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La guerre pour l’eau, enjeu du monde de demain
La guerre pour l’eau, enjeu du monde de demain
©ARIF ALI / AFP

Bonnes feuilles

Franck Galland publie « Guerre et eau » aux éditions Robert Laffont. Aujourd'hui, sur fond de bouleversement climatique, de pression démographique et d'explosion de la demande, certaines régions du monde sont confrontées à une rareté grandissante des ressources disponibles. Cela pose des questions essentielles en matière de sécurité hydrique, alimentaire, énergétique et environnementale. L'eau est devenue un enjeu de sécurité collective. Extrait 1/2.

Franck Galland

Franck Galland

Franck Galland est l'un des meilleurs spécialistes français des questions liées à la géopolitique de l'eau. Il a publié L'eau : géopolitique, enjeux, stratégies, aux éditions du CNRS (2008). Il a créé en 2011 Environmental Emergency & Security Services, cabinet d’ingénierie-conseil dont la vocation est d’accompagner les opérateurs d'infrastructures critiques eau & énergie dans l’anticipation et la gestion de situations de crises dues à des catastrophes naturelles.

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Étendre et conforter les infrastructures hydrauliques dans leur développement, les protéger durant les conflits et contre les malveillances de toutes sortes font partie des enjeux de la décennie qui s’est ouverte en 2020.

Les installations qui concourent à l’alimentation en eau sont en effet devenues stratégiques pour répondre aux défis posés par la demande hydrique, la sécurité alimentaire, la pression démographique et les besoins énergétiques.

La crise sanitaire mondiale née du Covid-19 nous a également rappelé que le maintien de la fourniture d’une eau de qualité potable est fondamentale durant toute situation pandémique.

Comme le souligne l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un accès à une eau salubre, tout au long de l’épidémie de Covid-19, est essentiel. L’eau est en effet une alliée face au virus ; la première mesure sanitaire de prévention étant de se laver régulièrement les mains.

Pour toutes ces raisons, les infrastructures hydrauliques relèveront dorénavant de plus en plus de questions de sécurité et de ministères régaliens qui exercent leur tutelle sur ces sujets.

Déjà, dans certains pays confrontés au stress hydrique, un ministère des Ressources en eau existe et dispose de moyens et de leviers puissants. Là où l’eau est devenue une question de sécurité, comme à Singapour, le ministère est celui de l’Eau et de l’Environnement, et non l’inverse en termes de priorités.

En Australie, nation confrontée à un stress hydrique permanent, l’eau relève d’un ministère des Ressources et de l’Eau. Ailleurs, la tutelle de l’eau relève de ministères puissants liés à la sécurité comme l’Intérieur ou l’Énergie.

Il en est ainsi de l’État d’Israël ou du Maroc dont la direction des régies et services concernés est rattachée au ministère de l’Intérieur.

Un mouvement de fond donnant à l’eau son caractère sécuritaire est enclenché.

Sécurité hydrique et environnementale

Les premiers à avoir donné à l’eau cette dimension stratégique sont des chercheurs américains. Thomas Homer-Dixon est l’un d’eux. À la fin des années 1990, cet expert de l’université de Princeton avait anticipé la vocation sécuritaire de l’eau lorsqu’il écrivait que la compétition pour le contrôle des ressources naturelles déclinantes – à savoir les terres arables, l’eau ou encore la pêche – était maintenant susceptible d’alimenter des conflits armés en étant facteur d’exacerbation de tensions déjà existantes entre États et territoires sur d’autres problématiques, qu’elles soient ethniques, religieuses, ou sociales.

En 2003, Peter Schwartz, ancien responsable de la prospective de la Royal Dutch Shell et consultant régulier de la CIA, reprenait une thèse similaire en soulignant, avec Doug Randall, dans un rapport écrit pour le Pentagone, que des confrontations militaires étaient maintenant plus susceptibles d’être déclenchées par un besoin désespéré de ressources naturelles comme l’énergie, la nourriture et l’eau, que par des conflits autour de l’idéologie, de la religion ou de l’honneur national.

En 2006, un groupe de conseillers américains, tous anciens généraux ou amiraux, piloté par le secrétaire d’État adjoint à la défense, Sherri Goodman, exprimait également ses inquiétudes sur le changement climatique, et l’une de ses conséquences consistant en la rareté grandissante des ressources en eau comme facteurs multiplicateurs de conflits, avec des implications sécuritaires fortes à attendre.

Enfin, le 2 février 2012, un rapport de la communauté américaine du renseignement intitulé Global Water Security, abordait les risques que le stress hydrique fait courir en termes de sécurité et de stabilité dans un certain nombre de pays.

Hillary Clinton, alors secrétaire d’État de Barack Obama, avait commandité ce rapport à l’Office of the Director of National Intelligence (DNI), et l’avait rendu public le 22 mars 2012 à l’occasion de la Journée mondiale de l’eau qui se déroule chaque année à cette date. Dans une conférence de presse, elle y dévoilait les scénarios de crise que le manque d’eau, ou, à l’inverse, le trop d’eau causé par des inondations majeures, allaient induire pour des pays alliés des États-Unis, impliquant potentiellement une réponse américaine, qu’elle soit d’ordre humanitaire, diplomatique ou militaire.

Cette étude du DNI s’est notamment appuyée sur les chiffres de l’OCDE selon lesquels, en 2050, 40 % de la population mondiale, soit 3,9 milliards de personnes, allaient se trouver dans des régions confrontées au stress hydrique. À cette date, la demande en eau est estimée comme devant augmenter de 55 % par rapport à l’année 2000. Selon les estimations formulées, le nombre de per‑ sonnes affectées par le stress hydrique aura ainsi crû de 2,3 milliards par rapport au début du XXIe siècle.

Le 22 septembre 2015, le DNI publiait un second rapport de teneur identique, mais cette fois intitulé Global Food Security.

Disposant de la même architecture que le précédent et poursuivant les mêmes buts, il montrait cette fois les implications diplomatiques et sécuritaires pouvant être induites par l’insécurité alimentaire attendue dans certaines régions du monde, à plus ou moins brève échéance.

Deux rapports se succédant à trois ans d’intervalle sur les causes et les effets du manque d’eau et du manque de nourriture ne sont aucunement dus au hasard. Ils relèvent au contraire d’une même logique tendant à prouver que l’insécurité hydrique et l’insécurité alimentaire sont en partie liées et sont toutes deux causes d’instabilité politique et sociale, susceptible de provoquer d’importants troubles sécuritaires.

Ce caractère sécuritaire, désormais inhérent à la rareté des terres cultivables et des ressources en eau disponibles, fait que ces sujets vont de plus en plus être traités dans des instances internationales de sécurité.

Membre du Conseil de sécurité des Nations unies pendant deux ans, à compter du 1er janvier 2016, la République du Sénégal a parfaitement intégré cette nouvelle donne. Son président, Macky Sall, lui-même ingénieur de formation et ancien ministre de l’Hydraulique, a ainsi souhaité porter au Conseil une résolution sur le thème eau et sécurité.

Celle-ci avait pour ambition de mettre en perspective les enjeux sécuritaires et stratégiques liés aux ressources en eau, mais également leur vocation diplomatique et collaborative dans des pays en crise.

L’UN Security Council Meeting n° 7818 du 22 novembre 2016 allait concrétiser l’ambition sénégalaise. Sous la présidence de Mankeur Ndiaye, ministre sénégalais des Affaires étrangères, furent réunis les représentants de 69 gouvernements, incluant 15 pays membres du Conseil de sécurité.

Une des conclusions de cette journée d’échanges aura été, pour la première fois de l’histoire de cette instance, que le Conseil de sécurité devait continuer à l’avenir à se saisir de la problématique « eau, paix et stabilité », question qui devait se poser de plus en plus fréquemment.

Une année plus tard, le Conseil de sécurité tenait une seconde session sur le thème de la diplomatie préventive et des eaux transfrontières, lors de laquelle le rôle de l’hydrodiplomatie et de la coopération a été mis en avant comme facteur de prévention des conflits.

Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, affirmait à cette occasion le caractère inextricablement lié de l’eau, de la paix et de la sécurité. Cette prise de conscience du monde onusien fait écho aux déclarations des prédécesseurs de M. Gutteres. À l’aube du XXIe siècle, Kofi Annan avait notamment déclaré que si l’on n’y prenait garde, les prochaines guerres seraient occasionnées par l’eau et non par le pétrole.

Son successeur Ban Ki-moon avait quant à lui souligné que la rareté des ressources en eau dans certaines parties du monde serait catalyseur de violences, et que, trop souvent, là où il y avait pénurie d’eau, parlaient déjà les armes.

Lors de la réunion organisée au Conseil de sécurité, sous l’égide de la présidence sénégalaise, le 22 novembre 2016, Ban Ki-moon avait également dénoncé le ciblage des infrastructures en eau et en énergie dans les conflits endeuillant la Syrie ou encore Gaza, ainsi que l’occupation systématique des ouvrages hydrauliques par Daech au Levant.

Dans ce contexte, rien d’étonnant donc à ce que le monde de la défense soit de plus en plus attentif à la dégradation des ressources en eau disponibles dans un certain nombre d’États où la stabilité politicosécuritaire est déjà problématique.

Selon un rapport du Sénat américain, il existerait même un lien avéré entre le manque chronique d’eau et la montée des extrémismes politiques et religieux, comme en Iraq, en Syrie, en Libye, au Yémen, à Gaza, en Somalie et dans l’ensemble afghano-pakistanais. Lors du troisième Forum mondial de l’eau de Kyoto, Mona El Kody, qui dirigeait alors la National Water Research Unit en Égypte, ne disait pas autre chose en soulignant l’existence d’une corrélation entre le manque d’accès à l’eau, l’insalubrité des villes, les quartiers détruits par les guerres et le développement de foyers de radicalisme et de terrorisme.

Extrait du livre de Franck Galland, « Guerre et eau. L'eau, enjeu stratégique des conflits modernes », publié aux éditions Robert Laffont.

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