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La demande de respect, ce "tout petit détail" qu'oublient tous ceux qui ne voient que la peur et la colère chez les électeurs tentés par le populisme
©Reuters

Stratégie du déni

En rangeant la moitié des partisans de Donald Trump dans le "panier des pitoyables" du fait de leur xénophobie supposée, Hillary Clinton a commis une double erreur : d'une part, elle a considéré que les motivations du vote de ces électeurs étaient uniquement racistes ; d'autre part, elle les a ouvertement méprisés. Or, ces électeurs ont avant tout besoin d'être respectés par leurs élites, ce que les partis ou figures de l'establishment semblent avoir du mal à comprendre.

André Bercoff

André Bercoff est journaliste et écrivain. Il est notamment connu pour ses ouvrages publiés sous les pseudonymes Philippe de Commines et Caton.

Il est l'auteur de La chasse au Sarko (Rocher, 2011), Qui choisir (First editions, 2012), de Moi, Président (First editions, 2013) et dernièrement Bernard Tapie, Marine Le Pen, la France et moi : Chronique d'une implosion (First editions, 2014).

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Le 10 septembre dernier, Hillary Clinton a qualifié une partie des électeurs de Donald Trump de "pitoyables", au regard de leur racisme supposé. En ramenant la question en France, peut-on réellement réduire le vote d'un électeur à un choix raciste ? En quoi une telle vision peut-elle s'avérer inopérante et empêcher toute perception d'un phénomène qui pourrait s'avérer bien plus complexe ?

André Bercoff : C'est le dommage collatéral du déni : à partir du moment  où on veut nier une réalité, si cette réalité s'impose, notamment électoralement, on se retourne non pas en remettant en question sa propre analyse mais en reprochant aux gens d'être ce qu'ils sont ou de voter comme ils votent. Une phrase très connue du dramaturge allemand, Bertolt Brecht, disait  "un jour dans un pays le peuple protestait, murmurait contre le gouvernement et le gouvernement excédé décida de changer de peuple". Ces bonnes âmes qui ne veulent rien voir et rien entendre, cherchent à dissoudre les gens qui ne sont pas eux et avec lesquels ils ne sont pas d'accord.

Dire que les partisans de Trump ou de Le Pen sont racistes, homophobes, etc. montre d'une part, une attitude autiste vis-à-vis de la réalité et d'autre part, un refus de dialoguer qui me paraît fort peu démocratique.

Eric Verhaeghe : Le mépris ou la stigmatisation sont des stratégies de classe. Ils sont d'ailleurs abondamment pratiqués en France par l'élite qui se dit républicaine et qui aime instituer une police de la pensée. Cette police a évidemment une raison d'être : elle vise à maintenir en l'état une société en équilibre sous-optimal, mais profitable pour la caste au pouvoir, par une culpabilisation systématique de toute pensée divergente. Ce mécanisme élémentaire de conservation du pouvoir donne lieu à une véritable sémantique : entre les populistes, les démagogues, les racistes, ceux qui divisent, qui jettent de l'huile sur le feu, il existe une sorte de bréviaire pour discréditer toute critique de fond ou toute stratégie de rupture vis-à-vis du système. D'une certaine façon, on peut d'ailleurs comprendre que le système organise sa défense. En revanche, ceux qui procèdent par stigmatisation ou disqualification ne prennent pas forcément la mesure du risque auquel ils s'exposent, dans la mesure où leur refus d'entendre la dissidence qu'ils créent nourrit une forme de radicalisme. C'est la stigmatisation officielle qui durcit les positions et les extrémismes, et qui poussent dans la rupture une part grandissante du ventre mou de la société. A de nombreux égards, ceux qu'on appelle racistes sont plutôt des révolutionnaires en puissance qui trouvent dans des discours parfois radicaux l'expression de leur ras-le-bol. 

Il n'est d'ailleurs pas impossible que ces gens-là soient prêts à passer une alliance tactique avec une extrême droite dure le temps d'abattre le régime. Ils reprendront ensuite leurs billes, s'ils le peuvent encore.  

​A​u mois de mai dernier, la Commission nationale et consultative des droits de l'Homme indiquait "Les tensions au sein de la société française s'amenuisent et les comportements et propos racistes sont jugés de plus en plus intolérables"​, ce qui viendrait invalider l'idée de Français de plus en plus "racistes", pourtant régulièrement véhiculée. En quoi l'accusation systématique d'électeurs qui "suivraient leurs bas instincts" est-elle fausse ? Peut-on également indiquer, comme le fait Megan Mc Ardle dans les colonnes de Bloomberg, que ces électeurs sont simplement en recherche de respect de la part de leurs élites ?

André Bercoff : Que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, les gens votent ainsi car dans leur vie quotidienne ils ne savent plus qui ils sont ni où ils habitent. La précarité, la violence, le terrorisme bouleversent profondément le paysage et personne ne leur explique ce qu'il faut faire ni comment se défendre. Ce sont des millions et des millions de gens qui sont les laissés pour compte de la mondialisation, de la nouvelle économie et que les élites, les pouvoirs de droite et de gauche ont abandonné par profits et pertes.

Accuser ces gens du racisme est une aberration dans la mesure où on pratique envers eux un racisme anti petites classes moyennes, anti ouvriers, anti paysans, anti petits employés et anti agriculteurs. Il y a des racismes et pas seulement un racisme. Il faut arrêter avec ce mot valise qui ne veut plus rien dire et est employé à tort et à travers pour stopper toute discussion.

Eric Verhaeghe : Oui, je crois cela très juste. L'accusation de racisme ne tient pas une seule seconde. La France accueille énormément d'étrangers, et elle les accueille bien. Elle leur fournit des soins gratuits, des écoles gratuites, des universités quasi-gratuites. Il suffit de se promener à Roubaix, à Saint-Denis, ou dans de petites villes comme Thiers, pour s'apercevoir que les étrangers y mènent un existence très communautaire et très protégée. L'accusation de racisme vis-à-vis des Français n'a pas de sens, et, d'une manière générale, rien ne peut étayer l'idée qu'il existe une montée du racisme en France. En revanche, il existe bien une montée de colère contre l'immobilisme de l'establishment, et contre son incapacité à prendre en compte les préoccupations quotidiennes des citoyens. L'exemple du TAFTA est flagrant : majoritairement ce traité est rejeté, à tort ou à raison, par les populations en Europe. Non seulement cette opposition n'est pas prise en compte, mais aucun décideur public n'a décidé d'expliquer les positions officielles de la France sur cette question. Le débat n'est pas mené. Les réponses aux questions ne sont pas apportées. Dans ces conditions, il est inévitable que la colère gronde et que des stratégies de rupture apparaissent comme la seule réponse efficace aux tares du système. 

En quoi les stratégies de disqualification des électeurs de candidats dit "populistes" peuvent-elles, dès lors, ne faire que renforcer le camp adverse ? En quoi le discours politique doit-il évoluer pour prendre en compte cette demande d'une part de l'électorat ?

André Bercoff : Mépriser quelqu'un ne fera que le renforcer dans ses convictions. En traitant quelqu'un comme une espèce de bête malfaisante, un idiot congénital ou un raciste pervers, vous le "chosifiez" dans votre accusation et le rendez encore plus remonté.

Ceux qui parlent des droits de l'Homme ne devraient pas se contenter de parler des droits de certains hommes et ignorer complètement les autres. Je pense à toutes ces associations droit-de-l'hommistes et autres qui choisissent leurs victimes, ne les voient que dans un camp et refusent les victimes de l'autre camp. Cette myopie intrinsèque est non seulement un crime mais une faute. 

Eric Verhaeghe : Le mot "populiste" en lui-même est un mot redoutable. Qu'est-ce qu'un populiste, sinon quelqu'un qui s'adresse au peuple ? Et en quoi s'adresser au peuple serait-il honteux ? Dénigrer le populisme est un exercice à haut risque si l'on n'apporte aucune réponse aux questions que les gens se posent, dans la mesure où la critique du populisme inverse rapidement les valeurs. Les populistes méprisés apparaissent comme les détenteurs de la démocratie, et leurs détracteurs comme les suppôts de la dictature. La critique féroce adressée au populisme est de plus en plus vécue comme la manifestation de la réaction nobiliaire où l'oligarchie défend coûte-que-coûte son pré carré au détriment de l'intérêt général. On voit bien comment la critique du populisme se transforme en une maladroite manifestation d'autorité et de mépris aristocratique pour le peuple. La notion de populisme est donc profondément toxique : elle ne convainc que ceux qui sont déjà convaincus, et elle repousse dans une opposition radicale ceux qui contestent le mode de gouvernance actuel. Rien n'est plus dangereux que ces évolutions souterraines...

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