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La mafia calabraise, ce si discret "cancer" qui ronge la France
©Reuters

Bonnes feuilles

Toute la région PACA est aujourd’hui infiltrée par la mafia italienne. À Toulon, Nice, Cannes, Marseille, le Midi n’est plus seulement une terre de blanchiment, mais un territoire où les clans développent leurs activités traditionnelles en « joint-venture » avec les truands français, tout en restant eux-mêmes dans l’ombre. Extrait de "Riviera Nostra : L'emprise des mafias italiennes sur la Côte d'Azur" de Jean-Michel Verne, aux Editions Nouveau Monde (2/2)

Jean-Michel Verne

Jean-Michel Verne

Jean-Michel Verne collabore à Paris-Match, La Tribune de Genève et a récemment publié Main basse sur Marseille… et la Corse (Nouveau Monde éditions).

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Pour Chiara Carenini, les mafieux calabrais sont une véritable plaie pour la France, une menace qui ne doit pas être sous-estimée par les autorités. C’est un peu le sens du message qu’elle adresse à « ce grand pays de liberté ». Un pays à la liberté menacée par la mafia, particulièrement la ’Ndrangheta. Son discours est offensif. Il résume bien les enjeux de la lutte contre l’infiltration mafieuse sur notre territoire. Chiara Carenini a des mots qui claquent, des phrases qui font mouche, car elle considère que son rôle de journaliste est celui d’une lanceuse d’alerte sur les dangers d’une croissance exponentielle de la mafia. Dans ses entretiens avec la correspondante du Nouvel Observateur, Marcelle Padovani, Giovanni Falcone avait lui-même bien avant son assassinat alerté l’opinion européenne sur les dangers que représentait pour l’Italie et pour l’Europe l’expansion mafieuse, sa volonté de s’insérer dans l’économie saine.

Le magistrat parlait alors du « troisième niveau de la mafia », une notion toute théorique pour les autorités françaises. Chiara Carenini ne dit pas autre chose: « La ’Ndrangheta est un cancer dont on doit se libérer, c’est un réel problème. Sous-évaluer le phénomène mafieux est une erreur que l’Italie a faite par le passé. Pour la France ce serait une erreur gravissime, car l’économie souterraine qu’est capable de gérer la ’Ndrangheta est susceptible de pervertir le marché. Elle peut provoquer de graves dommages à la société civile. La France est un grand pays, elle a une grande histoire de liberté. Mais si elle ne se libère pas rapidement de ce cancer elle peut avoir de gros problèmes comme nous en avons rencontré nous-mêmes.»

Mobilisez-vous contre la mafia, tel est le message de cette journaliste courageuse. En France, ce type de mise en garde semble se heurter au mur de l’indifférence.

Schengen oblige, il n’existe plus de frontière véritablement contrôlée entre la France et l’Italie. Les organisations criminelles ont compris le profit qu’elles pouvaient tirer de cette zone de libre-échange. La France toute proche est plus perméable à ces influences malsaines. De Vintimille à Menton, il n’y a que quelques mètres de bitume. Aujourd’hui ils ne sont surveillés que pour bloquer le flux des migrants qui se massent aux portes du pays. Les mafieux, eux, passent allègrement de l’autre côté pour régler leurs affaires. Le secteur de Menton-Vintimille est le point de passage obligé, largement investi par les Calabrais de part et d’autre de la frontière.

Le seul obstacle physique est le CCPD (centre de coopération policière) géographiquement situé à cheval entre les deux États. Ce bâtiment planté en bord de mer avec une vue imprenable abrite dans un même local carabinieri, membres de la Guardia Di Finanzia, gendarmes, douaniers ou policiers français qui s’échangent en temps réel un certain nombre d’informations. Le soir, c’est l’heure de l’apéritif, de la convivialité. On parle beaucoup, des dossiers, des contenus de fichiers, des suspects en cavale des deux côtés de la frontière.

Le discours de Chiara Carenini est sans équivoque sur l’expansion de la ’Ndrangheta. Il recoupe dans les grandes lignes les explications de l’informateur rapportées au chapitre 1.

Il existe des locale qui sont des émanations des ’ndrine calabraises formées dans ces zones. Mais aussi à Gênes, dans le bas-Piémont, dans le Levante, à Marseille, à Nice, à Cannes. Des contacts permanents existent entre les locale qui se trouvent à Vintimille et celles de Côte d’Azur. Surtout celle de Cannes. Une chambre de compensation est installée entre Vintimille et la Côte d’Azur qui règle les affaires. La chambre de compensation est l’équivalent de la Coupole pour Cosa Nostra. C’est un lieu où l’on peut organiser les activités criminelles. On y décide des priorités: si les fugitifs [latitanti] doivent être aidés dans leur cavale, s’ils doivent être déplacés dans tel ou tel lieu, des trafics d’argent, de drogue, d’êtres humains.

Pour Chiara Carenini, des familles très puissantes ont en main sur le sol français la gestion d’activités criminelles diverses. Elle évoque le trafic de drogue, le racket, le contrôle de marchés publics et, le fait est peu médiatisé, le trafic de migrants. La journaliste évoque ainsi des réseaux de passeurs qui se chargent moyennant finances de faire transiter des colonnes de réfugiés par les sentiers alpins pour contourner les contrôles de la zone de Menton.

Notre spécialiste opère une distinction entre ces réseaux et l’organisation de la ’Ndrangheta en Calabre. Qu’il s’agisse de la Ligurie, de la Côte d’Azur ou de Marseille, il n’est pas question de se livrer ouvertement à des règlements de comptes contre les clans rivaux: «En France et en Ligurie les locale s’occupent exclusivement des affaires. Et pour y parvenir les ’ndranghetistes ont établi une sorte d’équilibre. Pas une paix mafieuse au sens strict, mais un équilibre.» Les comptes, s’ils doivent se régler, se régleront en Calabre. Tout ce qui touche aux opérations extérieures fait en quelque sorte l’objet d’une paix négociée pour le plus grand bien des affaires. 

Extrait de "Riviera Nostra : L'emprise des mafias italiennes sur la Côte d'Azur" de Jean-Michel Verne, aux Editions Nouveau Monde

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