La grande ruée vers l’Iran des milieux d’affaires russes<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Le président russe Vladimir Poutine, le président turc Recep Tayyip Erdogan et le dirigeant iranien Hassan Rohani posent lors d'une réunion sur la Syrie à Sotchi le 22 novembre 2017.
Le président russe Vladimir Poutine, le président turc Recep Tayyip Erdogan et le dirigeant iranien Hassan Rohani posent lors d'une réunion sur la Syrie à Sotchi le 22 novembre 2017.
©Mikhail METZEL / SPUTNIK / AFP

Sanctions économiques

Depuis le début de la guerre en Ukraine, des hommes d'affaires russes demandent des conseils à l'Iran suite aux sanctions économiques.

Thierry Coville

Thierry Coville

Thierry Coville est chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran. Il est professeur à Novancia où il enseigne la macroéconomie, l’économie internationale et le risque-pays.
 
Docteur en sciences économiques, il effectue depuis près de 20 ans des recherches sur l’Iran contemporain et a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages sur ce sujet.
Voir la bio »

Atlantico : Avec les sanctions économiques depuis le début de la guerre en Ukraine, des hommes d'affaires russes impactés par les sanctions demandent des conseils à l'Iran. Quelle est l’ampleur de ce phénomène ? Qu’est-ce que vont chercher les Russes auprès des Iraniens ?

Thierry Coville : Il y a deux éléments. Il y a eu beaucoup de références dans la presse russe sur le fait que l’Iran a une expérience du contournement des sanctions américaines. Il leur vient l’idée de demander de l’aide.

L’Iran reste un allié stratégique de la Russie. L’Iran a toujours voté contre toutes les résolutions et votes aux Nations Unies qui condamnaient l’agression russe. L’Iran est un allié stratégique. Il y a donc une idée de coopération en termes de matière grise. L’Iran peut donner des conseils pour contourner les sanctions.

Il ya aussi beaucoup de signes politiques. Avec des marchés qui se ferment pour les entreprises russes, il y a un intérêt soudain pour le marché iranien. Le politique guide l’économie à nouveau. L’Iran est vu comme un allié fidèle et stratégique de la Russie.

Selon, le vice-Premier ministre russe Alexander Novak, le commerce mutuel avec l'Iran avait augmenté de plus de 10 % au premier trimestre de cette année. Le marché iranien va-t-il être une soupape à l’économie russes et à ses entreprises ?

Il faut rester très prudent par rapport aux déclarations d’annonce. Il y a  une alliance politique et stratégique. Il y a plein d’effets d’annonce sur les résultats économiques.

Le total du commerce entre la Russie et l’Iran était de plus de 2 milliards de dollars en 2021. Si l’on regarde le commerce entre l’Iran et la Chine, cela représente entre 50 et 60 milliards de dollars en 2021. La Russie est un « petit joueur » sur le marché iranien. 

À Lire Aussi

De l’Arabie saoudite à Gaza, le Moyen-Orient est-il au bord de la conflagration généralisée ?

Si l’on regarde les sanctions, depuis la sortie des Etats-Unis de l’accord en mai 2018 et qu’on les compare à 2017, on découvre que la Russie a augmenté ses exportations de biens sur le marché iranien. 

Les exportations de la Russie en 2017, avant que les sanctions américaines touchent l’Iran, étaient de 700 millions de dollars. Il y a eu une forte progression en 2021 avec 1,6 milliards de dollars. 

Dans le même temps, la France s’est retirée du marché iranien. La France était à 1,7 milliard de d’exportations en 2017. Aujourd’hui, ils sont à 200 millions de dollars. 

La Russie a profité des sanctions américaines pour grignoter et augmenter ses exportations sur le marché iranien et apparait maintenant dans les dix premiers pays qui ont une part de marché sur le marché iranien alors que la France a complètement disparu. Cela est lié à l’impact économiques des sanctions américaines. 

L’Iran est sans doute un marché intéressant sur la Russie car leurs exportations progressent depuis 2017. En termes de volume d’affaires, entre la Russie et l’Iran cela reste encore assez faible par rapport à la Chine. 

L’Iran et la Russie sont des économies pétrolières qui sont en concurrence pour les exportations de pétrole. Avec les sanctions américaines et européennes contre les exportations de pétrole en provenance de Moscou, les Russes se tournent de plus en plus vers l’Asie, proposent des rabais et sont en concurrence directe avec l’Iran qui n’exporte quasiment plus en Europe et qui exporte beaucoup vers la Chine.

Qu’est-ce pourrait gagner l’Iran en se rapprochant ainsi de la Russie ? La question du nucléaire est-elle au cœur des enjeux et des négociations ?

À Lire Aussi

Entrée dans l’inconnu stratégique : qui a le plus à perdre de Téhéran ou de Washington ?

La politique étrangère iranienne correspond à de la realpolitik. Il est acté que la Russie est un allié stratégique, et ce pour plusieurs raisons. 

Sur le dossier du nucléaire iranien, la Russie depuis le début des négociations a toujours été dans le camp iranien. Ils ne veulent pas que l’Iran ait accès à un nucléaire militaire mais ils ont toujours indiqué qu’il fallait régler cette question par la négociation. La Russie reste un allié pour les Iraniens dans les négociations en cours pour un retour de cet accord.

Il y a une alliance militaire très importante avec la Russie. 

Il y a aussi une alliance réelle en Asie centrale après le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. La paix a été restaurée avec l’intervention de la Russie.

L’antiaméricanisme a aussi rapproché les deux pays. 

La population iranienne n’a pas oublié l’impérialisme russe au XIXe siècle. Les cosaques russes ont tout de même bombardé le Parlement iranien au début du XX siècle lors de la Révolution de 1906. 

Les dirigeants iraniens considèrent malgré tout qu’ils ont besoin de cette union stratégique avec la Russie.

« L’expérience » et les conseils de l’Iran vis-à-vis des sanctions internationales et des embargos envers la Russie pourraient-ils permettre au pouvoir russe de contourner les restrictions et de limiter l’effet des sanctions européennes ?

La violence des sanctions, notamment l’embargo pétrolier qui a été appliqué à l’Iran à partir de 2018 était beaucoup plus fort que ce qui est imposé à la Russie. 

Pour l’Iran, le pétrole représente près de 60 - 70 % des exportations. L’Iran est très dépendant du pétrole. Ces exportations de pétrole sont passées de un peu plus de deux millions de barils par jours début 2018 à 150 000 barils par jour au troisième trimestre 2020 avant les élections aux Etats-Unis.

Même si la Russie a du réduire ses exportations de pétrole avec les sanctions suite à l’invasion de l’Ukraine, la situation n’est pas aussi extrême qu’en Iran sur le plan des sanctions. 

L’Iran peut parler à la Russie pour tenter de contourner les sanctions. L’Iran a notamment développé le commerce de pétrole de contrebande. Les pétroliers partaient d’Iran et ils transvasaient la marchandise dans un autre pétrolier qui avait une autre origine. Le pétrole arrivait bien en Asie.

Ils sont aussi capables de développer une économie de résistance. Ces sanctions doivent leur permettre de renforcer l’appareil productif national. Lorsque l’on voit la violence de l’activité économique en Iran depuis 2018, c’est que c’est un échec. 

L’Iran peut donc donner des techniques de contournements des sanctions. La Russie et l’Iran parlent d’une coopération pour utiliser un système de messagerie financière similaire à Swift et propre à la Russie. 

L’Iran pourrait également indiquer à la Russie qu’il faut absolument qu’elle continuer à exporter son pétrole.

L’embargo pétrolier a fait très mal à l’économie iranienne.

Le pétrole et l’énergie est-il le seul enjeu de ces discussions entre Téhéran et Moscou ?

L’Iran pourrait exporter du pétrole à la Russie et le réexporterai vers d’autres destinations en touchant un pourcentage. Ces deux pays sont concurrents dans ce domaine. L’Iran exporte beaucoup de produits agricoles en Russie.

L’Iran et la Russie peuvent gagner à développer leur commerce non-pétrolier. La Russie pourrait exporter de l’acier en Iran.

Moscou souhaite continuer à coopérer avec Téhéran pour construire des centrales nucléaires. Les Russes sont aussi très intéressés par la vente d’armes auprès de l’Iran.

Le commerce entre les deux pays pourrait être une manière de diminuer la dépendance par rapport au pétrole et au gaz. 

Thierry Coville vient de publier "L'Iran, une puissance en mouvement" aux éditions Eyrolles 

Liens vers la boutique : cliquez ICI et ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !