La nation, réponse existentielle à la crise occidentale ? Pour la revue américaine de référence en matière de relation internationales, la réponse est oui<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
La nation, réponse existentielle à la crise occidentale ? Pour la revue américaine de référence en matière de relation internationales, la réponse est oui
©LUDOVIC MARIN / AFP

Retour en grâce

Le magazine Foreign Affairs a consacré un numéro au nationalisme. Il y est décrit comme une forme presque indépassable de la politique, le lit de la démocratie et de l'égalité.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »

Atlantico : Dans son édition des mois de mars et avril 2019, le magazine américain Foreign Affairs consacre son numéro au nationalisme. En prenant des précautions concernant les crimes du nationalisme, une série d'articles soutient la nécessité d'une réappropriation politique du nationalisme, dans une forme nouvelle. Parmi ceux-ci, un long article Andreas Wimmer, de l'Université de Columbia, cherche à démontrer pourquoi le nationalisme "fonctionne", notamment en évoquant ses apports dans l'histoire. Le nationalisme est-il simplement sous-estimé aujourdhui, notamment en raison d'une condamnation a priori ? 

Edouard Husson : C’est aussi important que la contribution de Francis Fukuyama, en 1989, sur «la fin de l’histoire ». Cela veut dire qu’un tournant intellectuel est en train d’avoir lieu aux Etats-Unis, qui accompagne le moment Donald Trump. Il y a quelques années, Anatoli Lieven publiait Le nouveau nationalisme américain, qui analysait le retour d’un conservatisme intégrateur, assimilateur même, dans la société américaine; mais c’était encore considéré comme une aberration par beaucoup de commentateurs; ensuite nous avons eu l’étonnante campagne de Donald Trump, qualifiée de populiste, mais qui en fait a réussi, progressivement, à réconcilier le parti républicain avec une partie des classes populaires. A partir du moment où Foreign Affairs, journal de l’establishment, s’empare du sujet du nationalisme, cela veut dire que le retour à la primauté de la souveraineté nationale devient mainstream. Entendons-nous bien: les Américains n’ont jamais abandonné la croyance à la légitimité de la souveraineté de l’Etat américain; mais la phase à la fois impériale et néo-libérale dont nous sortons les amenait à nier la souveraineté des autres et à faire l’éloge d’un monde aux frontières abolies, un monde impérial. 
A partir du moment où les Américains reconnaissent à nouveau la légitimité des nations en général, on entre avec cinquante ans de retard dans le monde imaginé par le Général de Gaulle, celui de la coexistence pacifique de nations souveraines grâce à l’émergence d’une véritable « classe moyenne » des nations souveraines. 
Les articles du dossier de Foreign Affairs ne taisent rien de la face sombre du nationalisme mais ils en montrent aussi la face positive. On pourra discuter de l’utilité du  terme nationalisme et lui préférer sentiment national; mais il faut noter que le dossier fait voler en éclat la distinction, qui est un peu le pont-aux-ânes de la formation à Sciences Po, la distinction entre patriotisme et nationalisme. Pourquoi est-ce important? Parce que François Mitterrand avait pu dire « La France est ma patrie, l’Europe est mon avenir »; en revanche, la formule n’aurait aucun sens si l’on remplaçait patrie par nation. La nation est forcément un acteur politique ! 

De l'Etat providence aux guerres de libération, quels ont été ses apports dans l'histoire ? En quoi, comme le soutient Andreas Wimmer, la nationalisme est-il en symbiose avec le principe d'égalité ? 

Il manque sans doute à Wimmer la place pour s’engager dans une réflexion théorique poussée. L’élément fondamental, qui est bien mis en valeur dans l’article, c’est le lien entre nation, égalité, émancipation individuelle. L’émancipation des individus ne s’est jamais réalisée que dans des nations. Comme le rappelle bien Wimmer, il y a une multiplication du nombre de nations à travers les deux derniers siècles. L’Assemblée des Nations Unies porte bien son nom, en tout cas en ce qui concerne les nations. La nation obéit à un double mouvement: égalisation des conditions à l’intérieur et différenciation vis-à-vis de ceux qui vivent à l’extérieur des frontières. La différenciation est ce qui permet la définition de l’humain. Les libéraux refusent la différenciation entre un en-deçà et un au-delà des frontières; ils récoltent, du coup, une grande différenciation à l’intérieur des frontières, en termes d’inégalités sociales. A l’inverse, le monde qui cveut sortir du libéralisme retrouve le sens de la frontière. Ce n’est pas un hasard que le mouvement de balancier ait commencé en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, deux pays où les inégalités avaient été poussées très loin. Le retour à l’égalité va passer, dans les deux pays, par une redécouverte de la nation, creuset de l’égalité. Le refus de New Yorkais de voir Amazon installer un bout de son siège social à New York est intéressant parce qu’il a été motivé par un souci d’égalité, un refus d’une gentrification un peu plus poussée encore de la métropole. Les élus se sont mobilisés en même temps que la population: démocratie et égalité; le résultat a un énorme impact au niveau national, c’est un signe de plus du retour au creuset national: les nations modernes sont des assemblées de cités, au sens politique du terme. L’égalité entre les cités qui composent la nation est essentielle pour que celle-ci puisse exister. Il est instructif de constater qu’Andrew Cuomo, gouverneur de l’Etat de New York, archétype du «liberal » (il vient de signer un texte autorisant l’avortement jusqu’à la fin de la grossesse), reproche aux New Yorkais de ne pas avoir saisi l’occasion de 25 000 emplois supplémentaires quand ces derniers répondent qu’ils n’ont que faire d’un peu plus d’emplois pour les « classes créatives » (suivant le concept de Richard Florida)si cela doit briser un peu plus le pacte social. 

En quoi le nationalisme peut-il être une réponse à la crise occidentale ?

Pour ne pas créer de malentendu, on parlera de creuset national. Le phénomène le plus impressionnant se déroule en Europe, où l’on voit le nationalisme, pour l’utiliser au sens de Foreign Affairs s’emparer d’une société après l’autre. On a toutes les nuances, des nations démocratiques qui ont vaincu le communisme, en Europe centrale, voici trente ans, et qui ne supportent plus l’individualisme absolu de l’Europe occidentale, à la redécouverte de l’efficacité du creuset national dans une partie de cette Europe occidentale. La question qui se pose, bien entendu, c’est de savoir ce qui se passe à partir du moment où tous les pays européens sont gouvernés par des partis nationalistes. Une première façon de répondre, c’est de souligner le lien entre nationalisme et redécouverte de la démocratie. Or, si l’on se rappelle Kant ou Tocqueville, on peut partir de l’idée que les démocraties ne se faisant pas la guerre, il n’y a pas de raison que la discorde s’installe entre des démocraties rénovées en Europe. 

Quels sont les risques - du nationalisme ethnique à l'impérialisme - à éviter pour permettre la naissance de ce "nouveau nationalisme" ? 

Il faut en fait se débarrasser de fausses catégories politiques. L’article d’Andreas Wimmer est plaisant parce qu’il montre qu’il y a des catégories différentes de nationalismes. Les régimes communistes ont été, sont encore, des nationalismes, fondés sur l’idée d’autarcie économique; mais aussi de capacité à sécréter l’égalité - dans l’appauvrissement. Les fascismes aussi sont des nationalismes instables. Le fascisme débouche sur une aventure impériale; quant au nazisme, il essaie de dépasser la nation par le racisme. Malgré tout, David Schoenbaum, auteur de La révolution allemande a bien souligné le lien entre l’affirmation de l’inégalité des races et celle de l’égalité entre les Allemands dans les discours hitlériens et dans la pratique révolutionnaire et guerrière du nazisme. Guerre civile et guerre internationale accompagnent la naissance des nations modernes. Il faut accepter une réalité terrible: la nation ne naît pas comme un contrat social; elle se forge en partie contre un ennemi, extérieur ou intérieur. C’est la phase par laquelle sont passées les nations occidentales, voici plusieurs décennies. Aujourd’hui, nous en sommes plutôt à la phase ultérieure, celle de l’apaisement démocratique. A moins de vouloir poursuivre dans la voie des déséquilibres économiques et sociaux, il s’agit de laisser émerger des démocraties nationales rénovées, inverstir massivement dans les politiques éducatives, les équipements et infrastructures, de nouvelles formes de protection sociale etc....

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !