposition d'interdire les dépassements d'honoraires, et contraindre l'installation des jeunes médecins en fonction des besoins ?

Le lien entre la dégradation de l'accès géographique aux soins due à une moindre densité médicale et des dépassements d'honoraires est ubuesque. Dans le dernier Atlas de la démographie médicale, on observe une chute importante entre 2007 et 2016 de médecins généralistes de 8,5% soit 8 000 MG en moins. Je vous rappelle pourtant que 90% des médecins généralistes sont en secteur 1 avec une valeur de consultation à 23 euros. Le problème ne vient donc pas des dépassements d’honoraires mais des médecins qui ne peuvent pas en faire et dont les successeurs potentiels ne peuvent plus vivre décemment en s’installant. Si on est juste dans l’analyse, on voit bien qu’il faut permettre à ceux du secteur 1 d’en sortir. 

Le financement de la Santé a évolué : l'Assurance maladie rembourse près de 76% de la santé des Français et se concentre sur les affections de longue durée, qui sont remboursés à 100%. 66% des dépenses sont concentrés sur les patients ALD et ce sera 8% en 2015. Cette assurance maladie joue donc parfaitement son rôle qui est de protéger ceux qui sont confrontés au gros risque. Mais dans le même temps, elle couvre de moins en moins les soins courants. La part prise en charge par l'AM dans les soins courants est amenée à diminuer encore. Notre système a prévu que des organismes d'assurance privés garantissent la mutualisation du reste à charge pour protéger les Français. Ce marché a augmenté de 5% par an depuis 2000, et les Français ont un prélèvement (quasi) obligatoire de 35 milliards d'euros par an pour se protéger. Ce reste à charge se décompose en trois parties : les tickets modérateurs (part dans le tarif de la sécurité sociale qui n'est pas remboursé) qui est de 30% pour les consultations. La deuxième, c'est la partie libre des tarifs (appelés abusivement dépassements d’honoraires). Et la troisième, ce sont les frais non présentés au remboursement. 

La seule raison pour laquelle les Français ont à souscrire à un contrat d'assurance, c'est pour la partie libre des honoraires (les autres composantes ne sont pas un risque). Mais ces organismes d'assurance privés ont concentré les remboursements (15 milliards sur les 27 milliards d'euros par an) sur les tickets modérateurs. Ces derniers sont de vraies rentes pour les assureurs. Pour les médecins, la partie libre des honoraires s’élève à 2.8 milliards. Or le remboursement total des assurances privées est de 4 milliards d'euros, mais seulement 0,8 milliards pour cette composante... 

Si cette association ne veut plus de financement privé des dépenses de santé, elle doit prôner la disparition des organismes d’assurance privés et le transfert de leurs 35 milliards vers l’assurance maladie, ie la nationalisation du financement. Dans ce cas, elle montrerait un minimum de cohérence avec son idéologie !

Comment analysez-vous les positionnements des différents candidats à la présidentielle dans ce domaine ? Répondent-ils aux enjeux qui selon vous se posent aujourd'hui pour la Santé en France ?

Le nouveau modèle de protection sociale que je propose vise à décliner notre triptyque républicain dans le contexte économique et sociale d’aujourd’hui. L’allongement considérable de la durée des risques sociaux (maladies, retraite, chômage) et l’apparition de nouveaux risques (précarité des jeunes, exclusion sociale) obligent à repenser la stratégie de gestion des risques sociaux.

Le nouveau modèle est de nature universel grâce à l’individualisation de droits sociaux attachés à la personne et non plus au statut professionnel. Il vise à l’autonomie des individus dans la gestion du risque grâce au développement des capacités individuelles et non pas seulement à la fourniture d’allocations sociales. Il garantit l’équité intergénérationnelle en investissant dès la petite enfance sur les capacités individuelles et en renforçant les conditions économiques et sociales du jeune adulte.
Les cinq principes socles du nouveau modèle – universalité et solidarité, autonomie et liberté, engagement individuel, démocratie sociale et équité intergénérationnelle – forment un modèle cohérent et indivisible de protection sociale à la française (ie déclinant nos trois valeurs républicaines).

Chaque candidat met en avant un ou plusieurs principes sus-évoqués sans proposer de réforme globale du modèle social, ce qui risque de finir en colmatage du modèle actuel ou en crash social. A des degrés divers, Mélenchon et Hamon se retrouvent sur une vision de la protection sociale assise sur la fourniture de prestations sociales par l’Etat à des individus passifs car "victimes" selon eux. La notion d’autonomie sociale grâce à l’activation des capacités individuelles laisse la place à l’assistance d’individus victimes d’une forme de déterminisme social. Seule la nationalisation partielle ou intégrale des systèmes sociaux peut garantir une protection sociale solidaire et efficace selon eux.

Le passage d’un modèle corporatiste à un modèle universel fondé sur la protection de la personne est proposé dans le principe par Emmanuel Macron mais il ne le met pas en application dans ses mesures concrètes, notamment en n’instaurant pas un régime social unique universel dans chaque branche. Son approche étatiste de la gouvernance, notamment par l’étatisation de l’assurance chômage, va à l’encontre de la démocratie sociale et de l’engagement citoyen.

Fillon ne fait pas mention d’une individualisation des droits sociaux et tente de réformer le système tel qu’il existe aujourd’hui, ce qui limite les risques de la réforme mais aussi ses résultats en matière d’efficacité dans le contexte actuel. Sa ligne politique fondée sur la liberté et la responsabilité est favorable à la recherche d’une autonomie individuelle dans la gestion des risques tout en maintenant un système solidaire, même si l’équilibre n’est pas toujours évident comme l’a montré la polémique sur la sécurité sociale.

Quant à Marine Le Pen, elle reste sur une approche paternaliste et étatiste de la protection sociale. Sans réforme structurelle, elle entend maitriser la dépense par la préférence nationale des droits sociaux et la lutte contre la fraude. 

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