L'Etat étend son emprise sur la santé et ce n'est pas pour le meilleur<!-- --> | Atlantico.fr
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La rémunération des médecins de ville va être encadrée par l'Etat.
La rémunération des médecins de ville va être encadrée par l'Etat.
©Reuters

Paupérisation

Après avoir étatisé l'ensemble du système de santé française, le politique s'attaque aux derniers espaces de liberté que sont la rémunération des médecins de ville et les complémentaires santé.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Le Projet de loi de finances de la Sécurité sociale 2014 (PLFSS) devrait être l’occasion d’une étape nouvelle dans l’étatisation de la santé. Une démarche en trompe-l’œil qui appauvrira la couverture sanitaire des assurés.

S’il est un sujet technique par excellence, c’est celui de la santé. Sensible, complexe, souvent absconse, noyautée par du lobbying de toutes sortes, la politique de santé publique est difficilement compréhensible pour le commun des citoyens. En soi, cette obscurité est déjà l’indice fort d’une rupture discrète entre les Français et les politiques supposées les servir.

Cette rupture est très regrettable, car elle occulte les modifications profondes que le gouvernement entreprend de mener dans la nature même des politiques de santé. En l’occurrence, le choix qui est fait aujourd’hui est celui d’une étatisation rampante, dont l’issue n’est pas inéluctable, mais sur laquelle chacun mérite d’être informé.

Une brève histoire de l’étatisation

Rappelons d’abord les quelques grandes étapes de l’étatisation de la santé.

Historiquement, la santé n’est pas une affaire d’Etat. Elle est d’abord une affaire de profession réglementée (les médecins), de communes (à travers la structure hospitalière) et de partenaires sociaux (à travers la sécurité sociale, qui rembourse les dépenses de santé).

Face à l’inflation des dépenses de santé, et face aux déficits qui se sont accumulés, l’Etat s’est de plus en plus imposé comme l’acteur incontournable du dispositif. Non seulement il a progressivement phagocyté l’activité hospitalière, avec un système de dotations de plus en plus intrusif dans les actes de soins eux-mêmes, mais il a également phagocyté la médecine de ville par l’intermédiaire des objectifs nationaux de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) créés par la réforme Juppé, et négociés chaque année autour de la loi de financement de la sécurité sociale.

Dans le même temps, l’Etat a mis en place des réformes de structure qui ont dépossédé un peu plus année après année les partenaires sociaux de leur fonction de gouvernance. D’une part, la politique hospitalière a glissé vers les Agences Régionales de Santé (ARS), qui dépendent complètement de l’Etat, alors que cette prérogative était auparavant saupoudrée entre les services de l’Etat et l’assurance maladie. D’autre part, la vie de ladite assurance maladie est de plus en plus contrainte par les conventions de gestion, signées entre l’Etat et les caisses de sécurité sociale, qui ont un impact grandissant sur l’organisation de la sécurité sociale.

Tout cela, bien entendu, est renforcé par la mécanique de la loi de financement de la sécurité sociale, créée par Alain Juppé, qui subordonne les partenaires sociaux administrateurs de la sécurité sociale au bon vouloir du Parlement, dont la Direction de la Sécurité Sociale au ministère des affaires sociales est le principal intercesseur.

Les dernières zones de liberté en question

Dans cet édifice, les espaces de liberté se sont réduit comme peau de chagrin.

On en compte deux, essentiellement : la rémunération des médecins de ville, qui peut être "déconventionnée", et le remboursement complémentaire des médicaments, souvent appelé la "mutuelle", qui échappe en grande partie au contrôle de l’Etat.

Ces deux espaces voient leur liberté progressivement réduite à néant.

Du côté de la rémunération des médecins, les polémiques incessantes autour des tarifs pratiqués par certains médecins, accusés de sélectionner socialement leur patientèle par des tarifs élevés, ont fortement écorné l’image de la profession. A travers eux, c’est la liberté des tarifs qui est visée, autour d’un débat volontiers simpliste et hypocrite. En effet, l’ensemble des médecins vit des remboursements de la sécurité sociale : la notion de profession libérale qui leur est appliquée relève donc largement du fantasme. Dans le même temps, les fameux dépassements d’honoraires concernent une part infime de la population, et ne coûtent pas fondamentalement plus cher aux assurés qui en sont exclus, puisque les remboursements sont plafonnés.

Le vrai sujet du dépassement d’honoraires est celui d’un refus opposé à l’existence d’une médecine dont la part principale est payée par l’assuré, et où la Sécurité sociale n’a qu’une part minoritaire. Cette médecine-là est un danger pour l’institution Sécurité sociale, et pour l’institution étatique : elle crée des zones qui échappent au contrôle de l’Etat, et ça, l’Etat n’aime pas…

Du côté de la complémentaire santé, c’est la généralisation prévue par l’Accord National Interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 qui constitue l’épicentre du tremblement de terre. La transposition législative de la mesure a donné lieu à une jolie opération de manipulation de la part du gouvernement, appuyé – le fait est suffisamment exceptionnel pour être souligné – par sa majorité parlementaire, brontosaures du PS (comme Jean-Marc Germain, ancien chef de cabinet de Martine Aubry, ou Christian Paul) en tête. Ceux-ci ont considéré que la mesure était l’occasion de "sortir" les assureurs privés du marché de la complémentaire santé, au profit d’un monopole qui serait de fait confié aux institutions de prévoyance gouvernées par les partenaires sociaux.

Pour parvenir à cette fin, le think tank Terra Nova se trouve en charge d’un rapport sur la création, dans le domaine de la santé, d’un étage complémentaire du même ordre que celui de l’AGIRC-ARRCO dans le domaine de la retraite. Cette commande vise à donner un socle intellectuel cohérent à un réflexe naturel des "historiques" du parti socialiste, enclins à étatiser tout ce qui traîne.

Rappelons que l’AGIRC-ARRCO a obtenu, en 1992, une loi lui reconnaissant une mission de service public – seule façon d’éviter la mise en concurrence au titre du droit communautaire. Grâce à cette loi, l’AGIRC-ARRCO a allègrement purgé l’économie française de toute épargne retraite digne de ce nom, et se trouve aujourd’hui aux abois financièrement : les cotisations ne cessent d’augmenter pour éponger un déficit toujours menaçant.

La stratégie d’étatisation contenue dans le PLFSS 2014

Dans ce contexte d’étatisation, le PLFSS 2014 marque une étape importante, notamment à travers les dispositions applicables aux contrats responsables et à la procédure de généralisation de la complémentaire santé branche par branche.

Les contrats responsables sont une appellation pudique pour désigner les contrats de complémentaire santé que l’Etat reconnaît comme acceptables, c’est-à-dire dignes de mesures d’exonération fiscale.

Jusqu’ici, les contraintes applicables aux contrats responsables ne touchaient qu’aux mécaniques favorables à la modération dans la consommation médicale. Le PLFSS 2014 propose désormais des mesures beaucoup plus contraignantes. En particulier, et à rebours d’un rapport rendu cet été par le Haut Comité pour l’Avenir de l’Assurance Maladie, les parlementaires ont décidé d’encadrer fortement les remboursements par les complémentaires santé dans le domaine de l’optique. C’est pourtant dans ce domaine que les assureurs (quel que soit leur statut) faisaient la différence auprès des assurés. Autrement dit, le PLFSS devrait tuer le marché de la complémentaire santé pour imposer des tarifs officiels.

Une mesure identique devrait être appliquée aux dépassements d’honoraires : les complémentaires santé n’auraient plus la faculté de les rembourser au-delà d’un plafond fixé par la loi.

Dans le même temps, le gouvernement cherche un dispositif juridique pour écarter les assureurs privés et protéger le primat des institutions de prévoyance dans le secteur de la santé. Ce système devrait concentrer le pouvoir de décision en matière assurantielle entre quelques mains de négociateurs de branche éloignés du terrain, des salariés, désignés de façon unilatérale par des confédérations syndicales que seul l’Etat contrôle effectivement. Le gouvernement devrait, à cette fin, majorer fortement les prélèvements sociaux applicables aux contrats qui seraient souscrits auprès d’un organisme non choisi par les négociateurs de branche.

Il faut désormais attendre l’avis du Conseil Constitutionnel sur cette nouvelle torsion faite à la libre entreprise, dont la fragilité juridique est évidente.

L’étatisation sert-elle les intérêts des assurés?

Comme toujours, l’étatisation est justifiée par un besoin d’égalité et de solidarité au profit des plus faibles. La posture est amusante, puisque l’étatisation devrait rapidement déboucher sur un nivellement par le bas, totalement néfaste pour les assurés les moins fortunés.

Parce que le gouvernement augmente la taxation sur les contrats santé (notamment à travers la fiscalisation de la part employeur décidée en loi de finances, qui se traduira par plusieurs centaines d’euros d’impôts sur le revenu supplémentaires pour les salariés assujettis), l’incitation à apporter des garanties supérieures au panier de soins minimaliste prévu par l’ANI du 11 janvier va disparaître. Pour les 75 % de salariés d’ores et déjà couverts par des contrats santé, le recul est aussi douloureux que la fiscalisation des heures supplémentaires décidée durant l’été 2012. Dans la pratique, plus aucun salarié n’aura intérêt à voir le contrat collectif qui lui est applicable s’améliorer.

Concrètement, la désincitation fiscale est si forte que dans l’ensemble des secteurs d’activité, les garanties offertes par les entreprises ou les branches dans le domaine de la santé devraient être "tirées vers le bas".

En outre, la politique de tarif imposé par le gouvernement devrait produire l’effet inverse au résultat escompté. Alors que des Français moyens ont aujourd’hui la possibilité de recourir à des médecins en dépassement d’honoraires grâce au contrat santé qu’ils ont souscrit ou qui leur est applicable, cette mécanique disparaîtra demain. Pour autant, les médecins conserveront la possibilité de pratiquer des tarifs au-dessus du plafond de la sécurité sociale. Pour compenser la perte de patientèle causée par la loi, leur tentation sera simple : augmenter encore leurs tarifs auprès de patients hauts de gamme qui ne reculeront devant aucun sacrifice pour se faire soigner.

L’étatisation de la santé ne tardera pas à se traduire par sa paupérisation. Dommage.

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