La France saisie par la tentation du populisme : seuls contre-pouvoirs crédibles, les chefs d’entreprise<!-- --> | Atlantico.fr
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Selon les sondages, les partis populistes ont gagné le premier tour de la présidentielle.
Selon les sondages, les partis populistes ont gagné le premier tour de la présidentielle.
©Emmanuel DUNAND / AFP

Atlantico Business

Lundi, les populistes pourront dire qu’ils ont gagné le premier tour de la présidentielle et la France, sous le choc, se demandera ce qu’ils vont faire de leurs victoires. Seuls contrepouvoirs crédibles : les chefs d’entreprise.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Si on se réfère aux derniers sondages (IFOP et Opinion way), on peut dire que les partis populistes ont gagné le premier tour de la présidentielle. La majorité des électeurs vont se prononcer pour des leaders politiques qui se situent « hors-système ». Des leaders qui contestent le système politique actuel fondé sur la démocratie représentative et qui refusent le système d’économie de marché.

Si on additionne les voix qui se portent sur Marine Le Pen, Éric Zemmour, Nicolas Dupont-Aignant, celle de Jean Luc Mélenchon, Philippe Poutou, Jean Lassalle, Nathalie Arthaud, une partie des troupes d’Ecologie les verts. Cet assemblage, a priori hétéroclite, représente une majorité de 55% du corps électoral.

C’est dire plus que les partis de gouvernements, c’est à dire ceux qui ont déjà gouverné et qui ont une prétention à le faire dans le cadre constitutionnel et juridique, c’est à dire Emmanuel Macron, Valérie Pécresse et Anne Hidalgo, on pourrait y ajouter Yannick Jadot, et même le représentant du parti communiste, Fabien Roussel, qui s’est branché sur des propositions jugées par beaucoup comme raisonnables.  Mais ces partis de la raison sont désormais minoritaires.

La France politique est bien coupée en deux : d'un côté ceux qui veulent gouverner et qui savent comment on peut faire et de l’autre, ceux qui voudraient peut-être gouverner mais à condition de changer de système politique et de systeme économique. Donc, eux veulent changer le mode de représentation démocratique et bouleverser le système capitaliste.

Il y a une France minoritaire qui, avec beaucoup d’éducation et de bon sens, cultive le pragmatisme pour gérer une réalité complexe avec des valeurs de liberté, et de respect des autres. Et une France radicale qui veut tout changer sans savoir par quoi remplacer les vieilles structures.

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Bref, cette situation est évidemment très inquiétante pour ceux qui appartiennent à ce qu‘on appelle le cercle de la raison. Ils ont deux types de réactions, les uns ont tendance à ne pas prendre très au sérieux ce résultat électoral qui s’inscrit dans la culture frondeuse de la France. Avec des Français « décidément incorrigibles, pessimistes structurels et râleurs.  Ceux-là vont essayer de savoir si tous ceux qui ont choisi un vote protestataire accepteront au final de prendre le risque d’un changement de système. Mais surtout, ils vont évaluer l’ampleur et la motivation des abstentionnistes par conviction ou par hésitation qui devraient être nombreux.

Par ailleurs, il existe des analystes lucides qui considèrent que ce populisme n’est pas un accident de l’histoire, mais le produit d’une évolution qu’on aurait pu pressentir parce qu’il a de vraies raisons avec des racines profondes auxquelles ils vaudraient s’attaquer.

Mais d’abord, tous ceux qui se placent hors système ne sont pas méconnus. Les populistes se déclarent malheureux, déclassés et délaissés par le système. C’était le premier des points communs aux gilets jaunes. Ils ont le sentiment que leur vie est perdue, qu’ils vivent plus mal que leurs parents ou leurs grands-parents, et que l’ascenseur social ne fonctionne plus. Ils se retrouvent donc en conflit avec la société officielle parce qu‘ils considèrent que les élites politiques et économiques ne font pas leur travail. La campagne présidentielle a été centrée d’abord sur la question du pouvoir d’achat parce que pour la majorité des populistes, le pouvoir d’achat est le carburant du bonheur.

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Ensuite, sur les questions de sécurité liées à la délinquance et à l’immigration et enfin, sur le fonctionnement de l’Etat qui ne remplit pas sa mission d’Etat protecteur et même d’Etat providence.

Alors, beaucoup ont essayé de démontrer que ce diagnostic très noir était plus ressenti que réel. Mais la démonstration n’est pas audible. Dire que le pouvoir d’achat n’a pas cessé d’augmenter dans le pays depuis 15 ans ou répéter que dans notre pays les dépenses publiques dépassent et consacrent 55 % du PIB, dont la moitié en social, ce qui place la France en tête des pays occidentaux, n’est absolument pas crédible.

Les populistes sont arrivés à un tel point de désappointement et de frustration qu‘ils sont complètement sourds aux explications les plus évidentes ou les plus scientifiques. Plus grave, la maitrise d’une technologie, l‘expertise, l’innovation, sont des marqueurs qui signifient quils vivent dans un autre monde que celui de la raison.

Donc généralement, les populistes sont contre tout ce qui émane du pouvoir politique et des grands pouvoirs économiques et financiers. Ils sont contre tout. Pendant la crise du Covid, ils ont commencé par nier la gravité de la pandémie, ils étaient contre le port du masque, sauf quand on n’en avait pas en stock. Ils étaient contre le vaccin, contre le pass sanitaire, comme ils étaient autrefois contre le port de la ceinture de sécurité en voiture, la limitation de vitesse ou l’interdiction de fumer dans les lieux publics.

Plus grave encore, tout ce qui va mal ou tout ce que propose les élites relèvent du complot, du grand capital, parfois international, parfois maçonnique ou juif. Donc il n’y a pas de débat possible alors que les hors système ne cessent pas de le réclamer.

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L’autre caractéristique des mouvements complotistes est qu’ils ne s’entendent pas entre eux. Donc il s’avère impossible de trouver des compromis et de dégager de lignes stratégiques pour appliquer une gouvernance capable de régler les problèmes.

Les mouvements populistes n’ont pas de solutions miracle.  Ils ressentent un mal profond, et si leur ressenti ne correspond pas à la réalité des chiffres et des faits, c’est la réalité qui a tout faux.

Alors, le mouvement n’est pas propre à la France. Depuis les années 2000, les courants populistes ont traversé la plupart des grandes démocraties dans le monde ou en Europe sans beaucoup de succès : en Grèce, en Italie et en Espagne. En Grande Bretagne, avec le Brexit où Boris Johnson a un peu perdu la main sur la partition. Donald Trump, qui a fait tout le contraire de ce pourquoi il a été élu. Bolsonaro au Brésil, idem. La Hongrie a certes conforté récemment le pouvoir de Victor Orban qui doit néanmoins accepter pour des raisons économiques la dépendance à l’Union européenne. Ce qui lui pose des problèmes quotidiens dans l’application de ses principes d’autorité.

Donc, le bilan globalement négatif des gouvernements populistes dans le monde n’a pas freiné la progression de ces courants en France puisqu‘ils sont désormais majoritaires. La proximité de beaucoup d’entre eux avec Vladimir Poutine et ses atrocités en Ukraine ne les a pas beaucoup perturbés.

La question est donc de savoir maintenant comment on peut conjurer cette fatalité du populisme qui conduit toujours à des formes de gouvernement autoritaires avec des résultats rarement au rendez-vous par rapport aux promesses faites pour gagner une élection.

Compliqué. La seule solution « raisonnable » serait évidemment de prendre en compte le ressenti et de l’attaquer à sa racine. En bref, les catégories sociales qui se retrouvent dans ces courants populistes, de droite comme de gauche, rejettent le système parce que le système n’est pas « désirable » alors qu’ils sont souvent efficaces. Quant aux élites incapables de rendre le système désirable, elles sont rejetées avec le système.

Les chefs d’entreprise sont un peu épargnés par ce phénomène de rejet parce qu’ils le connaissent bien. C’est leur vie quotidienne. Le succès de leur entreprise dépend de leur « désirabilité ». Il faut que leurs produits et services soient acceptés et même demandés par leurs clients. Il faut que les salariés trouvent dans leur travail ce dont ils ont besoin en argent et en considération et il faut que leurs actionnaires aient confiance. 

L’obsession du chef d’entreprise est d’assurer l’équilibre entre toutes les parties prenantes à son activité : les clients, les salariés et les actionnaires ou les banques.

Et quoi qu’on dise, la majorité des chefs d’entreprise savent bien qu’il y aurait d‘importantes réformes à faire pour améliorer l’adhésion de l’opinion publique au système dans lequel on vit et notamment, trouver le moyen de mieux combiner la nécessité de l’efficacité économique et financière et la « désirabilité « globale. Ça passe par le pouvoir d’achat, oui ! Mais pas que ! Ca passe aussi par l’écosystème fiscal, environnemental. Ça doit passer par une meilleure régulation de la mondialisation qui a provoqué beaucoup de frustrations et de déséquilibres socio-économiques.  Les chefs d’entreprise ont un rôle à jouer évidemment. Au moment des gilets jaunes, les enquêtes réalisées chez les manifestants ont montré que les critiques à l’encontre du système capitaliste étaient très violentes et nombreuses, mais que leur propre entreprise, celle dans laquelle ils travaillent, était le plus souvent épargnée. Donc il y a un rejet global du système capitaliste mondial mais un arrangement possible avec l’entreprise de proximité parce qu’elle donne du travail, un sens à la vie, elles approvisionnent les magasins et véhiculent le progrès technologique auquel on s’oppose, mais dont par ailleurs on accepte et on réclame les effets bénéfiques dans la vie de tous les jours. Quelle part de cette majorité de protestataires accepteraient de se passer de son téléphone mobile, de son internet et même de son médecin ?  Bref, les chefs d’entreprise savent très bien que cette majorité de Français qui sont contre le système auraient du mal à se passer de la plupart des progrès et des avantages que nous a apportés le fonctionnement du système. Cette évidence donne au monde des affaires un véritable pouvoir d’influence qu’ils ignorent le plus souvent.

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