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Un manifestant brandit une pancarte lors d'un rassemblement pour la défense des services publics, à Paris.
Un manifestant brandit une pancarte lors d'un rassemblement pour la défense des services publics, à Paris.
©ERIC FEFERBERG / AFP

Services publics

Alors que dans nombre de grandes villes, il faut désormais 5 mois pour obtenir un passeport, petite radioscopie de « l’efficacité » administrative dans un pays qui consacre plus de 60% de son PIB à la dépense publique…

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Agnès Verdier-Molinié

Agnès Verdier-Molinié

Agnès Verdier-Molinié est directrice de la Fondation iFRAP et auteure de Le vrai Etat de la France aux Editions de l’Observatoire 

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Atlantico : Il faut aujourd’hui parfois plusieurs mois pour obtenir un renouvellement de carte d’identité, et plus encore pour un passeport. L’ANTS justifie ces lenteurs notamment par la pandémie, mais est-ce que tout est imputable aux conséquences de la crise sanitaire ? 

Pierre Bentata : Dans cette situation, on atteint des délais extrêmes. En effet avec la crise sanitaire, presque tous les Français ont repoussé leurs procédures administratives et aujourd’hui avec l’impression que la pandémie est derrière nous tout le monde se manifeste en même temps. Ces lenteurs se sont généralisées et il y a bel et bien un effet Covid. 

En revanche, cet effet n’est pas le seul à agir sur les délais. Pré-crise, on notait des différences très importantes d’une commune à l’autre à ce propos. Il y avait une différence importante entre la rapidité à laquelle les dossiers pouvaient être traités à Paris et dans la petite couronne par rapport à des villes de petite taille en province. L’efficacité administrative est claire… 

On pouvait comprendre que les délais soient longs lorsque tout était informatisé. Pourtant aujourd’hui lorsque l’on voit que toute la démarche est faite par le citoyen lui-même on peine à apprécier le problème car en réalité, le délai est lié à un problème d’organisation. Une fois que tout est fait en ligne et que le rendez-vous sert à vérifier les pièces du dossier, cela dénote d’une défaillance ou une lenteur de l’administration.

Agnès Verdier-Molinié : On paie l'existence de goulots d'étranglement... notamment les demandes en mairie. Aujourd'hui pour pouvoir bénéficier du renouvellement de ces titres, il est possible de passer par France Connect ou de s'inscrire directement via l'ANTS.

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Malheureusement une présence physique permettant de produire la photo d'identité et le justificatif de domicile (tout particulièrement si l'on n'est plus abonné chez un opérateur historique : EDF, GDF etc...) nécessite un passage en mairie. C'est là, plus que dans les services de préfecture, que se situe le goulet d'étranglement.
Un développement a été retardé, celui de la CNIe biométrique et dématérialisé via une identité biométrique numérique... c'est théoriquement possible depuis que la CNIL a autorité et validé l'utilisation de l'application ALICEM. Mais son interfaçage avec France Connect n'est pas encore opérationnelle. Par ailleurs, on produit en silo une CNIe non dématérialisée et une Carte vitale biométrique, au lieu de fusionner les deux titres. Pour rappel, c'est ce qu'a fait la Belgique, la Suisse, l'Estonie et le Portugal. Dans ce dernier pays, la carte d'identité, la carte vitale, le permis de conduire et la carte d'électeur sont fusionnés. Par ailleurs, hors permis de conduire, l'ensemble est disponible sur format dématérialisé via une application sur mobile ou ordinateur.
La France paie donc un retard de développement. Il devrait être possible via le recoupement d'informations différentes (fiscale, sociales, de santé etc.) de satisfaire aux besoins de fourniture d'une adresse et des éléments biométriques nécessaires. Au besoin en demandant au titulaire de procéder à une photo numérique par ses services en mairie ou à la CAF voir au CCAS par exemple, ou via une maison France Service. Aujourd'hui nous n'en sommes pas capables... tout simplement. La start-up nation n'a pas encore pleinement pris le virage du numérique et de la digitalisation des services...

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Mais pourquoi ne tirons-nous aucune leçon de ce sentiment d’absurdité récurent rapporté par 80% des fonctionnaires dans l’exercice de leur travail ?
Enfin cerise sur le gâteau il existe des tiraillements entre l'imprimerie nationale et l'ANTS ce qui ne facilite pas la production des titres sécurisés. 

Dans quelle mesure cette lenteur est-elle aussi constatée dans les autres services publics ? Est-ce quelque chose de global ? 

Pierre Bentata : Cela n’est pas global car les services de l’Etat peuvent être rapides comme celui des contraventions ou des impôts. Lorsque l’État doit récupérer de l’argent, il est beaucoup plus efficace que lorsqu’il doit rendre un service. La spécificité du service public a été parfaitement décrite en économie dans l’analyse de la bureaucratie par l’école du Public Choice et notamment par Niskanen. 

Lorsque l’on essaie d’observer une mesure d’efficacité de l’administration, on se retrouve piégé par rapport à une entreprise. Le juge de paix d’une entreprise, c’est le profit. Il est donc très facile de voir si une entreprise fonctionne bien ou pas. Si ses coûts sont plus importants que ses rentrées d’argent, il y a un problème et on peut travailler dessus. Dans le cadre d’une administration qui doit remplir des services non profitables, non commerciaux, il est très difficile d’évaluer son efficacité. Il est donc compliqué d’améliorer sa productivité. Dans ce cas, les personnes à la tête d’une administration quelconque se retrouvent dans un fort avantage par rapport au gouvernement qu’il va devoir financer. Les dirigeants veulent que les administrations fonctionnent, mais ils ne peuvent pas voir à l’intérieur et ce qu’il bloque. Il n’y a pas d’indicateurs de marge ou de rentabilité car il n’ y a pas de service final vendu.

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Dans les agences, certains dirigeants ont une incitation à gonfler leur administration, ils affirment que c’est par un manque de moyen qu’ils ne sont pas efficaces. Et comme il n’est pas possible de savoir si le manque d’efficacité vient d’un manque de moyen ou d’une mauvaise organisation, on est contraint de leur faire confiance. Elles disent donc qu’elles sont en sous-effectif et parfois c’est la réalité, mais parfois cela ne l’est pas. Une fois qu’elles ont plus de moyens, elles peuvent ensuite dire qu’elles peuvent remplir davantage de missions afin de gagner en ampleur. C’est un jeu sans fin qui amène à une inflation bureaucratique. 

On se retrouve avec des structures énormes défaillantes sans que l’on puisse vérifier ce qu’il se passe à l’intérieur. 

Est-ce donc pour cela que ce phénomène est observé dans un pays qui consacre plus de 60% de son PIB à la dépense publique ? 

Pierre Bentata : Bien évidemment car c’est un phénomène qui a la fin s’auto entretien avec un effet boule de neige. Cela se retrouve partout avec plus ou moins de gravité. Dans le cas du passeport ce n’est pas grave, mais dans le cas de la police ça l’est un peu plus. Si nous avons une augmentation de la criminalité, est-ce parce que la police fait mal son travail ou est-ce parce qu’ils n’ont pas assez d’effectif. Et si l’on constate une amélioration, est-ce parce qu’il y a assez d’effectif ou parce que le service est de qualité. Dans chacun des cas, seules les personnes à l’intérieur de l’administration connaissent la réalité, mais ils n’ont aucun intérêt à la dévoiler. Elles diront toujours qu’elles sont en sous-effectif. 

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Mécaniquement, lorsque l’on a fait le pari de multiplier les services administratifs, on est contraint d’avoir une augmentation des dépenses publiques. Et pour en sortir, soit on essaie de calquer un modèle de marché sur l’administration, qui ne colle pas à des missions de service publique, soit on décide d’avoir des services publics restreints. C’est comme cela que nous avons des milliers d’agences qui conseillent les ministres et le Premier ministre. Nous avons une inflation de l’administration contre laquelle on ne peut plus faire grand chose. 

Comment cela impacte la vie quotidienne des Français ? 

Pierre Bentata : Cela les impacte car la lenteur crée une colère et un mécontentement. Ce n’est rien dans le cadre d’un passeport, mais cela peut être plus grave dans le droit de l’environnement. De nombreuses agences ont une mission équivalente sur ce sujet. Et si l’on regarde les rôles du préfet et du maire, ils ont le même sur des territoires différents, mais parfois ils se chevauchent. Pour ne pas être tenu pour responsable, chacun va attendre que l’autre agisse au cas où il y aurait une catastrophe environnementale. Étant donné que nous avons trop d’agences en charge du même service, tout le monde a intérêt à ne rien faire. On a cet effet là dans tous les secteurs administratifs. 

Comment certains pays arrivent-ils à être plus efficaces avec moins de dépenses publiques ? 

Pierre Bentata : La solution des libéraux est de dire que l’administration doit se concentrer sur les services que seul l’administration peut fournir afin de faire des économies. Il s’agit de dire que moins il y a d'interlocuteurs plus il est facile de le contrôler. Et surtout il y a de nombreuses choses dont l’État s’occupe qui pourrait être pris en charge par le privé. 

La deuxième solution est d’avoir une approche décentralisée en considérant que le premier responsable se trouve à l’échelle de la commune. On veut alors donner davantage de moyens aux communes en leur laissant gérer en fonction de leur spécificité de leur population avec un principe de subsidiarité très clair. Celui qui est le plus proche du terrain devient responsable et lorsque cela ne suffit pas on a une coordination à un échelon supérieur. Dans cet exemple, l’État qui fonctionne le mieux est la Suisse. 

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