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Le chancelier allemand Olaf Scholz et le président français Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse à Berlin, le 9 mai 2022.
Le chancelier allemand Olaf Scholz et le président français Emmanuel Macron lors d'une conférence de presse à Berlin, le 9 mai 2022.
©JOHN MACDOUGALL / AFP

Echiquier politique européen

Alors que l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni étaient les partenaires privilégiés de la France, Emmanuel Macron va-t-il pouvoir trouver de nouveaux alliés après les élections italiennes, la démission de Liz Truss et au regard des inquiétudes sur l'avenir du couple franco-allemand ?

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Atlantico : Après la rencontre d’Emmanuel Macron avec Giorgia Meloni, où va la France dans le nouveau paysage européen qui vient de connaître de nombreux bouleversements (au regard des élections italiennes, de la démission de Liz Truss et des inquiétudes sur le couple franco-allemand) ?

Rodrigo Ballester : Le paysage politique européen vit justement un grand bouleversement, presque au jour le jour, une période de fébrilité et de changements dont il est difficile de calibrer la mesure ou même la direction. Quelles conclusions tirer de la visite d’Emmanuel Macron à Giorgia Meloni, si ce n’est un geste de courtoisie et de normalité avec l’un des pays fondateurs de l’Union, un poids lourd et un pays systémique ? Peut-être un signe de pragmatisme après les polémiques futiles (notamment les déclarations péremptoire de sa Secrétaire d’Etat Laurence Boone) sur son élection alors que la maison brûle ? Oui, certainement, et c’est une bonne nouvelle, mais on ne peut en déduire rien d’autre à ce stade. Le fait le plus marquant de cette actualité récente est l’annulation du Sommet franco-allemand, ce qui est rare et diplomatiquement un geste très brusque, d’autant plus avec un partenaire dont Macron avait fait l’allié privilégié depuis le début de son premier mandat. Il y a clairement un refroidissement de la relation que l’on voyait venir, notamment à la suite de désaccords de fonds sur la guerre en Ukraine ou la politique énergétique, par exemple la fin de non-recevoir du pipeline Mid-Cat entre l’Espagne et l’Allemagne. 

Donc, où va la France ? Dans cette période d’extrême incertitude et de turbulences, à l’aune d’un hiver que tout le monde appréhende, elle avance à tâtons, comme tous les autres, elle évalue ce nouveau paradigme qui commence à peine à se dessiner. Alors, surtout, ne tirons aucune conclusion qui ne survivrait pas le prochain soubresaut de l’actualité dans quelques semaines.  

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Alors que Londres, Berlin et Rome étaient les partenaires privilégiés de Paris, de la France, tout semble désormais incertain (au regard notamment des inquiétudes sur l’affaiblissement du couple franco-allemand)... Qui peuvent être dorénavant les vrais alliés de la France et d’Emmanuel Macron ?

Sans aucun doute, le couple franco-allemand bat de l’aile, mais rappelons-nous qu’il était devenu depuis des années un lieu commun, une sorte de vestige qu’on invoque faute de mieux. Une perte de vitesse qui a eu lieu malgré le volontarisme de Macron pendant son premier mandat et qui atteint son point d’orgue avec l’annulation du Sommet franco-allemand. 

Vers qui la France se tourne-t-elle ? Difficile à dire, surtout que l’on peut se poser la même question pour tous les autres pays. Vers qui se tourne désormais une Allemagne affaiblie ? Et les nordiques, vers eux-mêmes, vers les pays baltes ? Et l’Italie de Meloni, vers les pays plus conservateurs ou vers les autres Etats fondateurs de l’UE ? Et le groupe de Visegrad qui continue d’unir contre vents et marées la la Pologne et la Hongrie, deux pays unis par le chantage financier de l’UE à leur encontre mais que tout oppose sur la guerre et les sanctions ? Et l’Espagne affaiblie par ses bourdes diplomatiques avec l’Algérie et gérée de manière erratique par une coalition disparate qui ne tient que par la soif de pouvoir de son Premier Ministre ? 

Voilà l’échiquier des incertidudes sur lequel Macron, et tous les autres, doivent jouer. Nous sommes témoins d’une grande redistribution des cartes qui vient de commencer et dont les contours sont sans cesse définis par les aléas de la guerre. 

Dans ce contexte et avec ces fragilités au coeur de l’UE, Emmanuel Macron est-il de plus en plus naïf sur l’Europe ?

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En tout cas, ce n’est pas le Macron flamboyant du discours de la Sorbonne ou de celui d’Athènes, l’enfant chéri autoproclamé de l’Europe puissance, souveraine et (en passant) fédérale. Plus que naïf, je pense au contraire qu’il est en train de perdre sa virginité européenne. Certes, les crises n’ont pas épargné l’Europe depuis 15 ans, mais cette guerre malmène tellement une UE qui vivait protégée des dangers géopolitiques que toutes les cartes en sont rebattues.  A mon avis Macron (comme tant d’autres) fait le choix d’un certain pragmatisme en se concentrant sur la défense de ses intêrêts nationaux. En outre, la situation actuelle renvoit Emmanuel Macron aux faiblesses de son propre pays et de son gouvernement. Comment jouer le rôle de leader naturel de l’Europe dans ces conditions ? Il y a de quoi faire déchanter même Emmanuel Macron.

Emmanuel Macron a récemment annoncé que la France allait sortir du Traité sur la charte de l'énergie. Cette décision survient dans un contexte de relations franco-allemandes qui apparaissent tendues, avec notamment l’annulation du conseil franco-allemand. Faut-il y voir un signal de remise en cause de la politique européenne menée jusque-là ?

Non. Il s’agit d’un dossier très technique qui est renégocié par la Commission au nom des 27 bien avant la guerre, rediscuté (voire remis en cause) depuis des nombreuses années et qui a déjà été amendé pour en faire un instrument plus flexible, plus « à la carte ».  Certains pays pensent que ce traité est un frein vers la lutte contre le changement climatique et estiment que les changements negociés par la Commission ne sont pas suffisants. D’autres sont plus dubitatifs. Voilà la question principale, alors n’en faisons pas un marqueur d’un changement majeur.

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Ces événements pourraient-ils marquer le début d’une inflexion majeure de la part d’Emmanuel Macron sur sa politique européenne et sur la diplomatie avec les voisins de la France? Vers quelle orientation nouvelle ?

La guerre, oui, le Traité sur la charte de l’énergie, non. L’agression russe en Ukraine est bien entendu un changement tectonique pour l’UE. En ces moments de fébrilité, il s’agit même d’un test grandeur nature sur sa solidité et sa capacité à unir les Etats membres ou, au contraire, les opposer. Viktor Orbán parlait même de « cannibalisation » entre Etats, un « sauve qui peut » qui pourrait devenir un « après moi le déluge » pendant l’hiver. L’opposition française au Mid-Cat entre l’Espagne et l’Allemagne, le programme de Berlin de 200 milliards d’euros pour sauver son industrie, l’efficacité et donc la continuité des sanctions contre la Russie, le prix plancher du gaz, voilà les dossiers qui sont potentiellement explosifs pour la cohésion européenne. Dans quelle direction ira la France ? Dans le chaos actuel, difficile à dire, mais l’option d’un certain pragmatisme national qui permette de limiter les dégâts sociaux d’un hiver probablement rigoureux à l’aune d’une récession économique, me paraît la plus adéquate. Il faut lâcher un peu du leste et se concentrer pendant quelques mois sur le bien-être de populations qui ont peur et sont inquiètes. 

Ceci se traduira-t-il pas de nouvelles alliances stratégiques et un changement de cap diplomatique pour la France ? Emmanuel Macron va-t-il par exemple regarder du côté de la Pologne (qui entretient des relations exécrables avec le gouvernement Scholz), ou les Baltiques, ou l’Italie ? Nul ne le sait, mais en tout cas, il est certain que le statu quo a bel et bien volé en éclats, l’UE telle que nous la connaissions sera bien différente à partir de maintenant. A commencer par le couple franco-allemand.

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