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Des Français sur la place principale de Spezet, à côté des affiches officielles des candidats à la présidentielle, lors de la visite d'Emmanuel Macron, le 5 avril 2022.
Des Français sur la place principale de Spezet, à côté des affiches officielles des candidats à la présidentielle, lors de la visite d'Emmanuel Macron, le 5 avril 2022.
©Ludovic MARIN / AFP

Réformes et projets politiques

Si un certain nombre d’opposants croient voir en Emmanuel Macron un libéral (voire ultra…) livrant les Français aux violences de la mondialisation, l’examen des politiques mises en œuvre en France montre plutôt que les quinquennats qui se succèdent relèvent plutôt d’une inspiration sociale-démocrate vieillotte. Et pire, hémiplégique !

Benjamin Morel

Benjamin Morel

Benjamin Morel est maître de conférences en Droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas.

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Atlantico : Si un certain nombre d’opposants croient voir en Emmanuel Macron un libéral livrant les Français aux violences de la mondialisation, l’examen des politiques mises en œuvre en France ne montre-t-il pas plutôt que les quinquennats qui se succèdent relèvent plutôt d’une inspiration sociale-démocrate ?

Benjamin Morel : Il me semble y avoir du vrai, mais aussi des limites dans cette analyse. La social-démocratie dans un premier temps représente un tournant quant aux moyens de prendre le pouvoir et d’atteindre les objectifs assignés par la doctrine marxiste. Par la suite, ces objectifs eux-mêmes seront amendés, mais ils existeront toujours. L’objectif de la social-démocratie, qui n’est pas séparable de l’environnement syndical avec lequel elle est en dialogue, demeure les conquêtes sociales. Le réalisme peut la conduire à modérer, ou même à réformer les droits acquis des travailleurs. Il n’empêche, c’est là le fondement qui légitime son existence. Il n’en va pas de même avec Emmanuel Macron dont le logiciel se rapproche en cela plus de la droite démocrate-chrétienne, voire du bonapartisme Second empire. La politique sociale est essentiellement perçue comme un instrument permettant d’accompagner une politique économique. Pour que celle-ci ne soit pas perçue comme illégitime, elle ne doit pas être trop pourvoyeuse d’inégalité. Le meeting de samedi est à ce propos topique. Sur le pouvoir d’achat, Emmanuel Macron aligne une suite de mesures catégorielles pour pallier les souffrances sociales. Il n’y a pas de mise en récit de l’ensemble de ces mesures, simplement vue comme une façon de soulager. La stabilité sociale implique donc de voir l’État intervenir. Si, le marché est la forme la plus efficiente d’organisation de l’économie, mais pour qu’il n’entraîne pas d’effondrement du système politique il doit être régulé. 

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Cela explique selon moi nombre d’incompréhensions entre la sociale démocratie, l’électorat de centre gauche, et Emmanuel Macron. La politique menée est sensiblement similaire à celle de nombre de sociaux-démocrates en Europe, mais la façon de la légitimer et de la mettre en récit, et finalement de l’appliquer, n’est pas la même. Comme l’objectif n’est pas la conquête sociale en lien avec les syndicats, il n’est pas nécessaire d’entrer réellement en dialogue avec eux. Ce qui doit primer, c’est au contraire une approche pragmatique de l’État permettant d’accompagner les mutations économiques subies ou provoquées. 

La pratique de la social-démocratie passe aussi par une vraie démocratie sociale (recours aux syndicats, concertations, respect des corps intermédiaires). La France est-elle respectueuse de cette composante essentielle ?

C’est en effet ce qui fait l’un des points essentiels qui éloignent Emmanuel Macron de la social-démocratie. La réforme du code de travail a mis les partenaires sociaux devant le fait accompli. Le recours aux ordonnances est là-dessus topique. La manière dont le gouvernement s’est mis à dos la CFDT, emblématique de cet héritage, lors de la réforme des retraites est troublante. Le fond de la pensée macronienne sur cette réforme, plus beveridgienne que bismarkienne, faisant de l’état et non des partenaires sociaux l’arbitre maître des élégances, est aussi une constante. On est très, très loin de la méthode Rocard. Ceci posé, la question de la possibilité d’un logiciel réellement social-démocrate aujourd’hui en France est posée. La méthode présidentielle est contrainte par sa culture du pouvoir, nous évoquions récemment le Parlement dans vos colonnes, mais aussi par l’état des syndicats. Au-delà des torts de ces derniers, du manque de représentativité des élections professionnelles, il y a aussi un état du tissu économique. On regarde souvent vers l’Allemagne. Toutefois, l’Allemagne a gardé un fort tissu industriel, ce qui conduit, entre autres, à des syndicats forts avec qui entrer en dialogue. 

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Alors que les sociales démocraties au pouvoir en Europe du Nord ont évolué sur nombre de sujets (immigration, économies), la France ne demeure-t-elle pas, à tort, dans une vision plus traditionnelle de la sociale démocratie ? 

Sur ce point, les positionnements sont divers en Europe. Le SPD reste par exemple sur une ligne pas si différente sur ces sujets du PS français. Le grand exemple européen sur ce thème est la social-démocratie danoise. Cette dernière est parvenue à rattraper les classes populaires en investissant ces sujets que ces partenaires européens méprisaient, mais aussi en conservant un discours assez à gauche sur les sujets économiques. On est en cela plus proche de la tentative, très maladroite, d’un Montebourg dans cette campagne. Ça marche, mais pas quand vous avez un électorat CSP+ de centre-ville et de personnes âgées tenant au système économique en place. Il faut être en capacité de plus cliver sur les sujets économiques et sociaux. En assumant une ligne plus régalienne républicaine, LREM ressemble beaucoup plus à un Ciudadanos français, qui aurait réussi. C’était jadis le pari de Manuel Valls. Face à Emmanuel Macron, il a perdu la bataille politique, mais emporté la bataille idéologique.

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