La retraite, cet horizon nébuleux pour les Français issus de l'immigration<!-- --> | Atlantico.fr
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Des personnes mobilisées dans les rues de Strasbourg dans le cadre de la manifestation contre la réforme des retraites, le 7 février 2023.
Des personnes mobilisées dans les rues de Strasbourg dans le cadre de la manifestation contre la réforme des retraites, le 7 février 2023.
©FREDERICK FLORIN / AFP

Impact de la réforme

Depuis le début de la mobilisation contre la réforme des retraites, les manifestations ont été observées dans les grandes villes et les villes moyennes. Le peu de visibilité des habitants des quartiers populaires dans ce mouvement social pousse à s’interroger sur les formes de leur engagement politique.

Farid Temsamani

Farid Temsamani

Farid Temsamani est consultant en intelligence économique et porte-parole de l'association "Banlieue Plus".

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Atlantico : Houria Bouteldja, militante politique et ancienne porte-parole du parti des Indigènes de la République, a fait le constat de la grande absence de Français issus de l’immigration au sein du mouvement contre la réforme des retraites et dans les manifestations. Comment expliquer ce phénomène ? Pourquoi semblent-ils se tenir à l’écart du mouvement de protestation sociale ?

Farid Temsamani : Au contraire, les Français issus de l’immigration - même si je n’ai pas vu de sondages en la matière - sont peut-être en proportion plus nombreux à soutenir la protestation contre la réforme des retraites.

Sinon, comment expliquer l’emprise encore réelle des organisations de gauche sur ces populations dans les différents scrutins ; et ceci alors même que l’histoire de l’immigration, la quête d’une ascension sociale et la volonté d’émancipation économique sont antinomiques avec ces organisations.

Surtout, ces Français issus de l’immigration ou non, vivants le plus souvent au sein des territoires dits populaires, sont les plus impactés par cette réforme et l’allongement du départ en retraite.

S’agissant de leur participation aux manifestations, je dirai qu’ils sont présents à la proportion du poids des Français issus de l’immigration dans la population totale, et surtout dans les structures syndicales. Pour ces raisons, nous pouvons le constater avec une mobilisation plus importante selon les métiers: ils seront d’avantages engagés et mobilisés dans les transports ou l’industrie contrairement à l’Education nationale pourtant très mobilisée. Je rappelle que leur présence est plus importante dans le secteur privé que public par exemple.

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Quant à la participation effective aux mouvements de grève, elle est à l’image d’une certaine manière de la réalité sociale de ces populations. Si j’extrapole grossièrement sur les habitants des quartiers populaires, la précarité est telle que ce sont des populations ne pouvant se permettre de se mettre en grève. Le reste à vivre pour la majorité d’entre eux est extrêmement faible. Nous le voyons particulièrement avec l’impact de l’inflation sur ces territoires. Puis, encore trop souvent les emplois occupés sont précaires. 

Qu'est-ce que cette moindre mobilisation des populations issues de l'immigration, qu'on avait déjà pu constater avec les Gilets jaunes, nous dit de leur rapport à notre modèle économique et social ?

Tout simplement parce que, globalement, les priorités et perceptions sont différentes du reste de la population.

L’immigration étant contemporaine, ces populations et leurs descendances n’ont pas suffisamment évolué dans l’échelle sociale pour construire de manière forte une réaction à la mobilisation économique et sociale.

La genèse des Gilets jaunes concernait pour l’essentiel la France profonde ayant accédé de manière fragile à la classe moyenne et qui voyait son niveau de vie remis en question. Objectivement, les quartiers populaires et leurs caractéristiques se considéraient probablement moins concernés.

Sans compter, et dans une moindre mesure, que la mutation économique du pays et l’existence des discriminations liées au plafond de verre ont développé un élan dans l’entreprenariat peu enclin à se sentir considéré par ces mobilisations. 

Et puis, sur la mobilisation contre la réforme des retraites plus faible sur ces catégories de Français, je m’avance peut-être mais il peut y avoir une explication sociologique et psychologique.

Sans remonter à la caisse des invalides de la Marine, je peux dire que cette notion de retraite et de pouvoir disposer d’une pension en étant inactif est aujourd’hui très ancrée dans la société française. Elle l’est devenue de plus en plus à travers les générations. L’espérance de vie aidant, les Français ont l’image des aînés jouissant positivement d’une vie post activité, et se sont construits sur ce modèle aujourd’hui naturel.

Pour les Français issus de l’immigration, le bénéfice d’une retraite est très récent comparativement. Par conséquent, la construction d’une mémoire collective avec des aînés inactifs commence à peine.

Je rappelle que longtemps l’espérance de disposer d’une retraite coïncidait avec l’imaginaire de retourner dans le pays d’origine. À titre d’exemple, le cas des « chibanis » en est l’illustration.

Enfin, cantonnés pour la majorité et historiquement aux métiers les plus pénibles, ces populations n’ont pas toujours développé un modèle de vie de pleine retraite, lorsqu’ils avaient la chance d’y accéder.

Houria Bouteldja prétend que l'absence des populations des quartiers dans les manifestations soulignerait leur révolte ou leur mépris vis-à-vis d'une société française qui refuserait de les intégrer. Que pensez-vous de cette interprétation ?

Selon moi, il s’agit, ici, d’un fantasme que de vouloir analyser cette absence par une réaction idéologique voire politique.

La réalité du terrain est tout autre.

Dans un premier temps, les populations des quartiers populaires ne cherchent nullement à être intégrées à la société française puisqu’elles sont partie intégrante de celle-ci.

Et puis, malheureusement, et sans caricaturer, la conscience politque dans ces territoires est notoirement et logiquement plus faible.

Le taux de participation aux échéances de la vie de la cité que cela soit les élections politiques ou même la participation aux élections au sein des écoles à titre d’exemple est ainsi des plus bas du pays.

Le développement du clientélisme dans ces territoires montre bien une conscience moindre malheureusement ne permettant ni révolte, ni mépris dans le cas de la non participation aux manifestations sur la réforme des retraites.

Enfin, l’immigration étant en écrasante majorité économique, nos aînés et leur descendance ont été et sont d’abord dans la quête d’évolution économique et sociale. Raison pour laquelle les priorités sont quelques peu différentes. C’est ainsi le propre du cheminement dans le déracinement pour ces populations.

Farid Temsamani est enseignant et consultant en intelligence économique et Porte-parole de Banlieue Plus et co-fondateur du Think-tank France Fière. 

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