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François-Bernard Huyghe publie « La bataille des mots » chez VA éditions.
François-Bernard Huyghe publie « La bataille des mots » chez VA éditions.
©JOSEP LAGO / AFP

Bonnes feuilles

François-Bernard Huyghe publie « La bataille des mots » chez VA éditions. La réélection d'Emmanuel Macron a montré une France fracturée et où domine le vote protestataire. Pro et antisystème, mondialistes et souverainistes, populistes et élites, identitaires et progressistes… les lignes de front sont multiples. Chacun tente d'imposer sa phraséologie. Extrait 2/2.

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Initialement être woke (certains attribuent la paternité du terme au pasteur Martin Luther King), ce serait l’état de conscience ou d’éveil de ceux qui s’engagent pour la justice sociale ou raciale. On peut donc y voir la marque de leur sensibilité à l’injustice ou leur prise de conscience plus intellectuelle de l’aliénation : lucide, le woke distinguerait les rapports de domination que l’idéologie essaie de dissimuler ou de naturaliser. Être woke pourrait aussi se traduire à être vigilant, donc prompt à repérer les coupables.

Au fil du temps, le terme a fini par désigner toutes les thématiques venues des États-Unis préconisant conférant à une minorité un droit particulier de revendiquer (multiculti, LGBT, décolonialisme, intersectionnalité, etc.). Sans doute parce que c’était le terme le plus facile à prononcer. Woke étant une attitude mentale, il pourrait donc s’exercer à l’égard de multiples causes : on s’éveillerait aussi bien face au péril écologique que devant souffrances des gros ou des infirmes.

La banalisation du terme a provoqué trois réactions majeures.

La première est la dénégation : le woke, ça n’existerait pas, ou plutôt, ce serait une invention d’extrême droite, comme le serait la théorie du genre. Ou l’islamogauchisme. Il y aurait, certes des antiracistes, des féministes, des militants pour mille nobles causes, mais aucune offensive idéologique venue des USA. Au contraire, la droite complotiste diaboliserait le légitime mouvement avec cet épouvantail. Comme lorsqu’elle fantasme sur l’insécurité, l’immigration, le remplacement et autres sujets inexistants ou secondaire. C’est la vieille plaisanterie : non seulement le wokisme n’existe pas, mais, en plus, c’est une bonne chose.

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Comme il reste difficile de nier qu’il ait des partisans assumés et qu’ils exercent une certaine influence même en dehors de l’Université américaine, les commentateurs du wokisme tendent à se diviser en deux autres camps. À gauche on le condamne plutôt au nom de l’Universel : ces particularismes exacerbés – sexualité, couleur de peau, appartenance – sont inconciliables avec l’idée de progrès. C’est un abandon de la foi en la commune humanité qui devrait caractériser la gauche (c’est, par exemple, l’attitude d’Élisabeth Badinter). À droite, on tend plutôt à assimiler le wokisme à un gauchisme nouveau genre, sapant les liens sociaux traditionnels, une dictature des minorités contre la civilisation. La condamnation de gauche est plus morale ou doctrinale (identitaires !), celle de droite plus stratégique (subversifs !), mais elles ont en commun de désigner des pratiques qui en découlent de « l’attitude » woke comme un pouvoir. Le wokisme ressemble à une stratégie en plusieurs temps.

− Dénonciation : telle institution, telle structure héritée, tel discours, tel stéréotype (et il n’en faut pas beaucoup pour être ainsi qualifié) masque une domination haineuse. Il suffit de la nommer, de la déconstruire. La chasse aux arrière-pensées et aux rapports asymétriques est engagée et tient lieu d’analyse critique.

− Réduction : tout est genre, race, ethnie, identité sexuelle, religieuse, phobie et haine… Bref c’est culturel (rien n’est naturel). On se range forcément dans le clan des oppresseurs ou des victimes. Société contre individu, vilain monde contre gentil Moi. Dans cette vision binaire et post-politique, tout est identité à construire, domination à saper, compensation à obtenir. Oublie la révolution, boomer.

− Punition : La victime de discrimination (ou son représentant autoproclamé) réclame, en effet, réparation pour une violence de sexe, de genre, de race, anti-islamique, coloniale, le poids d’une culture qui humilie et d’une histoire qui encourage à d’autres oppressions. Et blesse des sensibilités. Fut-ce d’un mot ou d’un regard coupable. Cette nouvelle doctrine du péché originel permet d’exiger confession et vigilance. Elle fonctionne de façon quasi théologique. Les wokes casuistes, prédicateurs, confesseurs et inquisiteurs inspirent aux autres la volupté de la pénitence et ils y gagnent quelque pouvoir.

Le wokisme combine donc une opération intellectuelle (déconstruire, dénoncer une inégalité visible ou invisible), plus une opération stratégique (mobiliser un camp, traduire de souffrances en revendications et oppositions), plus une opération éthique (faire éprouver leur culpabilité aux présumés dominants).

Se réclamant de la subjectivité de sa souffrance, dressant les communautés les unes contre les autres sur des critères moraux, n’envisageant que des compensations pour les individus et non une utopie, le wokisme se contredit. D’une part, il affirme les droits illimités de l’individu (à choisir son genre, ses normes physiques, sa culture) et de l’autre il soutient que tout est déterminé (par le social, par la couleur de peau, par le passé oppressif).

Valentin P., L’idéologie woke. Anatomie du wokisme, Fondapol, 2021

Extrait du livre de François-Bernard Huyghe, « La bataille des mots », publié chez VA éditions

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