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La nanotechnologie sera-t-elle la botte secrète qui permet de vaincre la faim sur une planète en pleine explosion démographique ?
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Solutions de demain

L’agriculteur de demain sera celui qui comprendra mieux ce qu’il a sous les pieds, qui saura stimuler des fonctions naturelles comme la fixation d’azote, de phosphore ou de carbone, ou la lutte contre les moisissures et qui gérera de façon dynamique et efficace les équilibres entre les plantes qu’il désire produire et les autres plantes et insectes. De ce point de vue il n’est pas exclu que des solutions nanotechnologiques permettent d’accélérer cette stimulation.

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Atlantico : Pourquoi la nanotechnologie est-elle considérée par certains comme une solution de taille pour répondre aux besoins agricoles de demain ? 

Bruno Parmentier : Nous sommes à un tournant de l’agriculture mondiale. Il faut encore augmenter la production agricole mondiale de près de 70 % dans les 40 prochaines années, moitié pour faire face à l’augmentation de la population et moitié pour accompagner l’augmentation du niveau de vie des classes populaires des pays émergents, qui, dans toutes les cultures, les amènent inéluctablement à consommer davantage de produits animaux, viandes, œufs et laitages. Le problème est particulièrement crucial en Afrique et en Asie. Or, les solutions de la "révolution verte" marquent le pas : les terres s’appauvrissent, s’érodent et se polluent, et le réchauffement de la planète rend l’activité agricole beaucoup plus aléatoire. Nous avons donc absolument besoin d’expérimenter et de mettre en œuvre de nouvelles solutions.

En Amérique, on fait une grande confiance aux solutions génétiques, et en particulier aux OGM, qui ne sont qu’au tout début de leur développement, avec des semences rendues insecticides ou tolérantes à un herbicide total, somme toutes assez simplistes, mais qui recouvrent néanmoins près d’un champ sur neuf sur la planète, et fournissent en particulier 83 % du soja, 75 % du coton et 29 % du maïs produits dans le monde ! Ces solutions rencontrent, pour le moment au moins, des oppositions farouches en Europe.

Mais les espoirs de la science agricole ne se limitent pas aux OGM, ou à la chimie, loin s’en faut ! Observons que deux des systèmes les plus productifs au monde, la forêt tropicale et la prairie permanente, fonctionnent entièrement de façon autonome, sans labour, ni engrais, ni pesticides, ni OGM, ni irrigation, etc. ! On prend peu à peu conscience de notre immense ignorance en matière de vie du sol. Songeons qu’on estime que sous un M2 de sol on peut trouver environ 260 millions d’êtres vivants et qu’un seul gramme de terre d’une forêt abrite 4 000 espèces de bactéries et 2 000 espèces de champignons ! Tout est donc là, sous nos pieds, prêt à fonctionner, alors que nous venons de passer des décennies à regarder ailleurs et à tuer systématiquement une bonne partie de cette vie du sol avec des labours incessants et des produits chimiques nocifs.

L’agriculteur de demain sera celui qui comprendra mieux ce qu’il a sous les pieds, qui saura stimuler des fonctions naturelles comme la fixation d’azote, de phosphore ou de carbone, ou la lutte contre les moisissures et qui gérera de façon dynamique et efficace les équilibres entre les plantes qu’il désire produire et les autres plantes et insectes.

De ce point de vue il n’est pas exclu que des solutions nanotechnologiques permettent d’accélérer cette stimulation. Rappelons qu’on parle là de produits qui n’ont pas la taille du millimètre, ni même du millième de millimètre (le micron), mais du millionième de millimètre, soit de l’ordre de grandeur de la molécule. Et qu’à cette taille, les propriétés observées, parfois extrêmement spectaculaires, n’ont plus rien à voir avec celles des organismes que l’on connaît actuellement. Il est effectivement probable que nous sommes à la veille de découvertes ébouriffantes, dans tous les domaines de l’activité humaine, et en particulier dans celui de la stimulation de la vie naturelle du sol et les plantes.

Est-ce qu'introduire des microparticules de technologie à même le sol, voire à même la plante présente des risques sanitaires ? 

Ces technologies présentent bien évidemment des risques importants, à la mesure des bénéfices que l’on attend. Comme avec les OGM, on joue là un peu les apprentis sorciers. Notons cependant que, pour le moment, bien que les OGM soient consommés quotidiennement par des centaines de millions de personnes et probablement par des milliards de personnes de façon indirecte (sous forme de viande et d’œufs, ou d’habits), elles ne semblent avoir tué personne. Pourvu que ça dure ! En la matière, on semble dorénavant s’orienter heureusement vers des expériences moins échevelées, de mélanges de gènes intra espèces et non inter espèces. Même si ce n’est pas sans conséquence, c’est quand même beaucoup moins choquant de transférer un gène d’une pomme de terre dans une autre pomme de terre, accélérant ainsi ce que la Nature aurait pu faire toute seule, que, par exemple, de tenter de mettre un gène de poisson dans des fraises pour les rendre plus résistantes au froid, ce que la Nature ne ferait jamais.

Dans le cas des nanotechnologies, on est en présence d’une technique qui semble plus discrète, puisqu’il ne s’agit pas de modifier la plante elle-même, mais simplement de "l’aider à faire mieux son travail de plante"… Mais il est bien évident que répandre des produits aussi puissants et aussi difficiles à détecter dans la nature présente un caractère irréversible. Et que, vu les gigantesques intérêts économiques en jeu, on peut malheureusement faire une confiance absolue dans les grandes entreprises pour ne pas prendre tout le temps et toutes les précautions avant… Ce domaine, comme d’autres, est beaucoup trop important, beaucoup trop vital, pour que les citoyens le laisse aux jeux de la libre concurrence. Ils ont plus qu’intérêt, eux et/ou leurs représentants, à s’en mêler de près ! En la matière évidemment, si on ne suit que le principe de précaution, on ne ferait rien du tout, mais il faudra trouver un équilibre socialement acceptable, ce qui promet d’être difficile.

La nanotechnologie requiert un travail à l'échelle de l'atome. Les coûts de la recherche, et de son application sont, non sans surprise, très élevés : le budget fédéral américain prévoit ainsi de verser 1,4 milliard de dollars au groupe de l'Initiative de la Nanotechnologie Nationale. Peut-on donc envisager une application généralisée de la nanotechnologie à l'agriculture d'ici 2050 ? Ou bien cette science demeurera-t-elle réservée à une infime partie des pays développés ?

Bien évidemment, comme pour les OGM, on ne parle là que de technologies pour la grande agriculture fortement capitalisée et parfaitement intégrée au marché mondial. Quoiqu’en disent ses promoteurs, ces technologies ne concernent absolument pas la réduction de la faim dans le monde. Rappelons que la faim touche encore 800 millions de personnes, dont 80 % sont des paysans pauvres et isolés du tiers-monde, plus un milliard de mal nourris, qui, eux aussi, restent largement à l’écart des circuits commerciaux mondialisés. Si ces technologies apportent quelque chose, ce sera pour amener davantage de nourriture dans les grandes métropoles du monde (là-même ou le défi de l’obésité supplante celui de la faim !). Et du côté de la production, ces nouvelles technologies accélèreront encore la concentration des producteurs, en faveur de ceux qui ont davantage accès que d’autres à l’information et la formation, à la science, aux technologies, au crédit, aux circuits de commercialisation, aux moyens de transport, etc. Le paysan pauvre du Burkina Faso ou de la Bolivie ne verra jamais de nanotechnologie bien sûr.

Aujourd'hui, existe-t-il une alternative viable pour anticiper les besoins d'une population croissante (9 milliards d'habitants d'ici 30 ans) et d'une crise environnementale qui ne va pas en s'arrangeant ?

Cette idée de stimuler la vie du sol ne se réduit évidemment pas à la recherche de solutions technologiques hyper sophistiquées. Au commencement, on a d’abord l’agronomie, et toutes les techniques agro écologique ou d’agriculture écologiquement intensive. Et là, ces techniques sont accessibles au plus grand nombre, puisqu’elles consistent avant tout à revisiter des pratiques séculaires pour cette fois-ci mieux les comprendre et les utiliser une façon plus rationnelle et plus efficace. Et les agriculteurs bios ont déjà accumulé beaucoup de savoir !

Diminuer, voire supprimer le labour, qui finalement est dramatique pour la vie des sols, et donc cultiver nos terres 365 jours par an et utiliser le soleil tous les jours de l’année. Abandonner la monoculture mono espèce au profit de mélange de plantes complémentaires qui s’aident mutuellement  à pousser. Remettre des arbres partout, pour faire remonter de plus profond les éléments nutritifs en revenant à une "agroforesterie". Utiliser de façon beaucoup plus intensive les animaux auxiliaires de culture (hirondelles, mésanges, coccinelles, abeilles, crabes, etc.). Mieux utiliser l’eau, à la fois là où elle manque et là où il y en a trop. Et inventer une nouvelle chimie bioinspirée qui stimule les fonctions naturelles au lieu de les détruire, etc., etc.

Les progrès rapides à venir de l’informatique et en particulier des capteurs d’information couplés à des machines intelligentes permettront de beaucoup mieux comprendre ce qui se passe dans les sols et dans les élevages, et de mettre en œuvre cette agriculture ultra précise et ultra efficace.

De plus, il faut revisiter nos priorités en matière de sélection génétique. Tout a été fait depuis quelques dizaines d’années pour trouver des plantes et des animaux extrêmement productifs ; mais le prix à payer est qu’en général ils sont aussi extrêmement fragiles. Nous avons donc (dans nos pays) une agriculture très performante mais fort peu "résiliente", au moment même où les effets délétères du réchauffement climatique commencent à se faire sentir : par exemple des plantes aussi acclimatées à notre pays que le platane du sud-ouest, le palmier et l’olivier du sud-est, ou le buis des châteaux de la Loire commencent à subir des attaques frontales. Sans compter les successions d’années à printemps humide et à canicule précoce, qui font chuter fortement les rendements des céréales. Il faut donc réviser nos priorités vers des variétés plus résistantes, et pas seulement productives en conditions idéales.

Le véritable progrès est là, dans l’agroécologie intensive. Il est plus qu’urgent de s’y mettre résolument. Si quelques nanotechnologies de pointe peuvent y contribuer, sans nous faire prendre de risques inconsidérés, tant mieux, mais ce sera la "cerise sur le gâteau", pas le plat de résistance.

Propos recueillis par Victoire Barbin Perron

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