La rocambolesque et ahurissante mésaventure d’un professeur français à Nankin retenu en Chine contre son gré après un banal accident de la route <!-- --> | Atlantico.fr
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Un Français est venu compléter les rangs des prisonniers en Chine.
Un Français est venu compléter les rangs des prisonniers en Chine.
©Reuters

Privé de passeport

En mai 2014, un professeur à l’Université de Nankin est renversé par un automobiliste alors qu’il circule en moto dans la ville. Ce dernier s’en prend avec rudesse au conducteur de la voiture. Ce qui n’était qu’un fait divers banal dégénère. Le professeur se retrouve inculpé. Son passeport lui est confisqué. Il ne peut plus quitter la Chine. Le consulat français de Shanghai, selon le professeur, ne lui aurait apporté aucune aide. Laurent Fabius est désormais informé de cette histoire. Un dénouement est-il proche ?

Gilles Gaetner

Gilles Gaetner

Journaliste à l’Express pendant 25 ans, après être passé par Les Echos et Le Point, Gilles Gaetner est un spécialiste des affaires politico-financières. Il a consacré un ouvrage remarqué au président de la République, Les 100 jours de Macron (Fauves –Editions). Il est également l’auteur d’une quinzaine de livres parmi lesquels L’Argent facile, dictionnaire de la corruption en France (Stock), Le roman d’un séducteur, les secrets de Roland Dumas (Jean-Claude Lattès), La République des imposteurs (L’Archipel), Pilleurs d’Afrique (Editions du Cerf).

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  • Alors qu’il circule le 25 mai 2014 à moto à Nankin, Alain Deflesselles, professeur français à l’Université de cette ville est renversé par le conducteur d’une grosse berline. Fait troublant : c’est le professeur qui est poursuivi
  • Certes, le professeur a réagi brutalement en esquintant la voiture du chauffard, mais aujourd’hui, son passeport lui a été confisqué. Il ne peut plus quitter la Chine. Laurent Fabius a été informé de l’affaire.
  • Le Consulat de France à Shanghaï, alerté par Deflesselles semble avoir été d’une grande mollesse pour s’occuper du ressortissant français qui risque 2 ans de prison pour un fait divers somme toute banal….
  • A en croire le professeur, cette histoire illustre la difficulté qu’il y a pour un Occidental à comprendre les méandres de la justice de l’Empire du Milieu.

Il s’appelle Alain Deflesselles. Agé de 47 ans, ce professeur de Français exerce son métier à l’Université de la communication de Nankin, à 300 kilomètres au nord-ouest de Shanghaï. Jusqu’au 25 mai 2014, c’est un homme heureux, sans histoire, satisfait de son métier, content d’avoir été détaché depuis cinq ans de l’Education nationale où il était responsable des stages à l’Institut universitaire de formation des maîtres d’Arras (anciennement école normale d’instituteurs). Oui, heureux de découvrir l’Empire du Milieu qui lui a permis, en tant que photographe, son autre passion, de réaliser à Nankin, Shanghaï et Tsingtao des expositions de photos sur sa ville natale, Gravelines (Nord). Seulement voilà : son passeport lui a été retiré. Il ne peut plus quitter le territoire. Son contrat à l’Université de Nankin ne devrait pas être reconduit. Il risque d’être condamné à 2 ans de prison dans les jours qui suivent. Une perspective angoissante ! En prime, le Consulat français à Shanghaï ne l’aide pas beaucoup, déplore-t-il. L’Université de Nankin, pas davantage. Alain Deflesselles est aujourd’hui accablé. Que lui est-il donc arrivé ? A dire vrai, cette histoire serait banale en France, mais en Chine, elle a pris des proportions injustifiées au point que ce professeur de Français se trouve depuis 10 mois quasiment en liberté surveillée… alors qu’il ne s’agit en rien d’une affaire d’Etat.

Nous sommes le 25 mai 2014. Comme il en a l’habitude, Alain Deflesselles, fan de moto, circule sur sa machine à Nankin. Brutalement, un automobiliste lui coupe la route. Le motard klaxonne. L’automobiliste récidive. Alain l’évite une deuxième fois. Drôle de type que ce cet automobiliste, conducteur d’une Buick Lacrosse V6. Une troisième fois, il percute la moto. Le motard tombe. La roue avant de l’engin est totalement écrasée. En lambeaux. Furieux, Deflesselles se relève. Heureusement, il n’est pas blessé. C’est un miracle. Alors, il se précipite sur la Buick de deux tonnes, pour faire sortir le conducteur par la portière. Celle-ci étant fermée, il passe par le toit ouvrant du véhicule, qui se brise sous son poids, et fait sortir l’automobiliste. "C’était un quadragénaire aux traits épais", se souvient Deflesselles. La suite va très vite. Des badauds regardent la scène. Laquelle se transforme en joute de boxe. En un rien de temps, notre professeur se voit tabassé par trois Chinois qui viennent à la rescousse. En quelques minutes, la police est là. Notre Français est sûr qu’il est innocent. L’agressé c’est lui. Et non pas le propriétaire de la Buick Lacrosse. Erreur. Naïveté. Voici Deflesselles qui se retrouve dans le panier à salade de la police… avant d’être placé 28 heures en garde à vue et sous le coup de poursuites pénales. Oh ! bien sûr le Français a été, disons un peu rude dans son comportement, mais "l’autre", affirme-t-il, tout autant… Et d’ailleurs, qui a commencé ? En quelques jours, la machine judiciaire se met en branle. Visiblement, Alain Deflesselles, il nous l’a répété au cours d’un long entretien téléphonique que nous avons eu avec lui le 15 avril, la balance n’est guère équilibrée. D’abord, on veut qu’il règle la réparation de la voiture endommagée, mais surtout qu’il verse une rente de 6000 euros à son conducteur, que le Français appelle "le tueur". 6000, c’est une sacrée somme : la moitié de son salaire annuel ! Mais surtout lors de l’enquête, la police ne montre aux traducteurs que la video où défilent les images de la Buick sévèrement endommagée. Rien sur la moto. De plus, le prof n’a qu’une confiance limitée en son avocat, ce qui n’arrange pas les choses. Tous les documents en possession de la police, nous-t-il affirmé, montrent qu’il est coupable. Pas un n’indique qu’il a été agressé. Bref, il ne sait que faire pour se sortir de ce guêpier. Pourtant, dès ce funeste 25 mai, Deflesselles s’est agité. En alertant le consulat de Shanghaï par téléphone et en échangeant des mails. Le résultat ? A l’en croire, plus que décevant : "Vous savez, il est difficile de nous immiscer dans une affaire de justiciables. Nous pourrions porter atteinte à la souveraineté chinoise, lui a rétorqué le consul adjoint. "Quant à l’Université de Nankin, elle le met à pied pour une durée de semaine. Quand on sait que Deflesselles, ne veut pas alerter ses parents âgés qui demeurent à Gravelines –son père connait une santé chancelante- on mesure l’état psychique dans lequel il se trouve… Mais il est combatif. Il sollicite des amis chinois qui pourraient l’aider. Le recommander auprès de la police. De la justice. Qui sait, même obtenir un classement de son affaire. En vain. Plus le temps passe, plus sa situation devient délicate. Lors des vacances de l’été 2014, nouveau coup dur : il lui est interdit de retourner en France. La mesure est confirmée en janvier 2015. Le procès approche à grand pas. Le professeur est inculpé pour violation de la loi pénale chinoise et destruction de patrimoine. En Chine, c’est un crime. Se profile à coup sûr une peine d’emprisonnement. D’autant que le professeur intransigeant -puisqu’il s’estime innocent– en état de légitime défense face à l’homme à la Buick -ne veut accepter aucun compromis. L’agressé, c’est lui. Pas l’agresseur. Voilà dix mois qu’Alain Deflesselles se trouve dans l’impossibilité de quitter la Chine. Il se sent isolé. Personne ne l’aide. Jusqu’à ce qu’un de ses amis crée un comité de soutien et fasse circuler une pétition qui aurait, aujourd’hui, recueilli 500 signatures. Deflesselles alerte Atlantico. Ses ennuis parviennent jusqu’à la mairie de Gravelines. "Le maire n’a fait ni une ni deux, nous confie Deflesselles. Il a réagi au quart de tour, a pris son papier à lettres et a informé Laurent Fabius le ministre des Affaires étrangères". Cette fois, au plus haut niveau de l’Etat, on connait les tracas du professeur de l’Université de Nankin. Que va-t-il se passer ? Va-t-on vers la fin de cette épreuve, autrement dit, le retour en France ? Deflesselles l’espère… Mais aurait-il toujours envie de terminer sa thèse de doctorat intitulé "L’apprentissage de la grammaire française par un public d’étudiants chinois" ?

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