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L’État a mis l’EDF en quasi-faillite, la piégeant entre les intérêts politiques et les objectifs de développement
L’EDF est en faillite, incapable de satisfaire nos besoins d’électricité et de garantir notre indépendance. La faute en revient aux pouvoirs politiques qui, depuis quarante ans, ont voulu se mêler de tout.
Jean-Marc Sylvestre
Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.
Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.
Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.
L’EDF est désormais piégée, incapable de réaliser ses missions et de satisfaire la demande d’électricité française. Au cours des quarante dernières années, l’État français a utilisé l’Edf à des fins politiques et même idéologiques en privant l’entreprise des moyens et d’une stratégie cohérente, nécessaires pour réaliser ses véritables objectifs.
Les débuts de l’EDF montrent pourtant l’excellence du génie français. Dès 1946, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la détermination du général de Gaulle alliée à l’expertise des ingénieurs, va permettre de construire un outil national de production d’énergie électrique capable de répondre aux besoins de redressement du pays et de son développement. L’EDF va d’abord réunir et consolider l’ensemble des petits producteurs indépendants, puis lancer la production à grande échelle de l’électricité hydraulique, puis mailler le territoire d’un système de distribution du courant électrique pour tout le monde. Plus tard, quand il revient au pouvoir en 1958, le général de Gaulle, toujours lui, va lancer le vaste chantier de construction des centrales nucléaires qui donneront à la France des Trente glorieuses, la sécurité d’une alimentation en énergie propre et disponible en toute indépendance.
Jusqu’à la fin des années 1970, le pouvoir politique va faire un sans-faute. Il définit une stratégie courageuse, l’assume et dégage les moyens de financement en mettant l’entreprise à l’abri des enjeux politiques et des querelles idéologiques. Tout le pays en tire bénéfice.
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En 1974, lors du premier choc pétrolier, le logiciel de l’énergie bogue un peu. Mais face au quadruplement du prix du pétrole, la puissance du parc nucléaire français va mettre l’industrie française à l'abri en lui fournissant une électricité suffisante et pas chère à coté de ce qui s’annonce avec le renchérissement des industries fossiles.
Pendant toutes ces années-là, la France découvre qu’elle a certes des besoins de dépenses sociales (les prélèvements augmentent) mais coté énergie, on reconnait que les choix qui ont été faits au niveau de l’énergie électrique sont les bons. La classe politique ne touche pas à l’EDF.
Sauf qu’au début des années 1980, les courants écologiques commencent à se développer. François Mitterrand, candidat à la présidentielle, promet que, s’il est élu, il arrêtera le programme nucléaire. A peine installé à l’Élysée, il annule le projet de construction de la centrale de Plogoff dans le Finistère. Les écolos et les autonomistes bretons exultent.
A partir de ce moment-là, le nucléaire va devenir tabou. Les ministres en charge s’inquiètent mais n’osent rien dire. On ne fera rien sous Mitterrand, rien sous la cohabitation, rien sous Chirac. Les programmes sont gelés.
Nicolas Sarkozy va reprendre les dossiers et annoncer la construction de deux EPR. Ses ministres s’y opposent. Notamment Jean-louis Borloo. Sarkozy tient bon sur Flamanville mais aujourd’hui, le chantier n’est toujours pas en service.
Après Nicolas Sarkozy, François Hollande va signer le décret qui arrêtera Fessenheim, alors que rien ne l’y oblige au niveau technique. Il va même jusqu’à autoriser les études pour fermer 17 réacteurs sur les 56 qui peuvent fonctionner en France.
Le climat anti-nucléaire est détestable. Mais la France a été choquée par la catastrophe de Tchernobyl (1986) puis beaucoup plus tard, par celle de Fukushima au Japon (2011).
Le quinquennat de François Hollande va être catastrophique pour l’avenir du nucléaire français. Les mouvements écologistes tiennent le vrai pouvoir d’influence et les hommes politiques n’osent pas tenir le cap.
Le secteur perd progressivement ses compétences, et beaucoup de ses cadres, ce qui explique en partie la série de disfonctionnements actuels sur les questions de corrosion… Le gouvernements ont peur. L’autorité de sureté fait marcher à fond, le principe de précaution, ce qui n’incite pas les responsables politiques à prendre des initiatives.
En 2005, EDF sera partiellement privatisée (entre 10 et 15 %) sauf que pour qu’elle soit privatisée, il faut organiser un semblant de concurrence, ce à quoi la Cgt s’oppose.
La négociation avec Bruxelles sera sanglante.
Les gouvernements français s’enferment à cette époque dans un faisceau de contradiction. D’abord, ils ne veulent pas provoquer les écologistes qui s’allient avec les forces de gauche.
Ensuite, ils cherchent le soutien de Bruxelles dans la construction d’une Europe de l’énergie alors que l’Allemagne abandonne ses actifs nucléaires pour faire plaisir aux verts allemands et du coup, s’engage dans des accords d’approvisionnement en gaz naturel avec la Russie qu’ils paient très cher aujourd’hui.
Enfin, les gouvernements français qui ont arrêté tout développement nucléaire vont s’évertuer d’offrir aux Français le prix de l’électricité le moins cher. Ségolène Royal notamment, ministre de l’écologie, refuse toute augmentation du prix du gaz.
La position personnelle d’Emmanuel Macron est symptomatique de tous ces atermoiements politiques. Quand il est à l’Élysée comme conseiller économique, personne ne se souvient qu’il se serait opposé à la décision de François Hollande de fermer Fessenheim et d’arrêter les réacteurs. Comme ministre de l’économie, il recrutera Jean-Bernard Levy pour remettre de l’ordre dans la filière nucléaire mais il faudra attendre la fin de son premier mandat, et les désordres géopolitiques, pour qu’il relance le programme de développement nucléaire.
Au même moment ou presque, alors que les prix de l’électricité ont explosé de 45% Emmanuel Macron va promettre aux Français de les protéger de cette hausse par un blocage des prix ça qui oblige EDF de céder à ses concurrents privés une électricité à prix coutant.
Bref, l’EDF vend de l’électricité à 50 euros le mégawattheure au moment où le marché est à 100 euros. Aujourd’hui, le prix sur le marché mondial est de 500 euros.
L’EDF a donc perdu en 2022 plus de 10 Milliards d’euros pour protéger le pouvoir d’achat des Français, alors que la moitié de ses réacteurs sont à l’arrêt, et que le programme de construction des EPR n’a pas démarré. Le cours de l’action en bourse ne cesse de dégringoler. Ce qui prive EDF de pouvoir acquérir sur les marchés financiers les moyens de financer ses investissements futurs.
Très logiquement, l’État a racheté les actions EDF au tiers de leur valeur d’origine de celle qu’elle avait au moment de la privatisation en 2005. Cout pour l’État : 9,5 milliards d’euros
Le résultat de presque un demi-siècle de gestion politique est catastrophique. Le pouvoir politique à chercher à s’entendre avec les écologistes, il s’est donc privé d’un outil d’indépendance et de création de richesse.
Parallèlement, il a utilisé l’EDF pour financer la solidarité nationale. Tout cela a été fait à des fins de politiques de court terme. Au détriment d’une stratégie de long terme.
Pour les actionnaires de l’EDF, c’est pratiquement de l’abus de bien social puisque le pouvoir politique à utiliser l’actif industriel à d’autre fins que celles pour lesquelles ces actifs ont été financés.
La quasi faillite de EDF est la plus belle illustration pour démontrer qu’un État ne peux pas gérer une entreprise industrielle. Dans un système libéral et démocrate, l’État est fait pour assumer les fonctions régalienne (défense, justice, régulation). En aucun cas il ne peut y avoir mélange des genres et des objectifs. EDF est un producteur d’Energie sur un marché en concurrence, on doit lui assigner des obligations de résultats de sécurité, de fonctionnement et d’approvisionnement à court et long terme. En aucun cas EDF ne peut êtrel’instrument des enjeux idéologiques ou politiques.
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