La France et l'Etat Islamique, deux ennemis qui se déclarent la guerre mais n’ont ni l’un ni l’autre les moyens de la mener (et ça n’est pas à cause de ce que nous faisons en Syrie qu’ils nous détestent)<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Les forces de l'ordre française manquent de moyens.
Les forces de l'ordre française manquent de moyens.
©Reuters

Bluff

Faute d'une intervention au sol, la coalition internationale devra se reporter sur des alliés locaux pour vaincre l'EI... Par ailleurs, l'organisation terroriste a probablement surestimé la fascination qu'elle pouvait exercer au sein des minorités musulmanes d'Europe.

Olivier Roy

Olivier Roy

Olivier Roy est un politologue français, spécialiste de l'islam.

Il dirige le Programme méditerranéen à l'Institut universitaire européen de Florence en Italie. Il est l'auteur notamment de Généalogie de l'IslamismeSon dernier livre, Le djihad et la mort, est paru en octobre aux éditions du Seuil. 

Voir la bio »

Atlantico : Suite aux attentats de Londres de 2005, vous publiiez une tribune dans le New York Times intitulée "Pourquoi nous haïssent-ils ? Pas à cause de l’Irak". 10 ans après, suite aux attentats de Paris, votre diagnostic selon lequel la radicalisation serait le fait de jeunes musulmans  "occidentalisés" plutôt que les conflits du moyen orient est-il toujours valide ? Quelles sont les évolutions de ces 10 dernières années ?

Olivier Roy : L’analyse est toujours valable. Les attentats ne sont pas le fait de militants venus du Moyen-Orient pour "venger" leur pays de l’intervention occidentale. Les terroristes sont nés, éduqués et radicalisés en Occident, ce sont eux qui ont choisi le jihad global. Pour eux Al Qaeda ou Daesh c’est pareil, il s’agit d'une organisation internationale combattant à l’échelle mondiale. Daesh n’a d’ailleurs rien à voir avec un mouvement de libération national (comme l’OLP ou même le Hamas), son projet c’est un califat en permanente expansion.

Ce qui est nouveau c’est que Daesh, contrairement à Al Qaeda, a décidé de donner une base territoriale au Jihad, mais le contexte moyen-oriental n’intéresse pas les jeunes volontaires jihadistes : ils ne se mêlent pas à la population, n’apprennent pas l’arabe local et ne travaillent pas à la construction d’une Syrie ou d’un Irak islamique. Ils se battent pour la conquête du monde. Ils sont dans l’Islam mondialisé, pas dans la construction de l’islamisme dans un seul pays.

Ces dix dernières années ont vu le sommet et la chute d’Al Qaeda, remplacé par Daesh, mais les formes et motivations des jeunes radicalisés sont les mêmes. Il n’y a pas de troisième génération de jihadistes. La seule nouveauté c’est l’augmentation du nombre de filles (souvent très jeunes) et de convertis (en tout cas parmi ceux qui se radicalisent sur Internet).

En se déclarant en "guerre", l’exécutif français a choisi de concentrer sa réponse vers l’Etat Islamique. S’agit-il d’une réponse appropriée au regard des causes mêmes du mal ?

Daesh a bien déclaré la guerre à la France, même si vaincre Daesh ne suffira pas à éteindre la radicalisation (tout en y contribuant indirectement en "cassant" l’image du jihad irrésistible). Donc désigner Daesh comme l’ennemi fait sens.

Le problème est l’usage du mot guerre. Que veut dire faire la guerre à Daesh ? Pour le moment Daesh ne s’effondrera que si des troupes au sol attaquent. Les bombardements aériens ne détruiront pas Daesh. Si la guerre c’est augmenter les bombardements aériens, elle est déjà perdue. Or les Occidentaux n’iront pas au contact, parce que les Américains ne veulent pas y aller. Paris ne peut pas déclarer la guerre à la place de Washington. Donc déclarer la guerre sans pouvoir ni vouloir vraiment la faire risque de nous faire apparaître comme velléitaires. Si la rhétorique guerrière est nécessaire pour rassurer la population, elle risque de ne pas paraître comme crédible assez rapidement.

Quant à la radicalisation en France, elle correspond à un phénomène générationnel : les terroristes sont jeunes et ont tous rompus avec leurs familles qui désapprouvent leur action et souvent les dénoncent. Or les solutions envisagées risquent de manquer leur cible (comme l’appel à une "réforme de l’islam" dont les jeunes radicalisés se fichent éperdument et qui de toute façon échappe à la compétence de l’Etat laïc).

Dans une nouvelle tribune, toujours publiée par le New York Times ce 16 novembre, vous indiquez que l’Etat islamique se trouve aujourd’hui en situation de face à face avec la France, qui est le seul pays dont l’EI est l’ennemi prioritaire. S’agit-il d’une "chance" pour l’EI ? Une telle opposition est-elle susceptible de renforcer l’objectif de polarisation de l’EI ? En Europe ? Sur les territoires occupés par l’EI ?

Je crois que pour Daesh la France est le pays européen le plus emblématique, car celui avec la plus forte population musulmane. Ils jouent sur la rupture entre cette population et la majorité. Mais Daesh a sous-estimé le degré d’intégration des musulmans en France et sur-estimé la fascination pour le jihad, qui ne  touche que des jeunes en rupture. Je crois qu’il va y avoir au contraire un rejet croissant non seulement de Daesh mais de la violence politique parmi les musulmans croyants. Donc Daesh va certainement échouer dans son objectif de polarisation.

Sur le terrain le problème pour Daesh n’est pas la France. Tant qu’il n’y a pas de troupes occidentales, Daesh ne peut pas se présenter comme le fer de lance des "anti-impérialistes". La question clé est celle de l’attitude des acteurs locaux à commencer par les Arabes sunnites qui ont souvent vu en Daesh un défenseur contre les Chiites d’irak ou le régime de Bachar en Syrie.

Avant de construire une coalition militaire il faut construire une coalition diplomatique et donc harmoniser les stratégies des acteurs régionaux, en particulier amener Saoudiens et Iraniens à négocier entre eux.

Bien que vous considériez un effondrement rapide de l’EI comme hautement improbable, cette hypothèse serait-elle suffisante pour affaiblir l’islam radical en Europe ? En matière de politiques publiques intérieures, quelles seraient les réponses adaptées dans cette optique ?

Un effondrement de Daesh cassera l’image du jihad victorieux devant qui personne ne résiste. Surtout si Daesh tombe à la suite d’une révolte des populations locales.

Mais cela ne suffira pas à tarir la radicalisation de certains jeunes car elle se nourrit d’autres choses : frustration, crise narcissique, fascination pour la violence voire pour la mort. Le jihad s’inscrit dans la longue liste des conduites à risque (overdose) ; rien d’étonnant à ce que beaucoup de radicalisés aient été délinquants ou trafiquants de drogue. La meilleure politique consiste à accentuer la cassure entre jeunes radicaux et populations musulmanes, pour mieux les isoler et les repérer. Il faut donc travailler à une "notabilisation" de la représentation musulmane et en finir avec le choix d’imams folkloriques et à fort accent pour représenter l’islam modéré. Il faut, dans le cadre de la séparation de la religion et de l’état, contribuer à développer un "Islam de France" avec des cadres modernes, compétents et francophones. Bref faire aussi émerger des figures d’identification positive. Le développement des aumôneries va dans ce sens.

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Poutine confirme que le crash dans le Sinaï était bien un "attentat" et critique la position de Hollande sur Bachar el-AssadAttentats : le passeport retrouvé au Stade de France serait celui d'un combattant syrienAnti-terrorisme français : les graves ratés de l'avant 13 novembre ; Hollande affaibli ou renforcé par les attentats ? Bachar el-Assad, sauvé ou condamné ?

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !