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La reprise américaine est-elle forcément la preuve que tous les autres sont sur la mauvaise voie ?
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Exemple... à suivre ?

La croissance économique américaine a été de 2,5% au premier trimestre en rythme annuel, tandis que la zone euro a connu une récession de son activité à la même période. Alors que la crise est censée être "mondiale", comment expliquer un tel écart ?

Jean-Luc Proutat

Jean-Luc Proutat

Jean-Luc Proutat est économiste responsable des pays de l'OCDE chez BNP Paribas.

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Source : "A Simple Graph That Should Silence Austerians and Gold Bugs Forever", The Atlantic

Atlantico : La croissance économique américaine a été de 2,5% au premier trimestre en rythme annuel, la zone euro a connu une récession de son activité à la même période. La reprise américaine est-elle forcément la preuve que les autres économies sont sur la mauvaise voie ?

Jean-Luc Proutat : La reprise américaine, même si elle tranche avec la plupart des grandes économies occidentales dont la zone euro, ne signifie pas pour autant que ces dernières sont sur la mauvaise voie. Il faut avant tout parler d'une grande différence institutionnelle. L'une des raisons de cet écart de croissance des deux côtés de l'Atlantique est la possibilité pour les Américains de "monétiser la dette", c'est à dire de faire en sorte que la banque centrale du pays, la Fed aux Etats-Unis, la BCE en zone euro, achète des dettes souveraines à des crédits hypothécaires et des titres de dettes publiques dans des proportions importantes.

Or, la Banque centrale européenne, n'appartenant pas à un Etat en particulier mais étant l'émanation de 17 pays membres, ne pouvait pas acheter de la dette souveraine si ce n'est dans des proportions très marginales. Résultat, les écarts de taux d'intérêt de long terme entre la zone euro et les Etats-Unis sont très important. Par exemple, si l'on regarde l'euro MTS, qui est l'indice phare obligataire pour les emprunts d'Etats, celui de la zone euro atteint le double de celui des Etats-Unis alors même que le pays de l'Oncle Sam est tout aussi endetté, y compris dans le secteur privé.

Le premier constat n'est donc pas que la zone euro et l'Amérique ne vont pas sur la même voie, mais qu'ils ne disposent pas des mêmes outils. La zone euro n'a pas le même levier d'action monétaire que les Etats-Unis, le Japon ou même le Royaume-Uni. C'est la première source d'écart de performance constatée dans le graphique ci-dessus : la charge financière de la dette - pour les pays du Sud - est restée très élevée.

Cet écart de croissance se justifie t-il aussi par la priorité donnée à la réforme par la rigueur en Europe et l’avantage que constitue le statut international du dollar pour les Etats-Unis ?

Effectivement, nous avons surdosé par rapport aux Etats-Unis la réduction des déficits budgétaires. L'Europe s'est précipitée dans cette voie, avec les effets récessifs que l'on connait, notamment dans des pays comme l'Espagne ou l'Italie, sans même parler de la Grèce. Par conséquent, les écarts de croissance sont importants.

Le déficit budgétaire américain reste de l'ordre de 6% et a été moins fortement réduit que chez nous. Mais comme la Fed achète la dette et que le dollar reste la monnaie internationale de référence dans les échanges, les marchés ne les ont pas sanctionnés.

Outre leurs effets récessifs à court terme - d'ailleurs reconnus par le FMI, les politiques d'austérité ont-elles pu dégrader les moteurs futurs de croissance en zone euro ? Quid des Etats-Unis ?

Il est possible - cela reste en effet a confirmer - que le potentiel de croissance soit moins entamé aux États-Unis qu'en zone euro. Il s'agit de la "puissance du moteur" et de la capacité future à générer de la croissance. C'est comme si vous enleviez un cylindre au moteur. Par exemple, le développement du chômage de longue durée affecte ce potentiel de croissance dans la durée. L'Espagne se trouve dans une telle situation. Les Etats-Unis aussi, et dans des proportions qu'ils n'avaient jamais connu auparavant, mais à un niveau plus faible qu'en Europe.

De plus, les Américains peuvent aussi se reporter sur d'autres moteurs de croissance dont l'Europe ne dispose pas. Cela lui permettra de creuser encore l'écart en terme de croissance à l'avenir. C'est le cas du prix de l'énergie qui a fortement baissé grâce à l'exploitation du gaz de schiste ou encore grâce à leur système bancaire qui a été bien plus recapitalisé et restructuré qu'en Europe, notamment en Espagne où le problème a été repoussé.

Bien qu'inférieure à son rythme habituel, la croissance américaine est supérieure à celle des autres grandes économies occidentales. Mais est-elle solide ou s'agit-il d'une reprise fragile ?

La croissance américaine devient de plus en plus solide même si, tôt ou tard, les Américains devront s'attaquer à leur problème de déficits récurrents car leur dette gonfle. Elle se situe légèrement au dessus de 100% du PIB, ce qui leur permet de ne pas être sanctionné pour le moment. Mais si elle continue de s’accroître, viendra le moment où celle-ci ne sera plus soutenable.

Autre signe positif dans ce retour à la croissance : le secteur privé s'est quant à lui assez désendetté. Chez les ménages, il y a eu pas moins de 30 points de PIB de désendettement. En "dépit" de ce moindre appétit pour la dette, la croissance est de 2%. Elle est donc relativement solide même si elle reste plus faible qu'au début des années 2000 : c'est une croissance qui est compatible avec un désendettement dans le secteur privé. Il ne s'agit pas d'une croissance artificielle générée par une explosion de la dette des ménages.

Elle est d'autant plus consistante que les Etats-Unis délivrent une performance honorable avec une mauvaise gouvernance institutionnelle : le Congrès est en conflit permanent sur les lois de finance entre les deux chambres, avec des désaccords permanents sur le plafond de la dette, des coupes automatiques entrées en vigueur faute d'accord politique...

L'Europe a t-elle été trop loin dans la voie de l'austérité ? Fallait-il davantage étaler les efforts dans le temps ?

L'Europe aurait dû étaler les efforts de redressement budgétaire dans le temps, c'est exactement ce qu'elle est en train de faire en ce moment. Les rythmes de réduction des déficits deviennent plus raisonnables et pèseront ainsi moins sur la croissance. Mais la façon dont l'Europe s'est engagée sur cette voie avec la plus grande fermeté explique en grande partie cet écart entre les Etats-Unis et la zone.

Mais pour que les créanciers des pays d'Europe du Sud acceptent de rentrer dans des mécanismes de solidarité (Mécanisme européen de stabilité, Fonds européen de stabilité...) il fallait donner des garanties. Rétrospectivement, nous remarquons cependant que la position de certains pays créanciers comme l'Allemagne a été trop ferme. Il aurait aussi fallu progresser plus rapidement sur la possibilité de mutualiser les dettes souveraines avec des eurobonds. Cela fait trois ans et demi que la crise en zone euro a commencé et nous n'avons toujours pas assez avancé sur ce point. Le bilan est loin d'être nul, mais pour s'en sortir, l'Europe doit renforcer sa construction... politique.

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