La confrontation des deux Corées en Ukraine<!-- --> | Atlantico.fr
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Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un et le président sud-coréen Moon Jae-in marchent ensemble après une cérémonie et une poignée de main hautement symbolique en avril 2018.
Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un et le président sud-coréen Moon Jae-in marchent ensemble après une cérémonie et une poignée de main hautement symbolique en avril 2018.
©Korea Summit Press Pool / Korea Summit Press Pool / AFP

Soutien

Depuis l'invasion de l'Ukraine, la Corée du Sud s'est empressée de signaler son soutien aux Ukrainiens et aux Etats-Unis, les principaux alliés de Séoul en Asie. La Corée du Nord s'est rangée du côté de la Russie.

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

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Suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie qui a débuté le 24 février 2022, on assiste à une polarisation des opinions avec des États qui soutiennent l'Ukraine sans concession (Estonie, Pays Baltes, Pologne) et d'autres qui ont ouvertement affiché leur soutien à la Russie (Iran, Corée du Nord, Érythrée). Dans ce contexte, la guerre en Ukraine, loin de se limiter à l'affrontement entre deux pays voisins, a rapidement vu apparaître des mercenaires, des combattants venus du monde entier (des deux côtés) ainsi que du matériel militaire en abondance et aux origines diverses, certains pays ayant fait le pari de la transparence sur leur aide, comme les Etats-Unis, et d'autres ayant fait celui de l'opacité totale comme l'Italie.

Dans un tel contexte de polarisation, la Corée du Sud s'est empressé de signaler son soutien aux Ukrainiens et surtout aux Etats-Unis, qui sont les principaux alliés de Séoul en Asie. Il en résulte que la Corée du Nord s'est rangée du côté de la Russie, par opposition au regime de Seoul, et surtout pour saisir l'occasion de se rapprocher économiquement de Moscou. Loin de se limiter à un débat d'idées, les deux Corées ont fait preuve d'un engagement sans précédent dans cette guerre, avec des annonces inopinées comme lorsque Pyongyang a manifesté son désir d'envoyer des ouvriers pour reconstruire les villes nouvellement annexées par la Russie. De même, les ventes d'armes de Séoul se multiplient, avec notamment un nouveau contrat avec la Pologne, contre toute attente puisque Séoul n'est pas membre de l'OTAN ou de l'UE.

Cet article évoque l'opposition entre les deux Corées en Ukraine, et met en évidence le fait que cette guerre est un élément qui ravive les tensions en Asie et perturbe cette région du monde tout autant que le continent européen. 

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Bien que cela puisse paraître incongru, la Corée du Nord semble être devenue le principal allié de Moscou dans la guerre contre Kiev, loin devant les pays membres de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) comme le Belarus ou le Kazakhstan. En effet, contrairement à ces deux derniers, Pyongyang a rapidement reconnu l'indépendance des États sécessionniste des républiques populaires de Donetsk et de Louhansk dans l'est de l'Ukraine. Le 2 mars, la Corée du Nord a également été l'un des cinq pays à voter contre une résolution des Nations Unies condamnant l'invasion de l'Ukraine. En outre, en août 2022, le regime de PyongYang a offert d'envoyer 100 000 de ses ouvriers pour aider à reconstruire le Donbass. Sur un plan materiel, en septembre 2022, la Russie aurait acheté des millions d'obus et de roquettes à la Corée du Nord a un moment critique ou ses reserves s'amoindrissent.

Le choix de Pyongyang d'envoyer des ouvriers en mer Noire pour reconstruire n'est cependant pas nouveau, puisque la Corée du Nord a l'habitude de détacher certains de ses habitants à l'étranger, ces derniers envoyant leurs salaires à Pyongyang et ne gardant qu'une maigre partie pour leur subsistance. Cette forme d'exploitation des Nord-Coréens a été observée en Abkhazie, region non loin de l'Ukraine, où on retrouve les ouvriers sur les plages de Sukhum/i, vivant de façon précaire sous la surveillance étroite d'un "manager" qui limite leurs déplacements et collecte leurs salaires. De ce fait, la Russie apprécie l'aide apportée par Pyongyang, c'est-à-dire une main d'œuvre quasi gratuite, tandis que Pyongyang trouve dans le conflit en Ukraine l'occasion de se rapprocher de la Russie tout en dégageant des marges bénéficiaires. 

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Il faut toutefois rappeler que la coopération entre les deux pays reste inégale. A cet égard, la Corée du Nord ne peut fournir à Moscou que de la main d'œuvre et un soutien diplomatique, car Pyongyang ne dispose pour l'essentiel que d'équipements militaires datant du début de l'ère soviétique, ne dispose d'aucune expérience sur le terrain et ne sait pas comment ses troupes et son opinion publique réagiraient à l'annonce d'un déploiement en Ukraine. 

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Contrairement à Pyongyang, la Corée du Sud est une puissance militaire dont on entend peu parler en Occident, bien que le pays dispose d'équipements de pointe, dont l'avion F-35 de 5ème génération, des F-16 Fighting Falcons, ou le char K2 Black Panther, l'un des plus avancés au monde, pour ne citer que quelques exemples.

À ce titre, la Russie craint que Séoul ne participe activement à la guerre en Ukraine, notamment par l'envoi d'armes, celles-ci étant aussi performantes que celles envoyées par de nombreux pays européens à ce jour. En octobre 2022, Séoul a dissipé les tensions croissantes avec la Russie, Vladimir Poutine ayant accusé le pays de soutenir l'Ukraine en envoyant des armes. Toutefois, Séoul n'a pas caché qu'elle avait envoyé des gilets pare-balles, des casques et d'autres fournitures militaires non létales ainsi que du matériel médical. 

Pour Seoul, il existe un risque d'intensification du conflit avec la Corée du Nord si elle venait à envoyer davantage d'armes à l'Ukraine, en guise de représailles. Néanmoins, la Corée du Sud entend désormais fournir des équipements militaires à la Pologne, Varsovie pouvant ainsi envoyer ses anciens équipements en Ukraine. Commande pour le moins substantielle, Varsovie a annoncé en juillet 2022 qu'elle allait acquérir plus de 1000 chars K2 Black Panther, 672 obusiers automoteurs K9 et 48 avions de combat légers FA-50 auprès de Seoul. Si certains peuvent y voir une coïncidence, cette annonce est inhabituelle dans la mesure où la Pologne aurait pu se procurer des équipements équivalents, voire plus performants, auprès des membres de l'OTAN. Par exemple, le K2 Black Panther (Corée du Sud) est une alternative au Leopard 2 allemand, mais la Pologne aurait gagné à acheter le KF51 Panther, également de conception allemande, plutot que du materiel Sud-Coreen. De même, le FA-50 light aurait pu trouver un équivalent chez l'italien Alenia Aermacchi ou le tchèque Aero Vodochody.

Pour toutes ces raisons, il est probable que la Pologne n'ait pas fait ce choix de manière anodine, et que les équipements sud-coréens soient une réaction au rapprochement croissant entre Pyongyang et Moscou. 

En conclusion, les deux Corées semblent avoir trouvé dans la guerre en Ukraine un moyen de renforcer leurs relations avec leurs alliés respectifs, témoignant de la place que prend ce conflit dans la région Pacifique en ravivant la confrontation entre Séoul et Pyongyang. La guerre en Ukraine a également impacté de manière significative la politique de défense des pays asiatiques, avec la crainte d'une annexion de Taïwan par la Chine sur un modèle similaire à celui de la Russie dans le Donbass.

Il faut également noter que PyongYang et Téhéran sont désormais encore plus proches de Moscou que des alliés historiques comme la Biélorussie et le Kazakhstan, ce qui témoigne d'un clivage croissant au sein de l'OTSC et de l'Union économique eurasienne. L'exemple de la position des deux Corées témoigne par ailleurs de l'importance croissante des alliés asiatiques pour l'Occident, et la vente massive d'armes de Séoul aux membres de l'OTAN n'aurait jamais été jugée possible il y a deux décennies, faute de moyens techniques suffisants pour les produire. Cela montre une montée en puissance de l'Asie qui interfère en Europe, renversant le paradigme d'un Occident qui était le seul à s'ingérer en Asie. 

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