La présidence de Jimmy Carter est restée dans les mémoires comme ratée. Voilà ce qu’il a réussi après avoir quitté la Maison Blanche <!-- --> | Atlantico.fr
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L'ancien président américain Jimmy Carter répond aux questions lors d'une conférence de presse à Caracas, en mai 2004.
L'ancien président américain Jimmy Carter répond aux questions lors d'une conférence de presse à Caracas, en mai 2004.
©JUAN BARRETO / AFP

The Carter Center

Malgré les critiques vis-à-vis de son mandat en tant que président des Etats-Unis, l'engagement de Jimmy Carter depuis de nombreuses années, à travers sa fondation, est salué unanimement.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : La présidence de Jimmy Carter est restée dans les mémoires comme ratée. Pourquoi avons-nous cette vision si négative de la présidence Carter ?

Jean-Eric Branaa : La difficulté du pouvoir est souvent bien loin de la volonté des hommes qui y accèdent. Jimmy Carter a été élu en 1976, trois ans après le premier choc pétrolier, qui avait déjà entrainé une crise mondiale des prix du pétrole, lorsque l'OPEP a décidé d'augmenter le prix du baril après la guerre du Kippour. Le pire était cependant encore à venir puisqu’un deuxième choc pétrolier a eu lieu en 1979, lié cette fois-ci à la révolution iranienne qui a alors entrainé le mandat carter dans les limbes.

Le 39e président a donc pris ses fonctions pendant une période de « stagflation », un mot-valise décrivant la situation d'une économie qui souffre à la fois d'une croissance économique très faible et d'une forte inflation. Ses efforts ont été entièrement portés sur la maîtrise de cette inflation en tentant de réduire les déficits budgétaires.

Son élection avait été pourtant relativement facile, portée par l’annonce ferme de rétablir la droiture de la fonction, après les difficiles années du Watergate. Son message essentiellement moral et profondément marqué par la religion avait séduit près de 55% des électeurs. Deux mois après sa prise de fonction, sa cote de popularité bondissait à 65% de satisfaits alors qu’il répétait la nouvelle règle de conduite aux affaires fondée sur la compassion, l’honnêteté la charité et l’amour de la famille. Austérité et hausse des prix ne pouvaient qu’être impopulaire, entrainant une chute vertigineuse de sa cote, avec à peine 28% seulement d’Américains qui le soutenaient encore.

On ne peut pas se tourner du côté de ses réformes pour redorer son blason car si Carter a aspiré à améliorer les systèmes de protection sociale, de soins de santé et d'imposition du pays, il a également échoué sur ces plans-là, notamment en raison des mauvaises relations qu’il entretenait avec les démocrates du Congrès.

Pas mieux en politique étrangère, l’histoire ayant retenu en premier lieu la crise avec l’Union Soviétique –suite à l’invasion de l'Afghanistan en 1979– et la pression diplomatique qui a suivie, jusqu’au retrait des Jeux olympiques de Moscou.

Mais c’est surtout la crise des otages en Iran qui, d’un avis général, lui coûtera sa réélection.

Carter a donc échoué sur deux des piliers de la société américaine : sa puissance économique et sa grandeur dans le monde. Le regard sur sa présidence n’en n’a été que plus sévère. 

Rétrospectivement, était-ce vraiment le cas ? Quels ont été ses succès (et ses échecs) durant son temps au pouvoir ?

Le jugement sur la présidence Carter a beaucoup changé avec le temps. Avec un regard de 2023, on se dit que ce président était un peu trop en avance sur son temps. Il était jeune (52 ans), et voulait porter les aspirations d’une génération qui avaient fait sa révolution 20 ans plus tôt. En deux mots, il a essayé de faire ce qui était « juste » ou, comme il l’a écrit lui-même dans son autobiographie (Le meilleur de nous-même, Stock, 1975), de faire en sorte que le gouvernement de Washington représente vraiment le peuple américain, tel qu’il est et tel qu’il se voudrait. Vaste ambition.

Toutefois, il est vrai que Jimmy Carter a diversifié le paysage américain au sommet du pouvoir : il a nommé plus de femmes et d'Afro-Américains qu’aucun autre président avant lui, s’appuyant sur la forte demande vers plus d’égalité. « La liste est longue des choses qui sembleraient remarquables en 2022 et le fait qu'elles aient été faites à la fin des années 70 et qu'elles aient été la pièce maîtresse d'une présidence », explique son petit-fils, Jason carter, dans une interview donnée à Substack. Peut-être pense-t-il plus particulièrement à la préoccupation écologique de son grand-père. C’est ce qui a impressionné Jonathan Alter, qui a consacré un livre au 39e président et raconte dès les premières pages que des panneaux solaires avaient été installés sur le toit de la Maison Blanche (His very best : Jimmy Carter, a life, Simon & Schuster, 2020). On retient aussi de lui la préservation des terres américaines, dans la tradition de Théodore Roosevelt : Il a doublé la taille des parcs nationaux. En digne héritier de la pensée des années soixante, c’était un avant-gardiste sur ces questions et il a aussi fait du changement climatique un sujet important. Tout cela, une fois encore, était hérité de la pensée des années soixante. La légalisation de la marijuana aussi. Qui fait également partie de ses réalisations. Là encore, très avance sur son temps puisque le débat se poursuit en 2023.

Dans le New York Times, Kai Bird retient surtout le travail de Carter en faveur des classes moyenne. Carter ne se sentait pas supérieur aux autres. « Je suis cultivateur, ingénieur, père aussi bien que mari, je suis chrétien, (…) je fais du canoë et, autre autres choses j’aime les chansons de Bob Dylan et la poésie de Dylan Thomas, » expliquait-il lui-même. Sa politique a reposé sur l’idée d’élargir le champ des possibles pour tout un chacun. Entre autres exemples, la dérégulation des compagnies aérienne a ainsi permis de ne plus réserver les voyages à une élite. C’est un héritage qui nous a profité à tous, puisque passer d’un continent à un autre est devenu très abordable.

L’autre volet puissant de cette présidence a été un engagement sans faille en faveur des droits de l'homme, la charpente solide de sa politique étrangère.

Bien entendu, ce que tout le monde a retenu en positif, ce sont les accords de Camp David entre l'Égypte et Israël. Personne ne pensait que c’était possible et, une semaine encore avant cette signature historique, la rumeur en parlait mais les journalistes n’y croyaient pas, comme me l’a raconté Olivier Mazerolle, qui a pourtant toujours été un très fin connaisseur des relations internationales. La surprise fut totale pour tous et Jimmy carter est le seul à créditer pour cette avancée vers la paix. Ce traité de paix restera la pierre angulaire d’un espoir plus large de pacification du Moyen-Orient et le prix Novel décerné à Jimmy Carter est amplement mérité.

Le Centre Carter, fondé par Jimmy Carter, s'efforce d'éradiquer les maladies négligées comme le ver de Guinée et a eu des résultats très impressionnants en la matière. Comment a-t-il réussi ? Est-ce représentatif de l’action qu’il a menée après avoir quitté le pouvoir ? 

La Fondation Carter est une organisation remarquable et certainement la plus belle œuvre de l’ancien président. 

De tous temps, l’Homme a cherché à se protéger des maladies. Certaines ont décimé des populations entières et la simple évocation de leur nom fait trembler : peste, variole, tuberculose, rage, diphtérie, coqueluche, typhus, lèpre ou covid-19. Lors de son discours d'acceptation du Prix Nobel de la Paix en 2002, Carter a commenté ce qu'il considère comme le plus grand défi auquel le monde est confronté : « Parmi tous les choix possibles, j'ai décidé que le problème le plus grave et le plus universel est le gouffre croissant entre les personnes les plus riches et les plus pauvres de la planète. (…) Les résultats de cette disparité sont les causes profondes de la plupart des problèmes non résolus dans le monde, notamment la famine, l'analphabétisme, la dégradation de l'environnement, les conflits violents et les maladies inutiles qui vont du ver de Guinée au sida. » Le ver de Guinée est un parasite qui se transmet lorsqu’une personne boit de l’eau stagnante contaminée par des puces d’eau. C’était une maladie endémique dans plus de vingt pays du temps de la présidence Carter, avec 3,5 millions de cas. En 2022, il n’y a plus eu que 20 cas de recensés dans le monde et cela a été possible grâce à la Fondation Carter qui a fourni des larvicide, une assistance technique pour moderniser les infrastructures et la distribution de l’eau Cette maladie est deuxième maladie de l'histoire de l'humanité jamais éradiquée, avec la variole. La Fondation Carter veut maintenant éradiquer d’autres maladies, dont la poliomyélite, les oreillons, la rubéole, la filariose lymphatique et la cysticercose. 

Cependant, ce n’est pas la seule mission de la Fondation créée par Jimmy Carter. L'objectif premier est de faire progresser les droits de l'homme et d'atténuer les souffrances humaines. Les missions sont nombreuses et très diversifiées. Elles s’étendent de l’aide directe aux pays en voie de développement, à l’observation des élections afin qu’elles soient démocratiques, à la médiation dans les nombreux conflits à travers le monde, et toute autre action nécessaire pour maintenir la paix. 

Ce qui frappe chez Jimmy Carter, c’est son humanité. Il explique cela lui-même avec des mots très simples : il a été un homme politique de premier plan pendant 8 ans (gouverneur et Président). Tout le reste du temps, soit 90 ans, il a été un homme comme les autres.

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