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L’autre France périphérique qui peut peser sur la présidentielle : celle des centres-villes de provinces dévitalisées
©JH Mora - Wikipedia

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Jeudi 16 mars a lieu une réunion de l'Association des Maires de France sur la revitalisation des centres-villes. L'occasion de s'attarder sur une catégorie de la France périphérique qui reste peu évoquée mais tout aussi importante - les personnes issues des petites villes qui ont observé leur dévitalisation.

Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Quand on parle de France périphérique, une catégorie reste peu évoqué mais tout aussi importante. Il s'agit de ceux issus des petites villes et qui ont observé leur dévitalisation. Ils ont décidé de rester quand même mais que sont-ils devenus ?

Laurent Chalard : La "France Périphérique", terme inventé par le géographe Christophe Guilluy désormais rentré dans le langage courant, étant définie a contrario des grandes métropoles, elle se caractérise donc par une grande hétérogénéité des territoires qui la composent, dont le principal point commun est la mise à l’écart des retombées positives de la mondialisation.

On y retrouve :

- des espaces périurbains subis des grandes métropoles, qui ont vu l’afflux de populations peu argentées, originaires du cœur et des banlieues de ces métropoles, ne pouvant plus se loger dans les quartiers aisés et/ou fuyant les quartiers populaires à la mixité ethnique jugée conflictuelle

- des espaces ruraux stricto sensu, où l’urbain est absent, qui ont fortement vieilli au fur-et-à-mesure du temps, avec de moins en moins de jeunes et un amenuisement du secteur agricole,

- des petites et moyennes villes, bien souvent anciennement à dominante industrielle, qui connaissent une stagnation ou un déclin démographique, dans un contexte de vieillissement de leur population, mais dont le poids démographique au niveau national demeure non négligeable, étant donné le tissu urbain dense de petites et moyennes villes qui caractérise la France, où les villes plus peuplées sont relativement moins nombreuses que chez ses voisins européens. En effet, ces villes constituent l’ossature de l’organisation territoriale hexagonale.

Les populations des petites villes situées en-dehors de la zone d’influence d’une grande métropole, dont une large partie est restée sur place, n’ont donc pas "disparu", mais ont été complètement oubliées par les élites parisiennes depuis les années 1980, qui n’ont pas su voir le processus de paupérisation en cours, ne fréquentant guère ces territoires.

Quelle angoisse a généré cette paupérisation et quelle traduction politique peut-on observer?

Vincent Tournier : La dévitalisation des centres-villes est un processus maintenant bien identifié. Il a d’abord été repéré par les acteurs économiques, puis par l’INSEE. Cette dévitalisation se mesure notamment par la hausse du taux de vacances des commerces. Seules les grandes métropoles et les villes touristiques y échappent. Il s’agit moins d’une paupérisation que d’un déplacement des activités, déplacement qui est lui-même lié à l’étalement urbain. On voit en effet que les gens s’éloignent des centres-villes, ce qui a provoqué le boom des zones commerciales.

Ce sujet est plus important qu’il n’y paraît. Beaucoup de gens ont pris conscience de ce phénomène depuis longtemps. Ce n’est pas très compliqué : il suffit d’une simple expérience de la vie quotidienne pour voir qu’il se passe quelque chose. Or, cette désertification crée un malaise plus ou moins intense. Elle donne l’impression que l’on assiste à un déclin progressif, à un abandon. Cette inquiétude est d’autant plus vive que le problème n’est pas vraiment pris en charge par le discours politique, sinon par les acteurs politiques locaux. Aujourd’hui, les partis de gouvernement sont tournés vers l’économie mondiale, ils n’intègrent plus vraiment le petit commerce, alors que le rôle de celui-ci dans la sociabilité et la vitalité urbaines est très important.

Par ailleurs, parmi les causes de l’étalement urbain, il est difficile de ne pas voir qu’il y a la volonté d’échapper au melting pot des villes cosmopolites. Il s’agit donc d’un certain désaveu du projet optimiste sur le "vivre ensemble". En somme, les gens "votent avec leurs pieds". Sauf que cette stratégie d’évitement engendre de multiples coûts sociaux : hausse de la facture d’énergie et de transport, nécessité de construire de nouveaux équipements, de nouvelles infrastructures, caducité du découpage médical ou administratif, inadaptation des services publics, etc. 

Bref, il y a un vrai défi qui se joue là, qui impliquerait de reprendre ce que l’on appelait autrefois l’aménagement du territoire. Mais au-delà des enjeux économiques, il y a finalement une question plus générale qui est posée : que faut-il préserver ? Doit-on accorder de l’importance au maintien d’un certain cadre de vie, d’un certain environnement urbain, d’un certain type de relations sociales ? On peut évidemment avoir différents points de vue sur ce sujet, mais encore faudrait-il que la question soit déjà posée.

Concrètement qu'est-ce qu'il se passe dans ces petites villes ? Comment se traduit les mutations de ces villes et qu'ont-elles provoqué chez cette catégorie de la population ?

Laurent Chalard : Ces petites villes situées en-dehors de la zone d’influence d’une grande métropole connaissent un bouleversement de leur profil socio-démographique du fait de migrations différenciées selon les catégories sociales et les classes d’âge. Traditionnellement, la petite ville se caractérisait par l’importance de ses notables locaux (professions libérales, grands propriétaires terriens, fonctionnaires, capitaines d’industrie…) dominant des catégories populaires. Aujourd’hui, la situation évolue, dans le sens où la petite bourgeoisie locale a tendance à y disparaître, du fait d’une migration massive de ses enfants vers les grandes métropoles pour les études, qui ne se traduit pas par un retour au pays une fois l’entrée dans la vie active. La petite ville est perçue comme répulsive, ne présentant pas d’opportunités d’emploi et surtout ne permettant pas de vivre avec ses "pairs".

A contrario, pour les catégories populaires, les départs sont moins importants et concernent, en priorité, les jeunes en voie d’ascension sociale, c’est à dire ceux poursuivant des études supérieures, qui suivent le même modèle que les enfants de la petite bourgeoisie. En conséquence, au fur-et-à-mesure du temps se constate une paupérisation de la population locale, les catégories populaires occupant une place de plus en plus importante alors que l’emploi local s’amenuise. Il se produit donc un processus de paupérisation sur place, pouvant parfois s’apparenter à une assignation à résidence, même s’il faut garder en tête qu’il n’y a pas toujours volonté de partir, mais de "travailler et vivre au pays".

Quelles sont les principales causes de la dévitalisation des petites villes ? (démographique, commerciales et équipements (loisirs etc…).

Laurent Chalard : La première cause de la dévitalisation des petites villes situées en-dehors de la zone d’influence d’une grande métropole est économique. Dans le contexte de mondialisation, les villes spécialisées, qui plus est dans des activités traditionnelles, caractéristique intrinsèque, par définition, de la petite ville, sont pénalisées, car à la moindre fermeture d’usine, l’économie locale devient sinistrée, en l’absence de diversification du tissu économique. Les villes mono-industrielles ont particulièrement souffert.

Il s’ensuit consécutivement un déclin démographique, renforcé par un phénomène de périurbanisation qui touche toutes les catégories de ville, quelle que soit leur taille, deuxième cause de leur dévitalisation. Du fait de l’effondrement de leur économie, le solde migratoire est négatif, surtout pour les jeunes actifs, d’où un vieillissement accentué de la population. Les logements vacants prolifèrent, en particulier dans les centres anciens, dont l’offre immobilière est inadaptée.

Parallèlement, une troisième cause vient accentuer le processus de dévitalisation, qui est l’affaissement commercial des centres anciens des petites villes. En effet, qui dit moins d’habitants argentés, dit moins de commerces, phénomène grandement renforcé par la politique de construction massive de supermarchés à la périphérie des petites villes. Il n’est pas rare de voir de petits chefs-lieux de canton de 2000 habitants disposer de plusieurs supermarchés, ce qui constitue une aberration totale. Les politiques d’équipement commercial des élus locaux ont donc aussi contribué à la dévitalisation de leur ville.

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